mardi 21 octobre 2014

Le marais

Le marais c'est balota (болото) et l'adjectif marécageux balotniï (болотный) même si l'île Balotniï est appelée Balotnaya. L'île, ostrov en russe (остров), est pourtant masculin mais laissons cela. Cette île était donc marécageuse comme devait l'être le quartier parisien du même nom.
Ce qui diffère entre Moscou et Paris c'est avant tout l'emplacement de ce marais car le reste se ressemble étrangement. Les deux villes sont de forme circulaire avec leur périphérique ou caltso (кольцо, l'anneau en russe), Moscou, plus grande, à plusieurs bagues à son doigt et leur fleuve ou rivière (pas de différence en russe) traverse ces capitales d'est en ouest. Dans les 2 cas le cours d'eau fait une boucle dans le sud-ouest de la ville et un quartier d'affaire composé de buildings se développe plein ouest ; il est appelé d'un coté la Défense, de l'autre la City. Ces 2 villes se ressemblent tellement géographiquement et en terme de développement qu'il m'a fallu plus d'un an pour réaliser que le cours de la Moskova était nord-sud et non le contraire comme la Seine. Le Kremlin se trouve à l'emplacement des Tuileries, le palais des rois avant la construction de Versailles. A Moscou et à Paris, une île occupe le centre des beaux quartiers.
Le Marais ou l'île Bolotniï est, dans sa partie ouest, un lieu marginal, branché pourrait-on dire, fait de galeries, de sociétés de design ou de mode et de boîtes de nuit et est établi dans une ancienne usine de chocolat et confiseries, Octobre Rouge. Il est en face du temple du Christ Sauveur qui est donc rive gauche et l'île se prolonge face au Kremlin. L'île est sur cette photo présentée à l'envers dans plusieurs sens car habituellement, tout est vu depuis le Kremlin ou depuis la Moskova et depuis ses bateaux qui passent au nord de l'île. L'envers c'est aussi le milieu de la nuit, de l'art. C'est d'autant plus négatif que l'endroit a été choisi à Moscou par le Centre de Photographie des Frères Lumières et sa galerie de photographie. Et le Marais à Paris étant un univers particulièrement prisé par les homosexuels, c'est l'envers de ce qui est accepté par le discours russe officiel.
Mais mon amour coté art russe, avant de connaître ce magnifique pays de l'intérieur, c'était un roi du négatif, de la pellicule. Sa photo est particulièrement soignée, son discours profond et ses négatifs se comptent en kilomètres car c'est un cinéaste. Le bonheur est que je le croise au cœur de la culture russe car il a réalisé un film historique sur un des plus grands peintres d'icônes et leurs deux noms sont pour moi devenus inséparables. Le peintre c'est Andreï Roublev. Le cinéaste Andreï Tarkovski. Et c'est Andreï qui continue à m'apprendre la Russie car c'est le prénom de mon professeur de russe.
L'année passée, au cours d'une de mes plus grandes marches dans Moscou, à l'aveuglette, j'étais parvenu au pied de la muraille d'un monastère abritant le musée Andreï Roublev (photo "Monastère Saint-Andronikov du XVe siècle, place Andronievskaya, Moscou 2013"). Je n'avais pas osé rentrer. Je vous rappelle qu'ici rien (ou si peu) n'est fait pour le tourisme et qu'une fois trouvé la porte (c'est souvent ça le plus dur) il faut encore expliquer parfois ce que l'on vient faire. Maintenant je suis prêt. D'autant plus que j'ai visité la galerie d'icônes du musée Tétriakov avec un guide et que j'ai eu droit à quelques explications face à un des joyaux de l'art russe qui n'est donc pas dans le musée Andréï Roublev : la Trinité, daté de 1420. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont identifiables grâce aux couleurs de leurs toges (pour les initiés) et aux regards, y compris le regard du paysage tourné aussi vers Dieu. Mais le plus étonnant est le calice représenté sans être dessiné, par le prolongement et la courbure intérieure des silhouettes se trouvant de part et d'autre de la petite table centrale. Cela m'a fait penser à Salvador Dali qui a repris cette technique dans plusieurs toiles. 
La photo ci-dessus est composée de 2 photos prises dans le monastère de Novosspaskiï dont l'architecture est comparable à celui de Saint-Andronikov. Il m'a fallu cependant insérer le haut d'une des tours sur la vue plus générale de la galerie du mur d'enceinte pour lui donner un sens. Le nom que vous pouvez lire dans la perspective de cette muraille est celui d'Andreï Roublev (Андрей Рублев). Et dieu sait comme il y avait des marais à son époque.

