mercredi 29 novembre 2017

De la lumière dans la nuit

Exposition de photographies de Christophe Gibourg à la librairie du Globe (67 bd Beaumarchais, Paris) à l'occasion de la rencontre entre Veronika Dormanet Marc Crepin autour de leurs livres sur la Russie.

A partir de ce jeudi 30 novembre à 19h30.
"Ces photos russes de Moscou et de Sibérie sont des instants suspendus qui font écho à toutes ces nuits historiques, à ces évènements que certains voudraient laisser dans l'ombre. La nuit va-t-elle engloutir la lumière ou la lumière va-t-elle avoir raison de l'obscurité ?"

jeudi 16 novembre 2017

Grèce

Athènes, octobre 2017
La vie en Russie est terminée. Quatre années ont passé et il nous faut retourner vivre en France. Pas question de se plaindre, nous avons eu une grande chance de pouvoir découvrir cette autre vie. Il faut maintenant se réadapter à l'ancienne sans avoir l'impression de faire machine arrière. De nombreux amis sont déjà revenus, aussi, en France, après avoir vécu là-bas. Nous retrouvons nos repères géographiques, nos voisins sympathiques. Tatiana, une professeur de russe adorable vient à la maison entretenir et approndir la langue cyrillique pour les enfants qui vont la présenter au bac dans quelques années. C'est une partie importante de leur vie, il n'est pas question pour eux de refermer la porte et d'éteindre la lumière. Notre oreille distingue désormais la langue de Pouchkine à tous les coins de rue. C'est incroyable comme on peut en entendre partout ! Et il y a plusieurs évènements autour de la Russie à Paris : expositions, livres, festival de cinéma... Il est vraisemblable que cela n'est pas nouveau mais que c'est seulement maintenant que nous y sommes sensibles. J'ai même pu boire un verre de kvas, ce n'était donc pas un rêve ! Car se retrouver dans la même maison peut parfois donner l'impression que l'on s'est endormi longtemps et que rien n'est réel. Quelques heures d'avion et votre vie change. Déjà deux mois et pôle emploi, par exemple, ne veut pas reconnaître mon statut de salarié licencié malgré les promesses faites en 2015. Personne ne nous attend ni ne nous ouvre les bras. C'est une nouvelle expatriation mais avec moins de surprises car on maîtise la langue, on connait ses sourires qui cachent une absence totale de solidarité. On avait voulu oublier cela et peut-être rêvait-on d'être accueilli comme l'enfant prodigue de retour au pays. Et bien non. La France n'est pas une terre d'accueil, le témoignage des migrants nous le montre tous les jours et dans des proportions sans commune mesure. L'angoisse de revenir en arrière, alors que la pendule tourne de plus en plus vite, me pousse vers la photographie plutôt que vers l'informatique pourtant pourvoyeur de davantage d'emplois.
Delphes, octobre 2017
Les première vacances scolaires nous entrainent, pour la première fois, en Grèce, découvrir un nouveau pays d'Europe avec une température plus clémente que celle de Paris en octobre. Le grec est tellement proche du cyrillique que nous sommes encore un peu en Russie. A notre grand plaisir.
Stade de Delphes, IIIème siècle avant JC, octobre 2017
Les lumières de la côte et la mer au clair de lune, Grèce 2017


dimanche 1 octobre 2017

Kamtchatka part 9 et fin

Le brouillard est de plus en plus bas, à ne plus savoir si les brumes que nous traversons viennent du ciel ou de la terre. Plus loin encore, une partie de la coulée de lave est plate et est constituée de plissements ; elle contourne un petit volcan, à la manière d’un glacier se frayant un passage entre les montagnes. Il est temps de rebrousser chemin. Nous repartons par le même itinéraire, légèrement différent compte tenu des changements de lumière et de température. Mais il aurait eu véritablement un autre aspect si le soleil avait pu avoir raison des nuages. La journée n’est pas terminée. Nous avons le temps de nous rendre sur un site un peu plus bas. Une heure de Kamaz et nous sortons du coton et retrouvons le soleil, et une végétation plus dense. Le sol est toujours fait de graviers noirs mais de nombreux arbres ont repris vie. Certains font plusieurs mètres de hauteur. Une forêt nouvelle de conifères, d’un vert clair, illumine le paysage. Elle rejoint, au loin, la forêt ancienne, de couleur beaucoup plus foncée. Les fleurs sont plus nombreuses. Et malheureusement, les moustiques ont aussi repris possession du lieu. C’est infernal.

