lundi 19 décembre 2016

Jordanie

L'été dernier, je n'ai pas fait de grand voyage pour des raisons de santé familiale. Pour compenser, en novembre, nous sommes allés prendre le soleil quelques jours dans un pays qui abrite une des sept merveilles du monde, à 2600 km au sud de Moscou, à Pétra. Ce n'est pas si incohérent de parler de soleil l'hiver à Moscou car les destinations chaudes, de la Turquie à l'Asie en passant par l'Egypte, sont très prisées ici pendant la période froide. Je n'ai jamais autant entendu parler de soleil depuis que je suis en Russie !
Nous n'étions tout de même pas trop loin d'une base russe car la Jordanie a une frontière avec la Syrie. Mais sans cet attentat dimanche dernier sur le site touristique de Karak, je ne sais pas si je vous en aurai parlé. Ou je vous aurais dit que le pays est sûr, très sécurisé, que les gens y sont très accueillants, ce qui est vrai d'ailleurs. Pour la sécurité, plus aucun lieu ne l'est vraiment. Heureusement, ils restent les statistiques pour nous rassurer.


Nous n'avons pas vu de barbus ni senti une pression religieuse quelconque. Bien sûr, il était fortement recommandé aux filles de ne pas porter de jupes très courtes, l'attribut typique des Hollandaises selon notre chauffeur, ces filles qui "ne respectent vraiment pas la culture locale". J'ai aperçu quelques femmes entièrement voilées, portant le nikab, qui se déplaçaient littéralement comme des ombres. Le plus atypique à été d'en croiser ainsi vêtues, à Pétra, sur le site touristique. Elles étaient là, tout à fait à l'aise, faisant presque oublier leur tenue intégrale noire, sous le soleil. Leurs maris, Saoudiens, étaient quelques pas devant, tout de blanc vêtus, avec la coiffe traditionnelle. Ça avait le mérite de nous rappeler dans quelle partie du monde nous étions. Mais je ne me suis pas planté devant eux pour les photographier.

Ce pays est si petit, qu'en quatre jours, nous avons eu le temps d'aller passer une nuit dans le désert de Wadi Rum et de nous arrêter nous baigner dans la mer morte. Israël est juste sur l'autre rive, à une dizaine de kilomètres. Et alors en Jordanie, il y a un grand nombre de sites liés aux origines du judaïsme et du christianisme. Les habitants musulmans en savent souvent bien plus que moi sur cette partie de l'histoire, le tourisme restant une source de revenus non négligeable. On a pu voir la plus vieille représentation cartographique de la terre sainte - en mosaïque -,  le mont Nébo où Moïse aurait trouvé la mort, le fort de Shobak de l'époque des croisades et des royaumes francs, la femme de Loth transformée en sel (au bord de la mer morte évidemment). Ce séjour a été très dépaysant et très agréable.
A quelques pas de Bethléem, je ne résiste pas au plaisir de vous souhaiter un Joyeux Noël ! 


dimanche 11 décembre 2016

Cours d'immeubles en hiver

Cette année, la neige était là si tôt, que nous avons pu skier en novembre, sur les feuilles mortes qui tombaient encore. Quelques-uns ont déjà aussi enfilé les patins à glace, les grandes patinoires d'hiver installées dans les parcs sont ouvertes.
Et certains jours le temps est très froid et lumineux, d'autres jours il est moins froid et plus gris. Toutes les lumières multicolores de la villes sont mises en valeur par le tapis blanc de neige. Et la nuit, quand on s'enfonce dans les cours des immeubles, à l'abri des intrépides automobilistes et de leurs bruyantes machina (la voiture en russe : машина), on est dans une autre ville, un autre Moscou, tout à fait invisible aux touristes. Les immeubles sont souvent assez longs et s'assemblent pour former des cours intérieures. Ces cours ne sont pas privées et sont très utilisées par les piétons comme raccourci car elles sont très souvent ouvertes de 2 côtés. Encore aujourd'hui, après plus de trois ans à vivre dans cette ville - sans en être lassé -, pour aller aux endroits habituels, je suis mes pieds plus que je ne les guide, sans me poser de question. Mais, stop ! Trois personnes qui ne sont pas ensemble, viennent de sortir de cette cour et continuent à marcher tête baissée, les unes derrières les autres. C'est un passage. J'y vais. La plupart du temps, une large grille empêche les voitures de rentrer et une plus étroite est réservée aux piétons. Si elle n'est pas ouverte, il suffit de la pousser. Rares sont celles qui sont verrouillées et dont l'usage est réservé aux seuls habitants.
Pour contrôler l'accès des voitures dans les cours qui desservent des bureaux, il y a parfois un gardien. Les piétons ne sont pas contrôlés mais l'uniforme jouant son rôle dissuasif, il y a de nombreuses cours où je n'ai pas osé m'aventurer avant de longs mois. On peut trouver dans une cour, un café ou un artisan qui répare ceci ou cela - et parfois les deux - (les magasins de "rimonte", ремонт en russe). Il peut bien sûr n'y avoir que des habitations, des bureaux sans intérêts pour le passant. Mais s'il y a un restaurant, vous n'êtes pas sûr de le voir. Même si vous êtes russe. Et si vous savez qu'il y est, que vous l'avez lu dans un guide touristique car en plus ce restaurant est connu, vous n'êtes pas sûr non plus de le trouver. Moi qui suis très cartésien, je reste très sceptique quand j'entends ce genre de chose. Donc c'était intéressant que cette histoire me soit justement arrivée. Je voulais y emmener des amis et comme j'étais passé au moins cinquante fois à cet endroit, je me disais naïvement qu'il suffirait de faire le tour de la cour calmement, plusieurs fois si nécessaire, et que je trouverais forcément une porte avec le nom du restaurant, ou simplement le mot restaurant (ресторан). Que nenni. J'ai dû allé voir 2 commerçants (un en sous-sol, l'autre au rez-de-chaussée) pour que le second me conduise lui-même devant la porte. Je n'étais pas très fier. La porte était sombre, dans un renfoncement, dans l'ombre. Aucune inscription sur la porte. Le nom du restaurant était dessiné sur un mur perpendiculaire que l'on ne voyait que quand on allait jusqu'à la porte. Bien sûr le restaurant n'a pas de fenêtre, il est en sous-sol, comme la plupart des boutiques dans les cours. Ce sont souvent des demi-sous-sol donc il peut y avoir des fenêtres basses mais qui ne laissent rien paraître de l'extérieur. Ces mystères associés à cette lumière colorée et mystérieuse ont un coté tarkovskien, non ?



jeudi 1 décembre 2016

La saison 3 publiée

Remise de 20% avec le code MAGIC20 jusqu’au 27 décembre 2016 !
Edition chez Blurb de "Départ pour Moscou, journal saison 3" (2015-2016), format paysage de 25×20 cm, 110 pages dont les 2/3 de photos.
Près de 70 photographies sont imprimées pleine page dont 40 regroupées à la fin de l’ouvrage.