dimanche 12 octobre 2014

Boulatov, Ivanov et Polenov

Boulatov n'est pas un mot russe à traduire, c'est le nom d'un artiste. Mais je peux essayer. Boulate (булат) c'est l'épée en russe. En garde ! Et Boulatov, c'est l'avant-garde russe, tiens, tiens... Comme Gorki qui veut dire "amer" et qui se décline en Gorkogo pour donner son nom au célèbre parc, Boulat se décline en Boulatov (ça c'est moi qui le dit). Et quand il n'y a pas de déclinaison, il y a des diminutifs car les Russes aiment quand il y a plusieurs noms pour désigner une même chose. Leur conjugaison est plus pauvre que la française mais ils se rattrapent sur la richesse du vocabulaire. D'ailleurs si vous avez lu de grands romans russes, vous avez certainement constaté que la dizaine de personnages que vous découvrez au début de l'histoire sont au final beaucoup moins nombreux ; seulement, ils ont plusieurs noms chacun et parfois très différents les uns des autres. Le "y" en russe ce prononce "ou" donc Eric je l'appelle Boulatov et non pas Bulatov comme les anglo-américains et idem pour tous les noms russes que je traduis. Désolé si tout le monde ne fait pas comme moi, ça complexifie les recherches internet je l'avoue. Mais quand la majorité à tord, je ne suis pas la majorité. Dans les limites du possible évidemment, comme Erik Bulatov lui-même.