Nous sommes ici car on peut accéder, au prix d’une escalade à la portée de tous, à une grotte sous la lave. La verdure entoure le lieu mais, dans la profondeur d’un petit cratère, nous pouvons nous faufiler dans une brèche. Evidemment personne ne nous a prévenu de la nature de l’expédition et nos lampes frontales sont dans les tentes. Alors, à la lumière de téléphones portables (car heureusement, même ici, sans l’espérance d’aucun réseau, quelques uns n’ont pu se séparer de leur nouvel organe), nous découvrons un dôme noir strié, comme une écorce, ou composé d’alvéoles imparfaites, comme la structure de la Lune vu depuis la Terre. Pas de stalactite, pas de stalagmite. Ni moustique, ni chauve-souris. Le volume est équivalent à celui d’une grande salle, haute de plafond. Mais dans le noir presque complet, l’intérêt de prolonger la visite reste limité. Retour au camp de base, lui, toujours dans la brume. Une fenêtre dans la couche nuageuse, à l’horizon, nous fait profiter d’un original coucher de soleil. Vite, je grimpe sur le gros rocher dominant le camp. Libre. Libre de regarder le temps qui passe, dans un paysage d'une autre ère.
Quelques points d’eau sibériens ont été installés pour permettre de se laver : un récipient d'une capacité de deux litres et quelques, est placé à un mètre cinquante du sol, et une tige métallique placée dessous, en plein centre, permet, en la poussant vers le haut, de laisser couler un filet d’eau. Il fait froid mais je sors bravement ma brosse à dents. Devant moi, dans cette salle de bain en plein air, un russe, torse nu, fait tranquillement sa toilette. Je ne suis donc pas si libre que cela, prisonnier de ma frilosité ! Le lendemain, avec un ciel un peu plus clair, les guides nous proposent de retourner sur nos traces d’hier et de monter plus haut. Je négocie une sortie en solitaire pour faire des photos mais de l’autre côté, où ne nous sommes pas allé, et où j’ai aperçu une autre coulée de lave noire très belle, descendant directement du grand volcan nous dominant. Le guide m’autorise à partir seul mais en restant visible car il peut toujours y avoir des ours. Compte tenu que nous n’en avons pas vu l’ombre depuis que nous sommes dans cette zone quasi désertique, ça ne m’inquiète pas le moins du monde. Le petit déjeuner avalé, je m’éloigne, trop excité d’être enfin seul, de pouvoir choisir de quitter les chemins, tous les chemins. Comme la dune de sable, qui peut être ferme ou au contraire, se dérober sous les pieds, la montagne noire de scories peut être gravie à certains endroits mais à d’autre, le pied s’enfonce et la progression est plus chaotique. Mais quel plaisir de patiner ainsi d’impatience, d’aller plus haut, plus loin mais lentement, et d’y arriver essoufflé ! Un des versants de ce volcan est jaune de lichen, cet autre est noir avec une seule fleur jaune en plein milieu, et le suivant, deux cent mètres plus loin, est moitié orange, moitié noir. Et la séparation des couleurs se fait en ligne droite. Entre les deux, une autre pente grise recouvertes de cailloux de toutes les tailles, le résultat d’une pluie de pierres. Ça donne l’impression d’arriver sur la Lune. Et plus en aval, en me rapprochant de la coulée noire grimpant jusqu'à la base du Tolbatchik, un névé recouvert partiellement de poussière noire, après que le vent ait sculpté la neige en une multitude de petits cônes, reprenant en miniature le relief de la chaîne de volcans du Kamtchatka.

La mosaïque est étonnante et les différents tons sont doux. Les lignes se poursuivent plus bas avec les traces d’un véhicule qui est passé il y a déjà… un certain temps, avec, les longeant, une séries de pas, humains ceux-ci. Mais de l’autre coté des ombres creusées par les roues, il y a de gros ronds qui pourraient être les empreintes d’un ours. Ce monde vide a besoin d’histoires !
Quel plaisir de se coucher dans ce sable vierge ! Comme la neige immaculée dans lequel le skieur est le premier à glisser, les scories noires mais propres (elles ne laissent aucune trace au toucher à la différence d’une cendre) épousent la forme du corps. Ce n’est pas pour le plaisir de se rouler comme un animal dans la boue – la nature de ce terrain est plus proche du gravier que du sable fin des dunes du Sahara - mais pour photographier une fleur devant un grand volcan en partie enneigé et avec un nuage accroché à son sommet, comme un poisson pilote après une raie Manta. Le sol est tiède, sa couleur et la nature de la roche participent à l’emmagasinement de la chaleur, et sa fermeté le rend très confortable. Mais je ne suis pas là que pour ça, je n’ai que quelques heures pour moi sur cette planète. Un vrai prince. Je suis prêt à parler à un renard ou à un ours. En redescendant, les blocs de roches jaunis de lichens m’évoquent des images, non plus de la Lune, mais de la planète Mars. Je crois que me références en matière de déserts et d’espaces infinis s’arrêtent là. En me rapprochant de ce nouveau relief, je trouve de vrais petits massifs de végétations de plus d’un mètre de long et des touffes d’herbe sur près de quatre mètres. A ce rythme là, je vais bientôt découvrir une oasis ! Et, sur le pourtour de ces grandes herbes, plusieurs fleurs bleues à clochette. Ce qui n’aurait pas arrêté mon regard dans la campagne française, prend soudain une toute autre valeur. Un insecte butine. Le premier et le dernier que je verrai dans toute cette zone. J’exclue le moustique qui n’est pas vraiment un insecte mais une erreur de la nature. Personne n’est parfait.

La nuit passe et il faut maintenant redescendre sur terre en retraversant la forêt et affronter le village aux mille milliards de moustiques. Avant cela, nous nous arrêtons non loin de la forêt, sur le plateau, où nous avions vu en arrivant des fleurs vives, complètement isolées sur le sol noir. Nous ne voyons pas les bleues clair mais en trouvons quelques une de violettes. Le site est parfait. La pente est légère, les volcans sont derrière nous et devant – avec un ciel clair et quelques jolis nuages très mobiles –, s’étale la forêt à l’infini. Des centaines de mètre de sol nu avec pour seul relief des plantes minuscules, éloignées les unes des autres. On ne les voit pas de loin. Nous finissons tous assis ou allongé sur ce revêtement des plus confortables. Idéal pour se coucher devant les fleurs rases ; certaines sont sans tige, ne laissant aucune prise au vent. Le volcan le plus haut reste coiffé de nuages. Aucune envie de quitter cette zone. Ce sera surtout synonyme de retour.
Un camion Kamaz arrive vers nous. Il monte depuis la forêt. Orange et blanc, comme le notre. J’assiste à notre arrivée. La boucle est bouclée, le temps se répète. La descente sera plus rapide que la montée, cela va sans dire mais pas sans heurts. Nous sauterons de nos sièges, les arbres défileront en boucle, derrière les fenêtres. La tête dodelinera à gauche puis à droite mais sans musique. Les heures vont passer, les kilomètres très certainement se succéder mais ce sera toujours les mêmes troncs, les mêmes branches qui viendront cogner la carrosserie. Le village. Un magnifique cheval, seul, au milieu de la route, vient à ma rencontre. Et le lendemain matin, au moment du départ, un volcan bien visible, en plein contre-jour, laisse échapper une fumée épaisse. Le Kamtchatka nous salue. 