Pour feuilleter le livre ou le commander :
 http://www.blurb.fr/b/7550125-d-part-pour-moscou-saison-3

Sans oublier les deux saisons précédentes, parues chez Blurb également :


Tous les articles ont été relus, corrigés et modifiés si nécessaire, pour faciliter leur compréhension hors du contexte du blog. Toutes les photos publiées dans ces livres sont celles de l'auteur.

mardi 25 octobre 2016

Toi mon kricha

крыша - prononcer kricha - est le toit, en russe. Il vous couvre, au sens propre comme au sens figuré. Si votre activité n'est pas très légale, mieux vaut pour vous, avoir un kricha qui vous protège. Mais quand il perd son pouvoir ou si un tiers vient à en avoir davantage sur le même domaine d'activité - ou sur le même secteur géographique - alors, évidemment, vous n'êtes plus à l'abri. Et vous l'apprenez souvent trop tard. Donc un toit ça s'entretient avant de ne plus être efficace. Ou ça se change. Il ne faut surtout pas suivre l'exemple de mon propriétaire qui a laissé couler l'eau dans ma chambre l'hiver dernier.

En juin, dans l'immeuble en face du mien - et non chez moi vous avez compris - ils ont repeint la toiture. Et en octobre, avant l'hiver, ils la remettent en état.
Ils n'ont qu'une pince coupante, un marteau. Ils étaient trois. Un quatrième vient de les rejoindre avec un pied de biche. Il s'allonge à coté d'eux, sur le toit en pente. C'est la pause pour lui. Sur ce vieil immeuble russe, il n'y a pas de tuile - comme nulle part dans ce pays - mais de longues plaques de métal qui partent du faîte jusqu'au dessus du mur. Cet immeuble est bas, il n'a qu'un étage, c'est une des rares constructions en pierre qui a résisté à l'incendie de 1812, qui a ravagé la capitale après l'arrivée de Napoléon. L'inclinaison n'a pas besoin d'être aussi forte que pour une couverture en tuile qui craint de se fendre quand il reste un peu d'eau et que les grands froids arrivent, le gel faisant éclater la terre cuite.
Hier, un de ces hommes, un homme du Caucase comme souvent - ceux qui à Moscou marchent le long des toits sans protections, soit pour déneiger soit, comme cette fois, pour assurer l'entretien - a aplati avec un marteau, à une distance régulière du bord inférieur, le bourrelet de métal qui assure la jonction des plaques entre elles. Elles font ici moins d'un mètre de large et se recouvrent légèrement sans aucune soudure. Ces hommes ont l'air d'être totalement indifférents au vide qu'ils ont sous leurs pieds. Sur le moment, je n'ai pas compris pourquoi il procédait à cette opération de martèlement. 
Aujourd'hui, l'un d'entre eux, peut-être le même qu'hier - il est difficile de le dire car le froid à fait son apparition et ils sont très couverts avec un bonnet ou une capuche -, a longé le toit et replié la tôle, du bas vers le haut, laissant voir les planches de bois sur lesquelles elles étaient clouées. Si le métal n'avait pas été écrasé par le marteau à un endroit précis, en tirant, la plaque ne se serait pas pliée facilement. Le temps est sec, le ciel dégagé mais en contrepartie, il fait près de zéro degré.
Les images se recollent dans mon esprit. Hier, sur la chaussée, j'ai aperçu deux hommes dérouler des bandes de cette même couleur verte et les mesurer. J'ai bien pensé que c'était pour la toiture, mais seulement pour le tour des cheminées, très abîmé et parfois même absent, laissant la brique nue. 
Mon immeuble a un étage de plus et mes fenêtres sont à leur niveau, de l'autre côté de cette chaussée étroite laissant passer le tramway et une file de voitures. J'ai une vue imprenable sur l'opération, comme sur le renouvellement des rails en octobre 2013. Ils ont tout de même monté un échafaudage, a l'endroit précis où, la veille, un de ces ouvrier s'était laissé glisser le long d'une corde, les fesses posées sur une planchette semblable à une balançoire. N'ayant rien pour retenir son dos, il s'appuyait en avant sur la corde attachée à la cheminée et, avec ses deux mains, une fois suffisamment bien assis, il remontait, du sol jusqu'à lui, un seau de peinture. Et il commença à repeindre le mur.
Après avoir soulevé les plaques du bord vers le haut du toit, sur un bon mètre de longueur, ils ont entrepris de remplacer la partie métallique inférieure qui était en-dessous et qui se prolongeait jusqu'au l'extrémité du toit, en surplomb. Aucune gouttière n'y est accrochée, l'eau s'écoule le long d'une autre plaque recourbée fixée par-dessus. Le petit rebord permettant de guider l'eau pouvait éventuellement retenir un pied qui glisse. Maintenant que cette partie est démontée, plus de rebord, ni pour la pluie ni pour les pieds.
La première plaque métallique neuve à être installée doit être pliée pour remonter à la verticale le long d'un muret de brique. Debout, une basquette sur la tôle, un des ouvriers la maintient pendant qu'un second tire avec ses deux mains puis tape avec son maillet pour lui donner la forme voulue. Un troisième, debout sur un échafaudage, entreprend de découper, avec sa pince, le surplus de métal inutile. Ils ne sont qu'à quelques centimètres du vide, aucun n'est attaché. Dans le même temps, l'un deux enfonce - au marteau cette fois - un clou à travers le métal pour maintenir à la charpente la nouvelle tôle verte.Il leur faut taper fort et prendre des risques pour que le kricha continue à jouer son rôle !

samedi 8 octobre 2016

La saison 2 publiée

Edition chez Blurb de "Départ pour Moscou, journal saison 2" (2014-2015), format carré de 18 cm, 154 pages dont 49% de photos.

Près de 120 photographies, de tailles différentes, dont une cinquantaine pleine page.


Pour feuilleter le livre ou le commander : http://www.blurb.fr/b/7385704-d-part-pour-moscou-saison-2

Rappel de l'édition précédente
Edition chez Blurb également, "Départ pour Moscou, journal saison 1" (2013-2014), format carré de 18 cm, 142 pages dont 35% de photos.
Plus de 120 photographies, de tailles différentes.