Le bleu indique l'entrée mais le pouvoir rouge barre l'accès
 en précisant qu'il n'y a pas d'entrée (Boulatov, 2006).
Mais avant l'avant-garde, il y a l'avant-rentrée. Car on est passé à la saison 2 pour les photos du blog (quoi, vous n'avez pas vu le nouveau lien ?) mais je n'ai pas vraiment conclu la saison une. La morale de l'histoire et tout ça. Le plus important ce sont les enfants bien sûr, ce sont eux l'avant-garde. Alors comme le centre de Moscou est réservé à une élite fortunée et que l'école française est payante, on se dit en arrivant que les conditions de travail vont être exceptionnelles. Beaucoup de jeunes ont déjà vécu dans plusieurs pays, parlent plusieurs langues etc. La vérité est plus mitigée ; les expatriés changent de pays très souvent et il est difficile d'apprendre une langue en quelques années et rester motivé quand on sait qu'on peut partir à tout moment. Pour l'apprentissage du russe, nombreux sont ceux qui abandonnent la deuxième année en voyant les médiocres résultats de ceux qui sont là depuis 3 ans. Moi je m'accroche, c'est passionnant. 
Et quand on pense classe sociale aisée, on pense réussite. Oui, mais réussite ça ne veut pas dire bons résultats scolaires, cela veut dire que l'on peut acheter soit un diplôme dans une école privée soit un job dans une société que l'on préside de près ou de loin. Le pire est qu'à Moscou, il n'y a pas de filière technique pour ceux qui ne s'adaptent pas à la filière générale et qui sont en situation d'échec scolaire. Donc ils vont où ? Et bien ils restent, ils redoublent. En classe de seconde l'année dernière, sur une classe de 25, sept n'avaient pas leur place dans la filière générale. Au final, il n'y a pas 3 classes de première cette année comme auraient pu le laisser penser la présence de 3 classes de secondes l'année dernière mais seulement deux. Un tiers a disparu (un peu moins, l'effectif par classe a augmenté). Donc je vous laisse imaginer les effets dans une classe de la présence d'un quart d'élèves qui savent qu'ils n'iront pas plus loin dans ce système. On nous demande de nous intégrer, les enfants s'adaptent. Ils subissent les influences, c'est la vie, la survie.
Par contre, quand tout le monde rame dans le même sens et dans le bon sens, c'est nettement plus simple. La classe de 5ème d'Iris a fini avec une moyenne générale de 16, génial ! C'était un tout autre cas de figure. Et un tout petit Lycée ça permet à tous de se connaître, c'est plus humain et on a une meilleure visibilité sur tout ce qui peut ne pas bien fonctionner. Le pire est d'entendre des jeunes dire que, de toutes façons, il réussiront car leurs parents ont de l'argent. C'est surtout ça le choc culturel à Moscou, ce n'est pas le niveau scolaire. Et il n'est pas rare que certains jeunes gardent seuls leur appartement le week-end quand les parents vont à la datcha (maison de campagne) ou quand ils disposent de plusieurs logements. Clairement, compte tenu de la sécurité dans le centre, les enfants bénéficient de beaucoup plus de liberté qu'en région parisienne. Et ils sont beaucoup plus riches que ceux que l'on pouvait fréquenter à Malakoff, qui est loin d'être une banlieue française défavorisée. Donc il y a aussi des histoire de drogue, le lycée est au courant et nous avait mis en garde. Certains parents (j'en ai rencontré) interdisent même à leurs enfants de manger à l'extérieur le midi pour limiter les mauvaises fréquentations. Nous, on a choisi de laisser nos enfants s'intégrer. C'est vrai que l'on ne savait pas tout en arrivant mais on ne peut pas vivre dans une bulle ; un jour ou l'autre elle pète, autant être prévenu et être sur ses gardes. D'où l'épée de Boulatov. A ne pas confondre avec celle de Damoclès.
Devant la peinture d'Ivanov, ce n'est pas le Christ qui m'est apparu, c'est Boulatov
(bon d'accord, je ne le connaissais pas quand j'ai pris cette photo).
Et il ne donne pas que des coups dans l'eau, Boulatochka, il n'est pas très aimé du pouvoir en général ai-je pu lire. Je vous encourage à aller sur le site culturel de Caroline (encore une bourguignonne qui vit à Moscou) pour en savoir plus : La Dame de Pique. J'ai tout de suite vu que ça collait avec cet artiste car, et d'une on fait les mêmes photos (enfin moi j'appuie sur un bouton, lui il peint, c'est un tout petit peu plus compliqué) : ma photo prise dans le musée Trétiakov le 25 septembre est proche de sa toile peinte un an plus tôt visible dans l'article de La Dame de Pique où l'on voit le public comme la continuité des témoins de la scène de "l'apparition du Christ au peuple" d'un autre peintre russe, Ivanov.
Cette peinture a beaucoup marqué aussi Polenov. Il faut voir son magnifique domaine "Polenovo" ; remarquez la déclinaison de l'adjectif masculin au génitif. En russe, on ne s'encombre pas de respect par le caractère invariable du nom propre comme en français. Ça rejoint la liberté prise par la création de diminutifs. Ça explique aussi en partie que leur fierté s'ancre plus facilement autour de la nation que de l'individu. Sans avoir vu les magnifiques publications du musée-mémorial Polenovo (mémoire d'un riche artiste militant pour le concept d'art pour tous), je l'aurais appelé Poliénov. Vous remarquerez que je ne vais pas au bout de ma volonté de traduire vers le français en respectant plus de nuances de prononciation car je fais abstraction des notions d'accents, pourtant très important en russe. Parce que je ne les connais pas toujours et parce qu'ils varient d'une région à l'autre. Et puis il y a les lettres qui ne se prononcent pas toujours de la même manière selon leur emplacement par rapport aux autres ou au mot lui-même. J'aurais carrément pu écrire Paliénof. 
NOTRE HEURE EST ARRIVEE
Et de deux (il faut remonter à "et d'une" pour comprendre cette articulation grammaticale), il (Eric Vladimirovitch) introduit dans ses œuvres récentes des mots ; le sens -dans tous les sens du terme- fait alors partie explicite de l'oeuvre. Comme j'adore jouer avec les mots et mélanger la photo et la calligraphie (vous avez pu le constater au fil des articles), j'adore le travail récent de cet artiste. Et cela me fait penser qu'il devient indispensable que je regroupe tous les photos-montages de ce blog dans une rubrique "Montage" afin d'avoir une vision synthétique de toutes mes images personnelles pour peut-être arriver à leur donner aussi plus de sens. Internet me permet d'être mon propre éditeur, ma liberté est totale, je n'ai pas le droit de ne pas en profiter, ça ne durera pas autant que les impôts comme dirait l'autre (ça aussi c'est très français les impôts, les services russes nous ayant répondu à notre demande de régularisation fiscale : mais pourquoi voulez-vous payer des impôts ?).
Pour rester dans la métaphysique, j'aime aussi beaucoup ce tableau où l'écriture n'est qu'une légende et où les personnages montent et descendent du ciel par un long escalier et par l'effet d'une vue en contre-plongée, avec des gestes qui s'apparentent à des signes de croix avec encore au premier plan le regard extérieur de ceux qui se tiennent dans l'ombre. La bande noire de part et d'autre donne l'apparence d'un plan cinématographique ce qui ajoute encore un niveau de regard  supplémentaire, les silhouettes du premier plan pouvant être prises pour des spectateurs de cinéma ; ils sont de toutes façons spectateurs (je vis - je vois).
Jour, 2006, Eric Boulatov
Enfin je conclus cette mini exposition par la lumière avec ce tableau éblouissant de 2006, "Jour" (день en russe).
Les photos des trois œuvres de Boulatov présentées dans cet article ont été prises avec mon téléphone Nokia lors de l'exposition au Manège à Moscou, "живу - вижу". Cela signifie "je vis - je vois" et se prononce "jivou - vijou". Je ne peux m'empêcher de penser à la célèbre phrase de César, "veni vidi vici" mais on remarque qu'à la différence du militaire, l'artiste n'a pas ici la prétention d'imposer un changement du monde. Mais ça a changé au moins ma vision de l'art russe, pas vous ?