vendredi 15 septembre 2017

Kamtchatka part 8

Nous sommes bien sortis de la forêt, nous la dominons, notre regard va aussi loin que nous le permettent les nuages et la brume qui s’étendent à l’horizon. Nous roulons au milieu d’une multitude de petits volcans noirs. Nous nous arrêtons entre deux d’entre eux. Au sol, des pierres ont été disposées en une série de cercles concentriques d’une dizaine de mètres de diamètre. Un repère pour les camions ou pour les hélicoptères ; nous en verrons un se poser à quelques mètres, une fois notre ascension commencée. Nous avons, par chance, évité de recevoir la tonne de poussière soulevée par le souffle des rotors. Un autre Kamaz, semblable au notre, était déjà sur le site. L'Homme a-t-il peur de l'isolement ou les agences de voyage ne comprennent-elles rien aux motivations des citadins qui partent dans les contrées éloignées et désertiques ? "Ce petit volcan là, on le connait, il y a un petit chemin déjà emprunté qui mène jusqu’en haut. On sait que l’on va trouver des bouches de chaleur, que le morceau de bois que l’on ramassera dans cet espace minéral – trouvé là par hasard - va s’enflammer après y avoir été introduit, comme si nous étions très proche du magma."
Au pied de ce volcan, se trouve une énorme pierre, semblable à un boulet de plusieurs mètres de diamètre. Elle est venue par les airs, lors d’une violente éruption. Une plaque commémorative y a même été fixée. La montagne est composée d’une roche noire qui, par moment, devient grise puis rouge avec des reflets allant jusqu’au violet. Nous voyons devant nous une belle colline en forme de dôme. Derrière nous, plusieurs autres dessinent une silhouette allongée, le tout de couleur sombre se découpant sur un ciel nuageux avec des éclats de bleu, au gré du vent. Et quand on redescend, le petit volcan présente une vue de profil ; sa forme conique se termine par un sommet concave, comme on peut se représenter le stéréotype de ce relief. Mais, depuis le sommet voisin, plus haut, on est face à une grande coulée de lave refroidie qui prend naissance sous nos pieds. Le cratère lui-même n’existe plus, il ne subsiste qu’un coté. Une sorte d’immense toboggan gris et noir traverse le paysage jusqu’à la forêt, qui plusieurs kilomètres au sud, redéploie son manteau vert.
Par endroits, des taches jaunes apparaissent, plus ou moins grandes, plus ou moins denses. Ce sont des lichens, la première végétation à se développer sur la roche volcanique. Nous reprenons notre véhicule pour nous rendre jusqu’à la forêt ensevelie. Une éruption, en 1975, dura un mois et demi. Une vaste zone de toundra et de forêts fut recouverte d’un épais manteau de scories. Au loin, on aperçoit des troncs gris. Sur le site, nous sommes face à des arbres morts, toujours debout, assez espacés. Il s’agit des sommets des grands arbres émergeant d’une forêt recouverte par dix ou vingt mètres de cendres. Après plusieurs décennies, le sol est dur et des pousses vertes d’épicéas refont surface, se détachent visuellement de ce monde noir et blanc. Nous sommes dans une forêt sans bruit, sans animaux, sans feuilles mortes ni champignons. Une forêt sans beaucoup d’ombres. Le spectacle est surréaliste. Au dessus de ces cimes, entre les restes de troncs, la silhouette d’une multitude de volcans se dessine. Dans une direction, on devine un grand plateau noir ; au-delà, l’horizon est masqué par un cône volcanique aux couleurs rouges maquillés par des plaques jaunes. Un des arbres montre une énorme excroissance à la limite de sa cime, soit encore à six mètres de ce nouveau sol : c’est un nid, un gros nid de rapace certainement, qui a été calciné, si ce n’est par les flammes, par la chaleur violente qui a régné après l’éruption. Et il est toujours là, comme fossilisé.