Pour feuilleter le livre ou le commander : http://www.blurb.fr/b/7145329-d-part-pour-moscou

Tous les articles ont été relus, corrigés et modifiés au besoin pour faciliter leur compréhension hors du contexte du blog. Toutes les photos publiées dans ces livres sont celles de l'auteur, ce qui n'est pas toujours le cas dans le blog pour l'illustration d'actualités.

jeudi 6 octobre 2016

Exposition à Moscou

J'ai l'honneur et le privilège de vous inviter le 16 octobre prochain à une exposition d'artistes contemporains russes et français. Si je fais un peu de pub sur ce blog, c'est que je vais avoir l'honneur d'y présenter 8 de mes photographies. Non, je ne vous dirai pas lesquelles. Venez voir !


Et voici une photo prise pendant l'exposition où l'on aperçoit mes photographies :

lundi 19 septembre 2016

Courrier et téléphone


Ce n'est pas parce que vous habitez dans le centre-ville de Moscou que vous pouvez prétendre à une belle boîte aux lettres. Remarquez que le nom des habitants n’apparaît pas sur les boîtes. Sur la porte donnant à l'extérieur, il y a un interphone sans nom, avec des chiffres. Si vous n'avez pas le code pour entrer, tapez le numéro d'appartement et ça déclenche l'interphone. Si vous ne connaissez pas le numéro d'appartement... et bien il ne vous reste qu'à repartir. Sauf si vous avez un téléphone portable et le numéro de la personne chez qui vous vous rendez bien évidemment. D'où peut venir se sentiment de peur de laisser son nom ? Est-ce ce même sentiment qui empêche les gens de se regarder dans le métro ou de trop se parler dans la rue ? Exemple de conversation entre 2 passants : "La rue trucmuche ? Ici à droite". Pas de mots en plus avant ni après. Les termes bonjour, merci, au revoir, ils ne les utilisent pas avec des inconnus. Chacun son histoire, ses traumatismes, ses phobies. Même pas plus tard qu'il n'y a pas longtemps, dans l'appart d'un copain lors d'une soirée, j'ai croisé plusieurs Russes qui n'ont même pas esquissé un mouvement de tête pour pouvoir ensuite éviter mon regard ; non, ils savaient que j'étais là et qu'ils ne me connaissaient pas et je n'ai même pas pu les saluer. 
Ce n'est pas parce que vous payez 5000 euros de loyer que vous pouvez prétendre à des communs propres, sans odeur et entretenus. Vous avez de la chance car je ne sais pas coller l'odeur dans un blog. Ça fait 3 ans que ça dure et donc toute la famille a fait des progrès en apnée. Avant de fermer la parenthèse puanteur, j'ai été confronté au moins à trois reprises dans Moscou depuis la fin août à des effluves comme je n'en avais pas sentis depuis que nous y sommes installés. J'espère qu'il ne s'agit pas d'une dégradation des infrastructures, beaucoup moins importantes pour la municipalité que les fleurs qui clignotent et les cabanes en bois pour vendre des spécialités. Je me suis laissé dire, qu'il y avait là plusieurs marchés très juteux qui avaient été signés.
Retour dans la cage d'escalier. Ce qui est étonnant, c'est quand vous ouvrez la boîte aux lettres. Pas trop de pub au premier abord car il faut un code pour rentrer dans le bâtiment. Des factures le plus souvent. Comme en France me direz-vous. Il y a tout de même 3 différences de taille. 
La première est que, bien souvent, le facteur n'a pas trouvé la boîte et il a posé un tas de papier sur le rebord de la fenêtre, à côté. C'est vrai qu'il y a 4 boîtes alors... c'est pas facile. Evidemment, il y a souvent du courrier qui ne correspond à aucune des boîtes à lettres de cette entrée d'immeuble, quand ce n'est pas carrément des missives ou factures pour une autre rue. Je pense qu'il y des gens qui doivent se faire couper le téléphone ou l'électricité simplement parce qu'il ne reçoivent pas leur facture.
La deuxième différence est que la facture est avant tout un support publicitaire.
A gauche, le recto du courrier (avec le chiffre en orange), à droite (avec la pub en rose), le verso. Il faut un certain temps pour comprendre que ce n'est pas que de la pub et ne pas tout mettre directement à la poubelle. Et il faut de la patience (et ses lunettes) pour trouver le nom du destinataire. Mais c'est écrit. Il faut trouver de quel côté chercher, c'est vrai également. Et c'est tellement insupportable à regarder ces pub aux couleurs vives avec des lettres de toutes les tailles et dans tous les sens, que c'est seulement aujourd'hui en vous en parlant, chers lecteurs, que je constate que la publicité est relative à l'émetteur de la facture. Vous me direz, c'est la moindre des choses. Que nenni. 
La troisième différence est que cette facture d'électricité (par exemple) contient une autre publicité. Et il aurait été dommage que vous ne la voyiez pas. C'est une pub de dentiste, de stomatologue comme on les appelle ici. Ça ne me donne pas vraiment envie de me faire soigner les dents.
Et je ne vous parle pas du téléphone qui tous les jours sonne plusieurs fois avec, au bout du fil, un répondeur qui débite des annonces publicitaires. 
Le libéralisme débridé comme on ne l'aime pas et qui a le plus grand mépris pour la liberté individuelle est bien d'aussi mauvais goût ici qu'ailleurs. Mais il demeure en décalage avec cette image de socialisme et ce message de nostalgie d'URSS qu'on entend de la bouche même du Kremlin, si tant est qu'une forteresse ait une bouche. Ça ne finit pas de m'étonner.