dimanche 5 octobre 2014

Enregistrement

L'enregistrement est une étape administrative nécessaire quand le visa excède une certaine durée. Il faut prouver que l'on habite bien où on le prétend. Le propriétaire doit se déplacer et, toujours muni de son passeport (même à la piscine nous avons eu besoin de notre passeport), il signe plusieurs fois lui aussi le dossier de chaque locataire (plusieurs pages d'informations à remplir et à signer avec quelques photocopies à joindre). En contrepartie, l'administration tamponne et découpe une partie du document attestant qu'elle a bien effectué l'enregistrement puis le confie à chacune des personnes temporairement admises sur son territoire. C'est aussi important que le visa, son absence peut déclencher une expulsion de la Fédération de Russie.
Ce début septembre, on a une semaine après la date de renouvellement du visa pour effectuer cette démarche. J'accompagne le propriétaire car l'assistante de Muriel n'est pas disponible et que mon intuition me dit qu'il faut voir ça au moins une fois. Je ne vais pas être déçu du voyage.
On intercepte un minibus par un signe de la main, le bâtiment est dans le quartier mais pas tout proche. On fait glisser la porte de la camionnette, nous montons à l'arrière. Slava qui m'accompagne s'informe de l'itinéraire avec le chauffeur et nous tendons 35 roubles par personne par dessus l'épaule de ce dernier qui roule déjà. A l'arrêt suivant, un jeune homme monte, s'assoit et et me donne 50 roubles. C'est sympa, fallait pas ! Il se trouve que je suis sur le siège dos au chauffeur et je suis prié de faire circuler l'argent et la monnaie dans l'autre sens. Personne ne me parle ni ne me souri. C'est comme ça, il ne faut pas le prendre mal. Ça m'amuse plutôt. Il y a autant de façon de ne rien dire que d'adresser des formules de politesses. Je rends les 3 pièces au passager. Un peu plus loin, Slava demande confirmation à la dame qui descend si c'est bien le prochain arrêt. Je suis assis trop haut par rapport à la fenêtre, je ne vois pas bien dehors et par où l'on passe. Heureusement, j'ai regardé l'itinéraire avant de partir car je rentrerai seul et à pied. Ce n'est pas trop loin et j'ai plus de chance d'arriver au bon endroit compte tenu de la faiblesse de mon langage russe.
Nous descendons enfin, prenons la première à droite, première à gauche. Ce n'est pas la bonne rue ! Je contrôle sur mon téléphone-gps, c'est la prochaine. Le numéro 24 ressemble à une grande maison abandonnée. La porte principale au centre est condamnée. Aucune plaque n'indique qu'il s'agit d'un bâtiment administratif. Flûte (à bec), ce n'est pas ici ! C'est bon, c'est là me dit Slava et il traverse. Nous poussons une grille qui est contre l'immeuble voisin auquel je n'avais pas prêté attention, tellement décontenancé par l'état du bâtiment et l'absence totale de vie. 