Nous rejoignons le camp de base où nous allons planter nos tentes pour quelques jours et surtout quelques nuits. Les infrastructures communes justifiant le rapprochement avec d’autres groupes se limitent à des toilettes sèches. Trois maisons en bois sont construites ou en cours de construction mais nous n’y avons pas accès. Réservation VIP ? Notre grande tente de cuisine est proche d’une autre. Cela permet de partager le feu de camp et de faire quelques rencontres. Nous pouvons observer la technique des sibériens pour fendre les bûches. Une fois la hache plantée dans le rondin, l'outil est retourné et frappé sur le sol - ou sur un autre morceau de bois - avec le fer et le rondin tournés vers le haut. C'est-à-dire que c’est le bois du manche de la hache qui heurte le sol et non le bois que l’on cherche à fendre. Et, malgré tout, la lame s'enfonce et c'est en deux parties que finit la bûche. Notre aide cuisinière rejoint l’autre groupe qui est plus important que le notre. Leur cuisinier à une fille, espiègle, qui vient jouer avec toutes les bonnes âmes disponibles. Elle n’est pas encore trop grande et je peux lui faire faire l’avion, comme disaient mes enfants : je la tiens par les mains, ou les poignets, et la fait tourner autour de moi jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus le sol et qu’elle vole. Elle est ravie. Mais quand la nuit vient, il reste une énorme pollution sonore : un groupe dîne dans le chalet derrière notre tente avec de la lumière électrique produite par… un groupe électrogène ! Vive la nature !
Le sol est composé principalement de sable noir, d’un grain assez épais évoquant immédiatement les roches que l’on trouve éparpillées sur le sol entre les collines qui nous entourent. Ces roches sont très découpées et de tailles très variables. Elles peuvent être posées sur le sable, comme n’importe quelle pierre, ou constituer des massif de plusieurs mètres avec des touffes d’herbes, des mousses, quelques fleurs. L’ensemble est très esthétique et semble avoir été dessiné par un jardinier paysagiste. Disons plutôt, comme souvent dans l’art, que l’homme a imité – consciemment ou non – ce qu’il a vu autour de lui. Au milieu de cet espace très aride, très proche de nos tentes, nous voyons de petits animaux passer à toute vitesse. On parvient à les observer à une certaine distance. Ils se dressent sur leurs pattes arrière et nous surveillent avant de disparaître dans leur terrier. Je pensais qu’il s’agissait de la marmotte du Kamtchatka mais c’est plus petit, plus fin, avec un pelage brun tacheté de blanc. Ce sont des sousliks – суслик –, des écureuils terrestres. Ils ne sont pas venus jusque dans nos tentes chaparder. Mais il est vrai que dans les régions où les ours sont très présents, il est impératif de n’avoir aucune alimentation dans ses affaires personnelles. Tout est stocké dans la cuisine collective et si un ours y fourre son nez, il peut certes tout ravager mais il ne tuera personne.
Le lieu de bivouac n’est pas trop venteux ; il ne pleut pas mais les nuages sont toujours là et on peut les voir défiler à l’horizon lors du coucher du soleil. Aucune nuit ne nous laissera l’opportunité de contempler un ciel étoilé. C’est pourtant un spectacle éblouissant quand on est loin des villes. Le lendemain, nous partons marcher sous le brouillard. Un groupe est parti plus tôt pour monter plus haut. Je choisis le groupe des femmes, plus cool, me laissant plus d’opportunités de flâner pour prendre des photos. Et mes genoux m’obligent à un peu de retenue vis-à-vis d’éventuelles performances sportives, quelle que soit la frustration que doive endurer mon ego. J’ai été bien inspiré car nous croiserons en montant, le groupe des courageux qui redescendent sans qu’ils soient allés aussi loin que prévu, car ils ont essuyé un grain, une vraie pluie. Ce qui ne sera pas notre cas.
Sous le plafond bas de nuages gris, nous apercevons une chaîne de montagnes, des volcans aux flancs partiellement enneigés, parcourus de rayures. Ces tâches claires sont semblables à des pelages d’animaux et rappellent celles que nous avons pu apercevoir, quelques jours plus tôt, de la fenêtre de l’hélicoptère. Nous sommes arrivés au pied d’une immense coulée de lave refroidie. Des tonnes de pierre noire aux formes les plus variées s’étalent sur des kilomètres, à perte de vue. Mon désir immédiat est d’escalader cette autoroute improvisée, sortant directement d’un volcan en irruption. Mais au-delà du plaisir des yeux, il est très difficile de progresser, à pieds, dans ces éboulements. Donc une fois la première excitation passée, nous reprenons le chemin le long de la coulée de lave pour aller chercher, plus haut, un passage praticable devant nous conduire vers le haut de cette zone éruptive, différent, encore chaud mais résultant de la même activité volcanique récente de 2013.