jeudi 8 septembre 2016

Dernière rentrée

L'été s'achève. Le Japon n'a pas été au rendez-vous, cas de force majeure. Ça commence fort avec l'assurance annulation du vol, la célèbre Europe Assistance tout de même, qui sans aucune gène aucune, m'annonce que le fait de résider en Russie m'exclu des cas de remboursement. Ne croyez pas bonnes gens, que l'assureur ait quelques remords d'avoir encaissé ma cotisation, non. J'avais, heureusement et par hasard, utilisé ma carte Visa française et non russe ce qui me permet de faire jouer l'assurance VISA associé à ce compte ; mais les semaines s'additionnent aux semaines sans retour des services concernés malgré les dossiers envoyés. Là, vous avez intérêt à être en forme et blindé car le système est sans pitié pour les faibles, personne n'est là pour verser une larme, seulement pour vous décourager de poursuivre votre demande de remboursement. Vous avez intérêt à aimer les serveurs vocaux et les renvois de services en services. 
Garance est installée en France, à l'université bac en poche. Les gros bagages convoyés pour l'occasion depuis Moscou m'ont dissuadé de me charger de mon appareil photo. Cela fait donc déjà deux mois que je n'ai pas appuyé sur le déclencheur.
Je reviens de Shérémétiévo avec l'aéroexpress après avoir raccompagné M. qui se retourne en France, visa en poche, pour un mois d'un repos bien mérité. Je n'ai même pas activé, dans mon wagon climatisé, la wifi gratuite. Le temps est déjà gris, il pleut, la température est descendue à 15 degrés. C'est vraiment l'esprit de Moscou, difficile à rendre par la photo sinon à empiler des clichés gris, des immensités de forêts, d'immeubles de hauteurs variables. Les plus hautes constructions se détachent dans le ciel. L'extérieure de la ville n'a rien à envier au centre-ville pour ce qui est des travaux. Des tours poussent, non pas comme des champignons, mais comme des bouleaux. On n'hésite plus maintenant sur le nombre d'étages. Des milliers de logements en perspective. Des cités sans âme mais ça n'arrête pas de grandir, de se densifier, jour et nuit. Pendant ce temps, le réseau de métro est rénové, prolongé.
La pluie.
Le froid à Moscou, ce n'est rien. Le sujet, c'est l'eau, j'en ai déjà parlé mais c'est tellement incroyable qu'il faut que je complète. Ce n'est pas photogénique et ça parait anecdotique en image. Donc il faut que j'essaye de vous le faire vivre autrement. Il vaut mieux en rire. C'est un peu à la Charlie Chaplin en fait. Toute cette immense capitale a le même souci. On peut voir sur internet des vidéos de voitures presque sous l'eau et des jeunes sportifs faire du ski nautique dans les rues. Cette été, la création est venue du granit. Le centre de Moscou se dote de trottoirs plus larges, il est même possible de casser ce qui a été fait l'année d'avant, ça n'a pas d'importance, c'est toujours plus clinquant, plus beau. Il faut le reconnaître, la ville s'embellit. Il y avait déjà eu beaucoup de travaux l'année passée. Et puis celle d'avant etc. La mairie met les moyens, des moyens incroyables. Bien sûr, certaines sociétés privées s'enrichissent mais c'est le cas dans tous les pays et c'est la base de notre économie libérale.
Donc cette année, sur les trottoirs refaits cet été, on peut voir des dalles de granit creusées, sur toute leur longueur, de plusieurs lignes d'un centimètre de profondeur. Un dalle rayée me direz-vous. Mais ça ne s'arrête pas là car plusieurs de ces dalles sont alignées à certains endroits, du mur jusqu'à la chaussée. En fait, non, pas jusqu'à la chaussée car les bordures de trottoirs en granit n'ont pas été prévues avec les rainures. Vous me direz, c'est joli comme ça. Oui, mais ces rainures sont placées sous les descentes d'eau pluviale, ou à côté parfois, c'est vrai ; alors soit les ouvriers avaient un délai vraiment trop court pour bien faire le travail, ou scier une nouvelle série de dalles leur cassait vraiment les pieds ou troisième hypothèse, la moins vraisemblable, un regard critique sur l'aberration de cette innovation les a autorisé à un clin d’œil aux passants observateurs. Car non seulement la rigole ne va pas jusqu'à la chaussée, mais sur la chaussée il n'y a aucune grille d'évacuation d'eau (ou alors beaucoup trop petite), et les rainures sont si disproportionnées par rapport aux quantités d'eau pouvant s'échapper du ciel que c'en est comique, dérisoire. Enfin, si la pente est bien orientée du mur vers la route, c'est tout simplement un accident car on ne calcule pas ce genre de chose.
Ça, c'était pour le coté trottoir et innovation. Ce qui est spectaculaire pour rester au niveau des pieds, ce sont les diamètres des évacuations d'eau raccordées aux gouttières. Alors là, les moscovites me disent stop ! Effectivement, excusez-moi, je n'aurais jamais mais jamais dû employer le verbe "raccorder" car ce mot est inconnu en russe (en tous cas du coté du BTP dans sa spécialisation gestion de l'eau). Sur les toits, un rebord en métal permet à l'eau de ne par tomber directement tout le long des façades ; cette gouttière n'est parfois qu'une petite partie du toit lui aussi métallique, petite partie recourbée qui reste d'un diamètre inférieur à une gouttière industrielle fixée sous un toit. Cette gouttière, qui n'est donc pas toujours d'un format standard, se termine brutalement sans raccord avec un autre conduit. Pour canaliser l'eau jusqu'au sol, le tube vertical est coiffé d'une partie évasée comme un entonnoir. Et comme rien n'est standardisé ou encastré ou fixé, il y a autant d'eau qui coule par ce tuyau qu'à coté. 
Souvent aussi, pour couronner le tout si je puis dire, la base du tuyau d'écoulement est arrachée ou cassée et l'eau gicle comme une douche à un ou deux mètres du sol. On finit par ne plus y faire attention. Enfin pas moi. Ce n'est pas seulement un poème qu'il faudrait écrire mais bien un livre entier. Pour l'instant, je n'ai pas eu le courage me me faire rincer spécifiquement pour rapporter les illustrations ou photographies adéquates. Et c'est surtout spectaculaire quand la pluie est violente, c'est à dire régulièrement. Mais qui sait, cette année étant ma dernière année à Moscou, peut-être est-ce que je vais un peu plus me mouiller...

