lundi 9 février 2015

La chasse au crocodile de Sibérie

Si j'en crois "Terminus radieux" de Volodine (merci Pascal), certains individus et même certaines espèces ont survécu aux radiations qui n'ont eu de cesse de proliférer dans la steppe, au dessus et en dessous du permafrost suite à ces multiples catastrophes nucléaires. C'est vrai qu'équiper tous ces kolkhozes de mini centrales a permis de leur donner une autonomie au cœur de ces immensités peu peuplées. Des babouchkas bricoleuses et tenaces comme la mémé Oudgoul ont aidé certains à survivre, ont prolongé le temps restant à vivre de la plupart. Quand les uns s'éteignaient, les autres végétaient. Et quelques êtres exceptionnels se sont développés et ont régné. Le corbeau emblématique. Mais aussi le crocodile emblématique. Celui de Sibérie dont ont parle peu. Les disparus sont portés sur le compte du grand nord, des travaux sur les plates-formes. Ou quand on ne sait plus quoi dire sur les combats qui continuent. La vie est un combat, c'était la devise de la n-ième union soviétique. Plus besoin de livres, marcher au pas suffit. Pas besoin de creuser pour des idées. Plus d'idées. Dans la neige, la glace. Les glaces. Pendant ce temps l'espèce, cet espèce de crocodile géant qu'on appela croco de Sibérie, se développa, se réfugia sous terre, sous glace et grossit, s'irradia et irradia à son tour. Et mémé Oudgoul arriva à Izmaïlovo par hasard, dans un train de fortune ou porté par les ailes noires de Soloveï. Bien que personne n'ai jamais vu Soloveï transporter autrui sous sa forme primitive d'oiseau à plume.

Elle n'avait pas besoin de manger. Mais elle avait besoin de faire un gros trou dans la glace pour venir le voir, pour le le laisser venir voir et respirer. Elle ne sait pas combien d'années elle l'attendit. Nous non plus car elle n'a laissé aucun écrit, c'était le dernier de ses soucis à la vieille. Mais aujourd'hui je suis passé sur le lac. Il était encore gelé bien évidemment, ce n'est pas parce qu'une partie de mon nom marche sur l'eau que j'ai envie de tenter l'expérience par cette température hivernale. L'hiver n'est plus une saison, c'est la saison. Mes skis glissaient l'un après l'autre, dans une grande foulée de patineur. Et là, devant moi, je suis resté bouche bée, les flocons tombaient jusque sur ma langue. Devant moi une cabane de chasseur de croco. De croco de Sibérie. Et ce trou, vraiment semblable au trou de la mémé Oudgoul. Mais forcément je suis à Izmaïlovo, Izmaïlovskiï park. Alors là qu'est-ce que je fais ? Je n'ai ni fusée ni fusil. Je n'ai même pas un flash pour l'aveugler. Alors je recule derrière les bambous secs mais toujours debout le long d'une partie de la berge. Je m'allonge dans la neige. J'arme. Je sens comme une présence. Il va sortir c'est sûr. Enfin ce monstre, ce crocodile de Sibérie qui fait jusqu'à 15 mètres selon les uns, 15 mètres 25 selon les autres. Je vais le voir. Surtout ne pas le louper. Le froid m'engourdit les doigts. L'eau remue, il bondit sur la glace, propulsé par une queue immense, de muscles et d'écailles. Le canard qui était attaché au pied du ponton n'a rien vu venir. Déjà l'énorme animal replonge, ou plutôt se glisse dans l'eau en douceur comme une main fine de femme dans un gant de fourrure en plein hiver. Heureusement j'ai déclenché. Vous n'auriez rien su, vous ne m'auriez pas cru. Le crocodile de Sibérie ! Et oui, il est là, ne vous approchez pas, croyez-moi !