Mais en attendant, la roche fait des petits plis parfois sur plusieurs mètres, comme un liquide épais figé brutalement. A d’autres endroits, des fissures profondes laissent croire que l’on va enfin découvrir le centre de la Terre. La pierre volcanique grise laisse voir, dans son épaisseur, des strates de couleur ocre, orange, rouge. Les variations de formes sont infinies mais les lignes restent tout de même courbes, hormis les cassures. Par exemple, ici, sur le bord de la coulée, je vois le corps disloqué d’un chevalier géant sorti directement d’une œuvre de Miyazaki. Plus loin, la croûte terrestre s’est soulevée laissant voir des fils, comme si la matière n’était rien d’autre que du fromage fondu ou du chocolat coulant. Il est vrai que nos références, dans la vie urbaines, de matières pouvant changer d’état et devenir liquides se retrouve essentiellement dans l’alimentaire. Certaines pâtes se figent en cuisant et gardent cet état durci une fois refroidi. La comparaison ne s’arrête pas là car la roche volcanique est aussi aérée et légère du fait principalement qu’elle comporte de nombreuses poches ou alvéoles ayant contenues des gaz.
Le sol sur lequel nous marchons est une terre très noire, parsemées de minuscules éclats de roches tout aussi foncés et de petits éclats ocres. Comme par miracle, une herbe, une mousse, une fleur ont pris racine au milieu de cette matière, si hostile au premier regard. Il reste aussi, du dernier hiver, bien que nous soyons à la fin du mois de juillet à 1500 mètres d’altitude, des plaques de neige, des névés. Nous arrivons à la hauteur d’un cratère de couleur rouge sombre mâtiné de noir et de plaques de lichens jaune-vert au premier plan. Ces tableaux sont comme des œuvres d’art au milieu d’un univers monochrome.
Nous continuons de monter, doucement. Nous sommes maintenant au milieu de la coulée de lave. Il faut faire attention où l’on met les pieds pour ne pas se les tordre. Le ciel s’est assombrit et, sous le brouillard, au loin, devant nous, nous voyons clairement les pierres fumer. La coulée prend plusieurs directions mais nous choisissons de continuer vers le sommet. Nous n’irons pas jusqu’en haut. La coulée se perd et se divise entre plusieurs collines. Nous retrouvons des sommets rouges et des lichens très clairs mais le sol n’est toujours qu’un amoncellement de roches brisées chaotiques avec des bouches de chaleurs, de plus en plus nombreuses, qui laissent échapper une fumée intrigante. La température est très élevée à certains emplacements. On se penche sur les failles pour essayer de voir le plus profondément possible, mais nous ne trouvons que de l’obscurité ou des pierres. Seul un endroit laissera voir, à certains d’entre nous, une couleur rougeoyante, à travers une brèche, sous une première couche de pierre sur laquelle nous pouvions marcher. Une photo en témoigne. Pour un peu de repos, il est facile de s’asseoir car la roche laisse émerger des protubérances de toutes les tailles. Il suffit de veiller à ce qu’elles ne soient pas brûlantes mais, dès qu’on est éloigné de cinquante centimètres du sol, la chaleur est moindre. Malheur à celui qui a un pantalon léger en coton et qui est reste trop longtemps au dessus d’un point chaud – car la partie inférieure d’une jambe peut facilement brûler, l’un d’entre-nous en a fait les frais. Malheur à ceux qui déposent leur sac à dos sur le sol, donc à une température très élevée – car les parties plastifiées fondent, deux d’entre-nous en ont fait les frais. Nous sommes pourtant quatre ans après l'éruption volcanique !