vendredi 22 juillet 2016

Le lac Issyk-Koul

Prendre la route au Kirghizstan - ce 4 mai 2016 - avant toute chose, avant de découvrir le paysage, avant de rencontrer des habitants, c'est se confronter avec la reconstruction et l'élargissement de la chaussée sur des centaines de kilomètres. On est surpris à Moscou de voir toutes les rues éventrées en même temps pour privilégier la mise à disposition d'un réseau de fibre optique au mépris de la régulation et de la fluidité du trafic routier et on est surpris au Kirghizstan entre Kyzyl Tuu (de la province de Naryn) et Kyzyl Tuu près du lac (il y a 4 villages qui ont le même nom) de voir sur plusieurs centaines de kilomètres la chaussée en cours d'élargissement, de réfection avec très souvent une voie complètement paralysée. Ne peuvent-ils donc par faire petit à petit pour réduire les désagréments ? L'ensemble des travaux avait été confié à des Chinois mais des problèmes ont contraint la révision des contrats et les kirghizes ont récupéré une partie du marché.  
Après être sorti de la montagne, nous roulons sur un immense plateau - ou une large vallée car nous sommes encore entourés de chaînes de montagnes - sans aucun arbre à l'horizon. Il y a tout de même un peu de végétation. Nous faisons un arrêt rapide chez le palefrenier. Ce village de Kyzyl Tuu est étrange : il y a des arbres ! Et certains sont très hauts et couverts de nids de corbeaux. On parlera dans ce cas du bruits des oiseaux et non pas du chant. Encore un peu de route et nous arrivons à Kyzyl Tuu (je reconnais qu'il faut une très bonne connaissance du Kirghizstan pour me suivre). Nos hôtes ont une très grande maison, un grand jardin. L'aménagement des pièces est plus moderne que ce que nous avons vu jusqu'à présent, c'est très occidental, étonnamment dans ce petit village. Heureusement, il reste un peu de tradition dans la salle-de-bain extérieure (la troisième ci-dessous).
Ce village est dédié à la construction des yourtes. Chaque famille s'occupe de fabriquer un des éléments de cet habitat traditionnel. Vous pouvez travailler le bois car l'ossature est faite en saule : la partie basse est constituée de croisillons (ou treillis) articulés. Les intersections des tiges en bois sont mobiles afin de pouvoir replier le tout comme un accordéon. N'oublions pas que c'est une habitation de nomade initialement. Sur ce treillis vont venir s'appuyer des perches en saule qui vont, au sommet de la yourte, retenir le tunduk. Les perches sont courbées afin que le toit soit plus haut et que l'espace intérieur dans lequel on peut rester debout soit plus étendu. Cette installation est précaire tant que des cordes (ou plutôt des sangles car elles sont plates) n'enroulent pas chacune des perches rendant la structure solidaire et stable. Sans les sangles, c'est dangereux, croyez-moi : j'ai pris une perche sur la tête en prenant cette photo !
Toundouk, clé de voûte de la yourte, symbole national représenté au centre du drapeau kirghiz.
Si vous ne travaillez pas le bois et ne tissez pas les cordes, vous pouvez fabriquer des nattes en paille qui seront placées à l'intérieur, tout au tour contre les croisillons. Et un autre gros travail est de faire de grandes couvertures en feutre - avec de la laine de mouton - qui vont recouvrir la structure de bois et isoler contre le froid. Des décorations en laine de plusieurs couleurs vives donnent à la yourte également toute sa beauté. C'est important. 
Notre hôte nous présente son travail du bois, perches et tunduk et nous nous glissons dans le jardin du voisin après être passé devant un coq, quelques moutons et un cheval. Dans cet autre jardin, sur l'herbe, sous les arbres, il y a un aigle, attaché par une patte. Il essaiera de s'envoler à mon approche mais ne pu aller bien loin. Il est imposant même posé sur l'herbe ; son regard est perçant, transperçant même. Son bec et ses serres sont pointus à l’extrême. Un peu plus loin, trois femmes confectionnent une natte : elles prennent une grande herbe qu'elles posent horizontalement sur les précédentes et font passer un fil de laine noir par dessus ou par dessous, à une douzaine d'endroits. Et répètent les mêmes mouvements inlassablement. Quel travail de fourmi ! A coté, sur un banc, une autre femme entoure, à partir de laine brute non filée mais teintée en rouge, un de ces brins de paille ; ceux-ci seront insérés à intervalle régulier dans la fabrication de la natte pour l'embellir.
Dans la maison suivante, nous voyons une femme agenouillée devant un métier à tisser ; elle tisse une bande décorative avec un motif répété. La maîtrise de son travail lui permet de suivre, en même temps, un programme à la télévision. Et derrière les maisons, des chevaux et des bovins regagnent leur enclos. Le chemin est en terre, les clôtures en bois. Les hommes sont habillés très simplement et certains sont coiffés du chapeau traditionnel kirghize. Tout est calme, nous sommes hors du temps.

Nous passons une nuit dans ce village et nous poursuivons, sur une montagne proche, chez un chasseur à l'aigle. Plusieurs hommes et femmes sont justement en train de monter leur yourte à coté de la maison. La grand-mère surveille et ne se gêne pas pour réprimander ceux dont le travail ne lui convient pas. Plusieurs chiens en liberté déambulent ou somnolent. Un lévrier blanc étonnant se redresse ; ses pattes et ses oreilles sont grandes et recouvertes d'une grande quantité de poils blancs, son museau est long et fin, comme celui de tous les lévriers. Il a une allure presque difforme, et du fait des poils on ne voit pas sa ligne très fine caractéristique de cette race de chien très rapide. Je découvre qu'il est aussi utilisé pour la chasse. Une autre chasse est pratiquée ici, celle à l'aigle. Une démonstration suffit à nous convaincre de l'obéissance et de l'habileté du rapace. Après-midi de cheval dans les montagnes verdoyantes, un bon repas et au lit. 
Pour finir, nous partons à pied dans cette vallée rouge appelée "fairy tale". Ça devient littéralement féerique avec l'apparition d'un berger derrière son troupeau sur la crête d'une montagne (photo ci-dessous). Et nous faisons un arrêt rapide dans la ville de Karakol où l'on peut voir une vieille église orthodoxe toute en bois (mais pour les Russes que nous sommes, ça n'avait rien d'exotique). Nous concluons notre tour de cet immense lac d'Issyk Koul, par le nord. Nous nous arrêtons dans la région la plus touristique avec ses stations balnéaires, ces bicoques sur la plage, ses manèges et sa grande roue. Nous sommes encore hors saison, il n'y a personne et l'eau est trop fraîche pour la baignade. Nous croisons à plusieurs reprises des troupeaux de chevaux et parfois assez éloignés d'eux, les bergers-cavaliers entourés de calme et de sérénité. Nous perdons nos repères devant ces modes de vie ancestraux.  A nous demander encore : qu'a-t-on gagné avec la vitesse sinon d'avoir perdu le temps ?