Derrière, il y a une petite porte. Un monsieur sort sans nous regarder ; une plaque rouge avec l'aigle bicéphale marque le coté officiel du lieu. C'est un bâtiment de l'office des migrations.
Nous montons un vieil escalier en bois et arrivons dans ce qui ressemble à une ancienne salle de classe. Les tables sont contre le mur, une trentaine de personne se presse contre une porte surmontée du numéro 3. Pas de numéro 2 mais il y a aussi une porte avec un numéro 1 et une sans aucune inscription. Quelques papiers d'information sont scotchés sur les portes ou sur les murs.
Après les avoirs parcourus, Slava s'adresse à la foule pour savoir si c'est bien là et savoir après qui nous sommes. C'est la culture de la file d'attente (очередь en russe). On nous fait parvenir une liste manuscrite écrite sur une demi feuille A4 découpée dans le sens de la hauteur. Slava écrit, avec le crayon que je lui tends, son nom à la suite des autres. Quelques uns sont barrés. J'en compte 18 avant nous, c'est bien moins que le nombre de tchéloviek dans la pièce. Certains ont trouvé une chaise, d'autres s'appuient sur les tables.
La porte 3 s'ouvre de temps en temps mais il arrive plus de monde qu'il n'en part. A chaque arrivée, il y a des échanges verbaux. Personne ne connaît la procédure, personne n'est inquiet on révolté, tous sont résignés. Un sourire peut se deviner sur les lèvres de certains qui partent un papier à la main.
Cinq fenêtres donnent sur la cour, ensoleillée. La lumière est agréable, c'est déjà ça. Nous sommes maintenant une quarantaine. Trois sont rentrés par la porte 3 en même temps. Dans un coin, une chaise pliable solidaire d'une table me permet de m'asseoir pour écrire.
Un policier en uniforme était là, il est reparti lui aussi avec son papier. Il y a plus d'hommes que de femmes, des jeunes et des moins jeunes. Une petite fille avec sa grand-mère apporte un peu de gaieté. Elle passe sous les tables, chantonne. Sinon le silence est religieux, je n'ose pas parler à Slava. J'apprends qu'il y a 2 lignes (2 files d'attente) et il n'est pas sûr qu'on soit dans la bonne. Je n'ai pas la sensation d'être en présence d'étrangers, il parlent tous bien le russe, ils ne sont pas même pas, dans leur grande majorité, typés caucasien. Le Caucasien est l'étranger le plus répandu dans Moscou et en particulier sur tous les chantiers ou aux caisses de certains supermarchés. C'est l'émigré aux petits boulots mais pas seulement car ils détiennent le plus gros du marché des fruits et légumes. Leur teint légèrement basané leur vaut d'être parfois qualifiés de "noirs" par les Russes, avec mépris vous avez compris.
Ça fait une heure qu'on est là à attendre. Il faut maintenant rester debout à coté de la porte. Ça parlemente à chaque entrée. De temps à autre, une sonnerie de téléphone portable, les mêmes que partout dans le monde. Ça y est, je vois les 2 listes qui passent de main en main, une femme n'est pas d'accord ; 4-5 personnes se répondent, elle ouvre la porte numéro 3 de sa propre initiative -alors qu'elle n'était ouverte que de l'intérieur jusque là par le fonctionnaire du bureau voisin- se penche pour s'adresser aux agents mais sans rentrer dans la pièce tout de même. Elle la referme, plusieurs personnes délibèrent, tout le monde se sert de peur de perdre sa place.
Un policier revient avec 4 personnes et ils rentrent directement dans le bureau 3 en se frayant un passage au milieu de la foule. Les visages sont durs et fermés. Il y a maintenant plus de femmes que d'hommes qui attendent. Une heure trente.
C'est notre tour, nous franchissons le seuil de la fameuse pièce. Une toute petite salle avec 2 bureaux. Le notre est celui tenu par une femme. Perdu. On n'a pas pris la bonne file, nous devons ressortir. Nous sommes déjà inscrit en 25ème position dans la seconde liste. Le dixième vient de rentrer. Il fallait prendre la file étranger et non pas russe, je peux lire maintenant ce qui est écrit sur la porte. On en a encore pour une heure vraisemblablement. Il est plus de midi et demi, j'ai déjeuné à 7h, j'ai faim.
Au moment où l'on entre à nouveau, le fonctionnaire se lève, ouvre une porte derrière lui et disparaît. Il reviendra un quart d'heure plus tard avec un couple à qui il remet des papiers. Un homme s'était collé à nous quand nous sommes rentrés, genre je tape l'incruste, je ne suis pas au courant de la procédure. Le fonctionnaire lui donne un ou deux formulaire et il disparaît. Quant à nous, il contrôle nos cinq dossiers, demande au propriétaire de signer et de compléter son adresse au dos d'un formulaire, donne un coup de tampon sur chaque, déchire le bas de chaque feuille -ce sont nos reçus-, le reste va dans une bannette qui n'est rien d'autre que le couvercle d'un carton de ramettes de papier A4 posé sur le coin du bureau et c'est terminé. Spaciba, da svidania.
C'est un peu abracadabrantesque mais certainement pas plus que ce que la France fait subir à ses émigrés en terme de procédure administrative. On devrait tous de temps en temps passer de l'autre coté de la barrière ; mais pas trop souvent, faut pas déconner.