A suivre

lundi 11 septembre 2017

Kamtchatka part 7

Jeudi 20 juillet
Lever tôt. Une grande journée de route nous attend : transfert de Paratunka au village de Kozirevsk. Ce ne sera pas de la piste. Nous serons en bus et non en Kamaz. Mais ça sera pire. Le temps est clair, ensoleillé. Le bus n'est pas climatisé, la chaleur est pénible à l'intérieur. Une fenêtre est ouverte, une deuxième, je suis au milieu des courants d'air. Je suis minoritaire, les vitres sont ouvertes davantage encore et mes paroles s'envolent. Pour la gorge, c’est pire que la climatisation. Je devrai me résoudre aux antibiotiques quelques jours plus tard.
Milkovo
Pause dans le dernier arrêt sur l'autoroute avant l’étape repas à mi-parcours. Plusieurs cabanes où l’on peut acheter des pirochkis, beliaches, samsas, tchibourekis, sotchikis (variétés de sandwichs/chaussons frits). Quelques tables permettent de s’asseoir devant les voitures ou camions à l’arrêt.  Cette route est une voie goudronnée, au départ, mais qui est vite remplacée par un large chemin de cailloux, plat, rectiligne, poussiéreux, bordé de bouleaux et de conifères des deux côtés du début à la fin. Trois ou quatre heure plus tard, nous nous arrêtons dans la seule ville se trouvant sur notre chemin : Milkovo. Des camions chinois livrent de la marchandise. Je repère immédiatement les idéogrammes car on n’en voit pas du tout dans le centre de Moscou. Des immeubles soviétiques encadrent la rue principale. Une face de quatre étages est décorée par un portrait de Gagarine et, de l’autre coté de l’artère, c’est une grosse fleur en forme de soleil. La décoration se poursuit par toute une série de fleurs colorées sur la balustrade qui longe le trottoir. C’est désuet et ravissant. Nous avons droit à une cantine et son plateau repas dans un espace de la taille d’une salle des fêtes, avec des rideaux violets et quelques fresques murales champêtres cernées de baguettes de bois. Désuet aussi, propre, très soviétique.
Quelques heures plus tard, nous faisons une pause à coté d'un arrêt de bus surréaliste, au milieu de nulle part. A peine descendus, nous sommes tous harcelés par les habitants du coin : les moustiques ! Je ne pousse pas le vice jusqu'à rentrer dans les bois et déjà ça vrombit à mes oreilles. Pourquoi n'ai-je que deux bras ? Je me suis parfumé à l'antimoustique, ça n'a pas l'air de leur faire le moindre effet mais j'échapperai aux piqûres pendant tout le voyage. Hormis à Kozirevsk où un effronté me piquera sur le nez en plein jour, sous mes yeux - c'est le cas de le dire - avant que je n'aie le temps de réagir. Il est vrai que je ne pulvérisais pas cette zone pour ne pas m'empoisonner, ni ne m'aveugler. Et fort de notre expérience des pays où sévit la malaria et des recommandations de l'agence russe qui connaissait l'enfer dans lequel nous tenions tant à descendre, nous avions les produits les plus efficaces !
Arrivée au village. Le paysage est très vert, les rues sont en terre devant de belles maisons en bois. Les jardins potagers, les fleurs, les piles de bois contre les clôtures pour pouvoir se chauffer pendant le rude hiver, tout nous rappelle la Sibérie. Mais c’est toujours la Sibérie, même si on la sensation d’être sur une île. Les mêmes impressions, émotions, entre ces coins du Kamtchatka ou de Carélie, éloignés de 8000 km ! Nous avons roulé, aujourd’hui, entre huit et neuf heures, plein nord. Ce qui soudain nous fait peur, c’est que nos deux guides, aguerris à ces voyages, se sont parés de leur couvre-chef aussi ridicule qu'efficace : le chapeau à voilette ! Il doit avoir un rebord tout autour pour que le fin filet ne soit pas en contact avec la peau, et un élastique ou un système de serrage autour du cou pour que les plus pervers des insectes suceurs de sang ne s'introduisent pas dans la zone protégée. Les plus craintifs des touristes ont sortis les gants. Mais les toilettes, comme la forêt, abritent des spécimens affamés.
Kozirevsk
Des petites maisons individuelles nous attendent. On dirait des niches pour chiens (ce qui n’est pas positif). La porte s'élève jusqu'au toit en tôle qui lui, descend jusqu'au sol. Et ce qui saute aux yeux, c'est la moustiquaire blanche qui se balance, au gré du vent, dans l'encadrement de la porte. La porte du bus à peine ouverte, c'est la guerre ! On se répartit très vite les chambres pour y trouver un instant de répit. Les quelques têtes brûlées qui ont passé le seuil sont implacablement éliminées. Super, il y a une bania ! Je veux bien avoir encore plus chaud s'il n'y a pas de moustique. Il y en aura quand même quelques uns qui danseront autour du poêle mais, aucun ne nous prendra pour cible, même quand nous serons dans le plus simple appareil.
L'accès à la bania demande de traverser l'espace salle à manger, entièrement entouré d'une moustiquaire. Ce voile blanc est couvert d'une multitude de points noirs à l'extérieur et d'un grand nombre à l'intérieur. Pendant que nous nous restaurerons, il faudra chasser de la main, à chaque bouchée, les indésirables. Un feu de camp est allumé dans le jardin, sympathique point de ralliement. Mais excusez mon impolitesse, je ne reste pas dehors ! La légère fumée ne change en rien le caractère de l'endroit. Mais comment peut-on vivre ici ? Vania nous dira qu'au village plus au nord, c'est pire : on en avale, tellement ils sont nombreux, volent serrés et proche de vous !
La nuit est bonne, pas de cauchemars.
Le lendemain, il nous reste une demi-journée de Kamaz. C’est là vraiment que commence le tout terrain. L’ancien camp de base a été détruit par les éruptions volcaniques, un autre est en cours de construction, aucune route n’existe vers le nouveau lieu. Le volcan a redessiné le paysage. Nous n’avons qu’à suivre la piste qui contourne l’extrémité de la dernière coulée de lave. Dans la forêt, nous suivons le chemin chaotique, des creux et des bosses sur une terre humide. Nous avançons lentement et nos têtes se balancent au gré des accidents du terrain. Un instant nous regardons par la fenêtre et l'instant suivant nos yeux sont fixés au plafond ; et tout retombe et nous contemplons nos pieds. La carrosserie se frotte aux branches sur la droite et, sur la gauche, ce sont les ramifications des arbres qui viennent se heurter aux parois du véhicule. Cela nous donne l’impression d’ouvrir une nouvelle voie au cœur de la forêt sibérienne. C’est moins monotones que le train – le transsibérien – car la proximité avec la nature est maximum. Le bruit de notre camion et son odeur ne sont pas des plus discrètes. Nous ne verrons pas de gibier par les fenêtres pendant ces longues heures. C’est donc une forêt sans fin, sans vie, qui s’offre à nous. On aperçoit tout de même de grosses fourmilières et il ne faut pas oublier les milliards de moustiques qui sont, aussi, une forme de vie.
Moustiques
Nous roulons d’autant moins vite que nous devons gravir une certaine déclivité. En prenant de l’altitude, les bouleaux sont remplacés par des mélèzes. Nous nous arrêtons au pied de la coulée transformée en pierre. Nous gravissons ses trois, quatre, cinq mètres de hauteur. Ce n’est qu’un amas de roches noires chaotique. Tout a été écrasé sur son passage. Nous voyons les troncs implacablement pliés ou brisés, et devinons le refroidissement lent mais certain, de toute cette matière, qui a fini par avoir raison de sa progression. Et le mur s’arrête là, brutalement. La hauteur de la coulée ne permet tout de même pas de dominer la forêt, notre vue est limitée mais nous sommes en contact avec la matière volcanique, ce qui est déjà un grand moment. Les moustiques n’ont que faire de ce phénomène, ils ont faim donc nous remontons dans le camion.

Nous finissons par sortir de la forêt. Est-ce temporaire ou allons-nous replonger dans le vert ? Le sol est noir maintenant, et a l’aspect du sable ou d'un fin gravillon. On distingue plusieurs traces, chaque véhicule décidant de passer plus à droite ou plus à gauche. Nous n’allons pas tarder à être entouré de roches et de montagnes noires. Une pensée alors pour les montagnes du Hoggar en Algérie. Ici au Kamtchatka, ce qui n’était pas recouvert de couleur sombre a été recouvert de poussière noire. Au sol, à quelques endroits très espacés les uns des autres, des touches de couleurs éclatantes, jaunes, fuchsia, bleu : ce sont des fleurs. La nature a chargé quelques uns de ses plus beaux ambassadeurs d’attirer les insectes pour réintroduire la vie dans ces espaces morts. 