samedi 9 juillet 2016

La grêle

A gauche à quelques pas, la montagne est enneigée. On a bien grimpé. Le ciel est couvert maintenant, le vent plus froid. Nous passons le col. Aussitôt, nous prenons de pleine face un orage de grêle. Les grêlons sont tout petits, cinglants, le vent puissant. Nous sommes littéralement paralysés. Les chevaux n'avancent plus. Les palefreniers viennent nous dire qu'il faut absolument descendre de cheval. Sauf que nous sommes à peine capable de le faire seul. Nous sommes rapidement trempés, glacés. J'avais sur moi mes habits de pluie mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Je range l'appareil photo ; il est bien mouillé mais j'aurai la preuve que c'est du bon matériel, aucune conséquence fâcheuse ne sera à déplorer. On entend le tonnerre mais il n'est pas très proche. La plus jeune d'entre nous a peur et pleure. Le mauvais temps va durer un peu, il faut bouger pour nous réchauffer. Les chevaux sont finalement attachés les uns derrière les autres, nous finissons par tous avoir sur nous nos habits de pluie et nous commençons à descendre. Je cours pour me réchauffer. En descendant, la pluie cesse. Je retire mes gants de cuir et les essore. J'ai les mains gelées. Le froid est si soudain et intense que j'aurai à plusieurs reprises pendant quelques jours des douleurs et des paralysies dans la main gauche au moment de tourner le zoom de l'appareil photo.
La montagne est belle, le brouillard, l'humidité, le ciré vert du palefrenier, j'adore ! Je suis ravi de l'expérience mais ce n'est pas le moment que je le dise, je dois être le seul. Je ne sais pas combien de temps à duré l'épisode, peut-être 30 minutes, une heure ? Il va en falloir beaucoup plus pour que l'on soit sec par contre. Je ressors le reflex avant que l'on ne remonte sur les chevaux. C'est bientôt l'heure du pique-nique. Tout est humide, personne n'a envie de s'arrêter d'autant plus que l'on n'est plus très loin du camps de yourtes où l'on doit passer la nuit. A cheval, en avant ! On mangera plus tard. Les torrents sont ravis, ils dévalent la pente. Un troupeau de yacks sur notre gauche, accroché à la montagne. Et déjà dans le fond de la vallée, après avoir dépassé sur notre droite une ferme solitaire, nous voyons quelques yourtes, deux cabanes et un mur en pisé. Une fumée. L'image de la soupe sur le feu, d'un intérieur chaud suffit à notre bonheur.
Aussitôt arrivés, les chevaux sont attachés, déchargés. Les palefreniers vont repartir, chacun de leurs coté avec tous les deux quelques chevaux ; ils n'appartiennent pas tous au même propriétaire et ils ne retournent pas tous au même endroit. Notre chauffeur est là, j'ai reconnu la voiture de Mourat, ça fait plaisir de le retrouver. Une connaissance, c'est un peu de chaleur en plus. La pluie reprend par moment mais sans violence cette fois. Une petite fille nous regarde arriver. Une yourte nous est attribuée pour notre famille de cinq. Une yourte avec une cheminée ! Une yourte avec un poêle ! Mais une fois à l'intérieur, on comprend qu'il ne faut pas crier victoire trop vite, c'est un four ! Les habits vont vite sécher Notre hôte nous fais chauffer la bania. Etre trempé et pouvoir une heure plus tard se changer et se chauffer, se restaurer même avec des plats chauds, quel luxe !
Une fois propre et réchauffé, nous partons visiter. Et oui, il y a un site historique un peu plus loin, que j'ai aperçu à cheval au pied d'une montagne enneigée. Il y a un caravansérail, le caravansérail de Tach-Rabat, du XVème siècle. Nous sommes sur la route de la Chine, au nord de la chaîne du Pamir. Le caravansérail accueillait les marchands avec leurs animaux, chevaux ou chameaux chargés de marchandises. Aujourd'hui ce grand bâtiment en pierres sèches à l'allure de forteresse est abandonné. Mais il est plaisant d'imaginer de l'agitation, des cris, des odeurs, de la vie entre ces montagnes austères et arides. C'est ici que nous laissons nous aussi nos bêtes pour reprendre la route, pas encore goudronnée, en automobile. Un dernier troupeau de yacks traverse devant nous pour franchir ensuite un torrent et repartir sur l'autre versant. 

Notre route, très accidentée, est encore longue - puisque nous allons faire le tour d'un des plus grands lac d'altitude du monde - et elle nous réserve encore bien des surprises.

(à suivre)

mercredi 22 juin 2016

Un col enneigé

Les yacks partis (voir article précédent "Les yacks"), ce sont les moutons qui prennent la place et ceux-là, pour la nuit entière. La région n'est pas du tout boisée mais ça n'empêche pas les loups de s'approcher. Cet hiver, le berger a dû sortir son fusil pour chasser un carnivore menaçant. 
Notre repas va se dérouler dans la maison. On enlève ses chaussures dans l'entrée, comme partout. La porte est petite et très simple. La maison est un rectangle coupé en deux parties. A gauche, le salon qui fera office de dortoir cette nuit. Une haute pile de tapis dans un coin permettra à chacun d'avoir de quoi dormir aussi confortablement que sur un lit. Nos matelas de camping ne servent à rien, on aurait pu s'épargner leur transport peu pratique. 
Dans la partie droite de la maison, le premier mètre constitue l'entrée ; à gauche de la porte, un lavabo de campagne, à la sibérienne : une bonbonne en plastique accrochée au dessus d'une bassine. L'extrémité inférieure du réservoir est percée et fermée par une tige à la verticale qu'il suffit de pousser vers le haut pour laisser l'eau couler. Moins technique et plus pratique qu'un robinet ; on ne le salit pas quand les mains ne sont pas propres !
En face de la porte d'entrée, la porte de la cuisine. A droite, la table et une fenêtre, en face, une autre fenêtre et sur la gauche, le plus intéressant, le mur entre les 2 pièces principales : le poêle est intégré dans la cloison avec la plaque de cuisson sur le dessus. L'ouverture comporte des volets métalliques de part et d'autre : c'est une fenêtre sur le salon. Le mur est très épais, la cuisinière profonde permet de faire chauffer plusieurs casseroles ou bouilloires simultanément et le foyer est de bonne taille. Chauffage et cuisine ne font qu'un et sa place centrale assure une chaleur maximale dans tout l'habitacle. 
Le repas pris, je ressors. La nuit est partout. Mais je tombe en arrêt devant un nuage de points oranges phosphorescents, regroupés sur le côté de la maison, comme des lumières infrarouges. Des armes à visée nocturne ? Tu regardes trop la TV Christophe ! On ne boit pourtant pas d'alcool, je n'ai pas non plus l'impression de dormir, qu'est-ce que c'est ? C'est attirant mais très mystérieux. Le ciel est bleu très foncé, voilé sans étoiles. Aucune lumière parasite à perte de vue sauf celle qui provient de la cuisine, traverse l'entrée et s'échappe par la porte de la maison. Les deux fenêtres de la cuisine sont à l'opposé de la battisse. D'où ce contraste saisissant ! Compte tenu de l'emplacement, ce ne peut être que les yeux des moutons, couchés dans l'enclos. Incroyable ! Il n'a fallu qu'un de mes pas hors de la maison pour que tous soient en éveil. Ils sont restés couchés tout de même. Mais vous ne dormez pas les biquets ? Ne bougez-pas, je reviens... Je pars chercher mon appareil photo mais le temps de me repositionner, d'effectuer quelques réglages, ils ont disparus. Les yeux, pas les moutons !
Nuit.
Il n'est pas six heures ce matin que la patronne met en route le poêle. Je saute de mon duvet, ou plutôt de mon drap. La température était déjà très élevée la nuit ; six personnes couchées dans le salon et quatre autres dans la cuisine. Le poêle avait en plus bien chauffé l'habitacle la veille au soir. Pire qu'à Moscou où il faut ouvrir les fenêtres l'hiver tellement le chauffage municipal fait grimper le thermomètre, ici, une fois la chaleur du fourneau dans la pièce - autant dire aussitôt compte tenu qu'il n'est qu'à un mètre de mes pieds - je bous comme à la bania et je n'ai d'autre issue que de me précipiter dehors ! Ouf, de l'air ! Impossible de rêver à une grasse matinée dans ces conditions. Ce n'est pas plus mal car ce n'est pas au programme. Grosse journée de cheval aujourd'hui. Bon petit déj, photo de nos hôtes adorables et en selle.
Nous reprenons la vallée par laquelle nous sommes arrivés, direction le mon enneigé droit devant. On ne part pas faire une ascension mais tout de même, on doit passer un col à 3500 mètres d'altitude. Ça monte moyennement pendant la première partie, le groupe s'étale. On peut chevaucher seul tranquille, dans ses pensées ou entièrement en communion avec la nature, ou chevaucher à deux de front pour partager, papoter. On reste plus facilement en groupe lors de randonnées pédestre. Surtout quand c'est la première fois que l'on fait du cheval et que ce dernier fait ce qu'il veut tout en vous laissant croire que vous dirigez. Un ruisseau. L'eau coule assez vite du fait de la pente. Oh, un grand névé ! On le longe quelques temps. Pas de doute, on est vraiment en montagne. Il n'y a pas de grand soleil mais il ne fait pas froid. 
Sur la droite, nous passons tranquillement à coté d'un enclos de mottes de terre. Étrange. Ici ni troupeaux ni habitations à proximité. Ce sont des excréments en train de sécher. Faute d'arbres, les bouses représentent le combustible. C'était d'ailleurs comme ça que notre berger chauffait sa maison. Et aucun problème d'odeur, je vous rassure. Alors qu'hier, on n'a pas laissé les chevaux boire pendant l'effort, là on fait une exception, on a le droit de lâcher la bride et les équidés ne se font pas prier : ils fléchissent le cou jusqu'à ce que leurs babines trempent dans l'eau. C'est la fête. Avant la tempête. Oh des yacks !
On repart, ça grimpe, la fraîcheur fait son apparition. Dernier faux plat avant la grosse côte finale. On s'arrête pour sortir les coupe-vents ou autres pelures d'oignons. Une gorgée d'eau pour nous aussi. Moi, j'ai en permanence mon pantalon coupe-vent en goretex sur un pantalon léger en coton, mes chaussures de rando en goretex et mes petits gants en cuir. Et une toque plus imperméable que ma casquette si elle n'était ajourée par de longues aérations. J'ai enfilé mon vieux coupe-vent (aussi en goretex - une manie de randonneur) et j'ai toujours le reflex en sautoir. Les chevaux en ont profité pour brouter ; le plus gênant dans ces moments, c'est que le cavalier doit tendre le bras le plus loin possible pour ne pas lâcher la bride.

On repart et on fait de grands lacets, il faut être très vigilent sur l'angle des courbes pour que l'on arrive ensemble en haut, au bon endroit pour le passage du col. Les chevaux sont concentrés, tout entier dans leur effort. Mais laissez les faire et ils redescendent imperceptiblement pour aller brouter ! A gauche à quelques pas, la montagne est enneigée. On a bien grimpé. Le ciel est couvert maintenant, le vent plus froid. On a été bien inspiré de s'habiller.

(à suivre)



mardi 7 juin 2016

Les yacks

Les montagnes sont maintenant proches de nous, de chaque côté, très raides. Un torrent serpente au milieu. Les chevaux se suivent, l'un derrière l'autre, tantôt à droite, tantôt à gauche du cours d'eau. Ils ne marchent plus collés les uns aux autres comme ils avaient tendance à le faire dans la steppe. Toujours aucun arbre, aucun arbuste. La neige n'est maintenant plus très loin mais il ne fait pas froid du tout. Il fait beau sans que le ciel ne soit jamais complètement bleu. Le sol est humide, spongieux par endroit. Nous ne devons pas laisser boire les chevaux pendant l'effort, cela pourrait les tuer. Des pierres, de l'herbe rase et près des torrents une espèce de grosse mousse qui forme parfois des étendues bosselées. Le temps s'écoule lentement, les heures passent