A suivre

mardi 5 septembre 2017

Kamtchatka part 6, des ours

Certains volcans sont éteints depuis longtemps et sont recouverts de végétation. Le temps s’expose, comme un livre ouvert. La neige dessine aussi, sur beaucoup de versants, des formes permettant à notre imagination de vagabonder. Nous nous posons dans la vallée des geysers, sur l’unique place devant la maison des guides, en plein centre du site. Des fumerolles sortent des montagnes, tout autour de nous. A l’arrivée, au milieu de la verdure, on voit l’herbe et les plantes se coucher sous l’effet du vent, sous la puissance du souffle généré par les pales de l’hélicoptère tournant à vive allure. Un véritable petit ouragan, au départ comme à l’arrivée. Près du lac, on voyait la surface de l’eau se strier en cercles concentriques et l’impact sur la surface, de milliers de gouttelettes projetées. C’est ce qu’il y avait de plus spectaculaire dans l’utilisation de ce moyen de transport aérien.
L'océan Pacifique
Le circuit de visite est un chemin aménagé, en bois, légèrement au dessus du sol, en parfait état. Pas de rambarde, l’œil est libre. On ne risque pas de s’enfoncer, de s’enliser. Car autour de nous, la terre est gorgée d’eau, le sol est parfois spongieux, il y a de nombreuses marmites d’eau ou de boue bouillonnante. Des bulles se forment en surface puis explosent en fumant. La vedette du site est un grand geyser qui jaillit à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, à heure fixe. Il se déverse dans un torrent alimenté par des neiges éternelles – l’expression est belle et prend une autre profondeur quand elle s’applique aux volcans – que l’on aperçoit, plus haut, plus loin. L’eau chaude se mêle à l’eau froide. L’heure tourne, la marmite bouillonne mais le geyser se fait attendre. Aurait-il oublié son rendez-vous ? La foule – deux groupes de deux hélicoptères soit quarante personnes – se presse le long des balustrades, dressées tout de même en bas du grand escalier de bois nous ayant permis de nous approcher du cœur de l’action. Daphné aurait été là, elle aurait pu préciser le nombre de marches descendues.
Récemment – mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire à l’échelle de ces montagnes millénaires – un petit geyser s’est formé à proximité, privant le principal d’une partie de son flux et donc de sa puissance. A l’heure dite, ils crachent ensemble beaucoup de fumée. Beaucoup de vapeur. C’est assez spectaculaire. Le plus grand des deux se décide enfin à faire son numéro et l’eau jaillit à une quinzaine de mètres de hauteur. Je suis étonné de la proximité des touristes : le jet bouillant est à quelques mètres de nous, il suffirait que le vent tourne… Impensable dans grands parcs des Etats Unis, eux aussi riches en geysers. Un gros éboulement s'était produit en 2007 de l'autre côté du site où nous sommes, redessinant la montagne et de fait, les geysers. 
Nous suivons, partout où nous allons, un garde armé. Car l’ours aime l’odeur caractéristique de ces lieux – le souffre, qui évoque pour nous le parfum de l’œuf pourri, bien que nous n’ayons jamais senti d’œuf pourri – et à plusieurs endroits, nous verrons des traces fraîches de l’énorme plantigrade. Ce n’est donc pas un fantasme. Nous remontons à bord de l’hélicoptère pour rejoindre un autre site, qui n’est ni sur le versant d’une montagne ni sur celui d’un volcan : nous arrivons au milieu d’une immense prairie, entourée de volcans, tout de même. J’aperçois, par le hublot, un petit lac. De multiples sources d’eau chaudes et des chaudrons sont visibles. Le tout est embelli par des arbustes bien verts et des fleurs sauvages colorées. Ce que j’appelais prairie serait plutôt un plateau volcanique. Cette fois, nous sommes sous la protection d’une femme armée d’un fusil, le visage concentré. De toutes les manières, un Russe ne sourit pas à un inconnu, c'est impoli.
La vallée des geysers
La veille nous nous étions posés au lac Kourile. Et avant d’y arriver, nous avions fait escale sur la rive d’un autre lac. Son eau était chaude et fumait à quelques endroits peu profonds. Notre guide, une femme russe, avait des yeux bleus très clairs, qui m’ont rappelé ceux de notre première guide au lac Baïkal. Ils sont très difficiles à photographier car la moindre ombre ou le moindre plissement de l’œil dissimule leur luminosité. Autour du cou, en plus du numéro de vol qui ne nous avait pas quitté, nous avons un récepteur radio relié à un casque audio pour pouvoir l’entendre nous expliquer l’histoire de ces sources d’eau chaudes, en russe puis en anglais. Mais le temps était compté et j’ai plus cherché des points de vue photogéniques que tendu l’oreille à ses propos. La voix était pourtant très agréable et l’anglais impeccable. 
En arrivant à côté du lac Kourile, la grande particularité qui saute immédiatement aux yeux, est le niveau de sécurité : on a l’impression d’arriver sur un site militaire. Il s’agit simplement de protéger les quelques résidents et les touristes de passage, des ours. Ces mammifères sont indifférents à la présence humaine non agressive. Leur pitance est assurée par le lac, riche en saumons revenus sur les lieux de leur naissance pour se reproduire et mourir. Un garde armé nous ouvre la barrière électrifiée. J’imagine que le voltage est supérieur à celui utilisé pour nos enclos à vaches, j'ai oublié de me renseigner. Les vingt passagers sont aussitôt divisés en deux groupes. Le notre commence par le bateau. Où allons-nous ? Pour combien de temps ? Voir quoi précisément ? Après que l’on nous ait ouvert une nouvelle fois l’enclos électrifié, nous montons sur un petit bateau à moteur – une grosse barque – avec une dizaine de places assises, plus celle du conducteur. Le garde armé referme la barrière mais ne vient pas avec nous. Notre guide anglophone est restée avec l’autre partie du groupe, à terre.
Le pilote de notre embarcation n’ouvrira pas la bouche de tout le voyage, aller comme retour. Nous longeons la côte, abrupte, couverte de végétation. Nous voyons notre premier ours dans l’eau. Il a pied. Le bateau ne ralentit pas, la situation étant d’un commun sans intérêt, visiblement. Nous n’avons pas eu le temps de voir s’il pêchait. J’enlève mon gilet de sauvetage, que nous avons tous dû enfiler au départ, mon appareil photo, mon chapeau, mon badge d’hélico, ma radio-guide, mes lunettes de soleil que j'ai aussi autour du cou, mon sac photo, mon sac à dos, pour enfiler mon coupe-vent. Car nous fonçons et le fond de l’air est frais. Nous allons droit sur une grande plage, derrière laquelle une végétation très verte s’épanouit, avec en arrière plan, des montagnes enneigées.
Le lac Kourile
J’aperçois, à gauche, un ours, puis un deuxième qui se rapprochent du point vers lequel nous nous dirigeons. Il y a déjà un bateau sur la droite, près du bord, à l’affût de trois autres plantigrades : une mère avec deux jeunes qui marchent puis qui se mettent à courir pour finalement se coucher sur le sable. On aperçoit, dans l’eau claire, beaucoup de saumons. Et à la lisière de la forêt, un gros ours, un mâle, suit la scène. Notre bateau est déjà prêt à repartir quand, trois autres ours, une mère et deux petits aussi, sortent du bois. Ils sont d’un marron plus foncés que les autres. A peine le temps de nous interroger que nous filons en sens inverse. Ou allons-nous cette fois ? Et bien, c’est terminé ! On peut dire que c’était vite expédié et que ça frôle l’arnaque. Quand je disais qu’ils étaient professionnels, et bien malheureusement ils le sont pour le meilleur et pour le pire !
Sur le retour, Gilles aux yeux de lynx, nous prévient : le long de la côte, à flanc de colline, dans les arbustes, caché en partie par un rocher, un autre ours. Ce pourrait être celui qui était dans l’eau lors de notre premier passage. Nous sommes revenus à notre point de départ. Un garde armé, toujours aussi patibulaire, nous fait passer la barrière électrifiée. Notre guide n’est pas revenue, elle est avec l’autre groupe. C’était bien la peine d’aller aussi vite ! Nous avons quand même vu dix ou onze ours en quelques minutes, ce qui dénote l’importance numérique de l’espèce. Nous attendons au bord de l’eau mais devons rester à deux mètres de la clôture. Nous apercevons une petite plage, derrière un bosquet d’arbres. Là, un ours s’avance dans l’eau. Il se dresse sur ses pattes arrière, reste quelques instants debout et saute dans le lac, fait plusieurs bons. On ne voit bientôt plus que sa tête hors de l’eau. A-t-il essayé d’attraper un saumon ? Dans tous les cas, il est bredouille et à l’air bête planté ainsi, la tête en l’air. Evidemment, nous nous sommes collés à quelques centimètres des fils électrifiés pour regarder la scène et la photographier. Voilà deux gardes qui viennent vers nous. C’est le moment que choisi notre guide pour revenir.