Le paysage se renouvelle au fil des circonvolutions de la vallée. Des points noirs sur un versant herbeux sur notre droite. C'est très pentu, mais c'est là que les moutons ont décidé d'aller. Un cavalier arrive à notre rencontre. C'est le berger. Notre berger. Celui chez qui nous allons passer la nuit. Il va nous montrer le chemin. Nous n'avons vu aucune trace d'habitation depuis notre pause de midi. M. qui n'aime pas contraindre son cheval à avancer plus vite est légèrement derrière nous. Ce que nous ne voyons pas est qu'elle n'a plus la force de ne rien dire, plus la force de guider son cheval. Ses yeux se ferment par instant. Ilichbek, prévenant, s'en aperçoit et lui propose de terminer le chemin à pieds. Sage décision.
Nous prenons la vallée qui s'ouvre sur notre droite et qui débouche sur une haute montagne enneigée. Soudain se détache à flanc de coteau, une petite maison au toit de tôle. Très simple, de forme rectangulaire, blanche ou presque. Elle regarde la vallée mais on ne voit pas âme qui vive. C'est la demeure du berger, notre bivouac. Les chevaux traversent un dernier petit ruisseau et ils se mettent à grimper, sans rechigner. Je n'ai pas l'habitude de gravir des pentes si raides en étant porté ; je suis un peu gêné mais les chevaux ne manifestent aucune souffrance. Les deux marcheurs arrivent un quart d'heure après nous et M. s'allonge et s'endort à l'ombre de la maison. Il y a aussi une voiture stationnée. Elle a réussi à monter jusque là mais je suis surtout étonné qu'elle ait pu faire tout ce chemin qui ne me semblait pas carrossable !
Derrière cette habitation nous découvrons un grand espace plane qui a permis l'installation d'un enclos et d'une bergerie. Je m'approche, à cheval tout d'abord, car ce sont sur les piquets de l'enclos que vont être attachés les équidés. Le parc est plein de yacks, de toutes tailles, de tous âges. Avec eux se trouvent plusieurs hommes, dont le plus jeune chargé du travail délicat qui consiste à isoler la bête à vacciner et à l'attraper par l'encolure pour la coucher au sol, comme dans un combat de lutte. Il s'aide souvent d'un lasso et d'un ou deux compères quand les animaux sont trop gros et qu'ils déploient une force surhumaine. Ensuite un quatrième procède à la vaccination. Les autres bêtes ne sont pas agressives, elle se reculent au contraire au maximum pour échapper au danger que représente ces bipèdes. Ces yacks semblent venir d'un autre siècle, à l'image du rhinocéros laineux, à l'image du mammouth légèrement bossu. Leurs cornes peuvent être grandes mais ils n'en ont parfois pas du tout. Est-ce que les éleveurs ou bergers sont parfois amenés à les couper pour des raisons de sécurité ? Je n'aurai pas le temps de le savoir. Et certains jeunes yacks sont empêchés de téter par une plaque de métal accrochée à leurs naseaux : ils doivent laisser leur place aux derniers nés ! 
Je redescends près du ruisseau vers Iris en espérant plonger mes pieds dans l'eau mais elle n'est pas claire du tout. Elle est même tellement boueuse que nous hésitons un long moment. Je cède finalement, à l'idée du plaisir d'enlever mes grosses chaussures et de trouver de la fraîcheur. Ilichbek nous rejoint et nous prévient qu'il a vu les bergers faire chauffer dans les flammes, le fer destiné à marquer les bêtes. C'est sans me presser que je remonte la colline mais il est déjà trop tard, l'opération est terminée. Mince j'aurais trop aimé voir ça ! Je ne me souciais pas de la douleur de l'animal, je n'étais plus là - ici et maintenant -, j'étais transporté dans le passé, dans un autre monde. Un des hommes ouvre déjà l'enclos, sans prévenir, et laissent repartir les bêtes vers les montagnes. Ce n'était donc pas un refuge pour la nuit comme je le pensais. L'instant est simplement magique, la terre fume sous le pas des animaux qui n'hésitent pas une seconde sur la direction à emprunter ! Cette fois je ne laisse pas passer ma chance, je cours à coté du troupeau sans prendre le temps de rattacher les lacets de mes chaussures et réussi quelques photos extraordinaires :

Je ne suis plus vraiment au Kirghizstan, je suis au Dolpo où j'ai vu les yacks participer aux labours en haute altitude, il y a vingt ans déjà.

(à suivre)


jeudi 2 juin 2016

La saison une est publiée !

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(à suivre)

lundi 23 mai 2016

Tchou tchou

Petit déjeuner et voiture pendant une heure pour nous éloigner du village et de ses chiens. Très grand soleil mais nous sommes inquiets car des nuages sont annoncés et la pluie à cheval, il parait que c'est bien plus désagréable qu'à pieds ! Mais il fait beau, ne boudons pas notre plaisir. Les chevaux nous attendent. Neuf. Nous voyageons avec notre guide francophone, c'est le grand luxe, ça permettra de bien mieux comprendre les gens que nous rencontrerons. Deux des chevaux servent à porter les bagages. Garance n'est pas avec nous, elle est restée à Moscou réviser pour le bac ; de plus elle a un entretien en France dans une école pour l'année prochaine.

Trois bombes sont disponibles pour les cavaliers le désirant. Iris ne voulant pas en entendre parler - tout à fait incompatible avec un chignon en haut du crâne et avec un bronzage parfait - il y en a une pour moi. C'est plus confortable que ma casquette contrairement à ce que je croyais. Iris aura finalement des coups de soleil monumentaux, le nez brûlé. Attention au soleil de montagne !

Pour aller à droite ou à gauche il suffit de tirer les rênes dans la bonne direction. Pour arrêter le canasson, on tire en prononçant un R très roulé ; rrrrr ! Pour avancer l'on dit "tchou" en accompagnant la voix de coups de talons dans les flancs de la monture si elle fait la sourde oreille. Allez, c'est parti ! Davaï (давай) ! Tchou tchou !
Les chevaux sont très bien dressés, aucun ne s'emballe, ils avancent tranquillement. L'on va plus vite qu'à pieds mais en ayant l'impression d'une grande lenteur. Nous avons tous notre petit sac à dos comme dans une randonnée pédestre, avec coupe-vent, eau, fruits-secs. J'ai en plus un sac photo avec un reflex équipé d'un zoom 28-300 assez lourd mais qui dispose d'une position anti-vibration en plus de la stabilisation. Je ne m'arrête pas pour cadrer, déclencher. Je dois donc anticiper, être toujours prêt. Mon cheval est très agréable, il suit le groupe même quand je lâche les rênes. A pied, un arrêt pour photographier prend un temps fou car on ne peut pas marcher avec l’œil au viseur. Et comme je suis plutôt du genre indécis et perfectionniste, imaginez !

La matinée, nous chevauchons dans une grande plaine entre 2 chaînes de montagnes aux sommets enneigés. La steppe. C'est grandiose ! Nous doublons un grand troupeau de moutons, une belle roulotte isolée, quelques vaches seules, des mausolées en terre au pied des montagnes. L'islam est très discret ici mais il se rappelle à nous parfois au détour d'un chemin. C'est à chaque fois un plaisir qui témoigne de notre éloignement des terres chrétiennes, qui témoigne de la vie spirituelle au plus profond du pays. C'est à chaque fois une rencontre avec l'histoire. Et ce sera encore plus étonnant quand près du lac, nous verrons des mausolées côtoyer des symboles de l'URSS.
Nous approchons d'une maison, j'aperçois 4 ou 5 hommes, nos deux palefreniers discutent quelques instants en kirghize mais nous, nous continuons sans nous arrêter car les chevaux sont nerveux, plusieurs chiens se sont rapprochés et aboient tout ce qu'ils peuvent. Il y avait un cheval blanc sellé devant un mur de terre blanchi, la bride autour du coup, impassible ; une vision de western que je n'ai pas eu le temps d'immortaliser. Deux cents mètres plus loin, près d'un torrent, nous nous arrêtons : c'est la pause déjeuner ! L'eau est froide mais il y a de l'herbe partout, les chevaux entravés cassent la croûte en même temps que nous. Deux se défient nez à nez ; et un grand hennissement se fait entendre. Un palefrenier fais sa prière quelques mètres plus loin. Le pique-nique se compose de crudités, sardines, pain, reste de beignets, fruits secs, mandarine, thé. Pause, allongé dans l'herbe.
Puis on repart vers notre gauche, en s'enfonçant dans une vallée encaissée, direction la montagne.

(à suivre)