Nous partons cette fois explorer, un court instant – comme pour le bateau , l’intérieur des terres. Notre garde armé ouvre la marche. Nous franchissons la barrière à un autre endroit, côté jardin (et non plus côté lac). Nous sommes sur un petit chemin herbeux, à quelques minutes d’une autre barrière pour retourner à l’intérieur d’un enclos protégé. Car ici, ce sont les hommes qui sont enfermés, et non les bêtes. Mais soudain, plus personne ne moufte ! Le garde arme son fusil et, d’un geste, nous sommes de nous arrêter derrière lui : un gros ours vient de se planter au milieu de notre chemin et avance vers nous. Il est à quelques mètres. Il est beau, puissant, tranquille. J’arme mon Nikon et shoote. Trois fois, en pleine tête. Le clic est celui d’une arme dans laquelle on a oublié de placer une balle. Il me fusille du regard pour aussitôt se pencher en avant, renifle le sol, tourne la tête sur sa droite, le museau en l’air. Et il tourne la tête sur sa gauche et part dans cette direction, entre les herbes et les buissons, sans plus aucune attention au groupe des 22 bipèdes face à lui.
Nous ne bougeons pas, nous observons. Bien nous en fasse, le revoilà deux minutes plus tard. Et il n’est pas tout seul : ils sont deux ! Le notre, précédé d’un plus petit, une femelle vraisemblablement. Et ce doit être celle que nous avons vu pêcher quelques minutes plus tôt. Ils poursuivent leur avancée le long de l’enceinte vers laquelle nous pouvons maintenant nous diriger. Ils nous ont superbement ignorés et c’est certainement mieux comme ça.
Nous nous rendons alors sur le pont qui enjambe la rivière. Il est fait pour les piétons avec une largeur d'un mètre et quelque. C’est le cours d’eau qui alimente le lac en saumons. Le lieu est stratégique. Evidemment, il va nous falloir ressortir de l’enclos. Nous apercevons deux silhouettes encore sur le pont et nous voyons nos deux ours aller dans la même direction. Nous retenons notre respiration. La femme sur le pont fait deux pas en arrière. Le premier ours arrive au niveau du pont. Comment peut-on se croiser avec ces animaux sur un passage si étroit ? Courir dans l’autre sens et pour aller où ? Ils n’ont plus qu’à sauter dans la rivière en espérant que les ours n’aient pas l’idée de faire la même chose. Je ne sais pas s’ils sont armés et puis face à deux bêtes, il ne faut pas se louper car l’agressivité peut alors être à son comble. Mais la femelle a d’autres idées en tête et elle suit la berge sans emprunter le pont, sans un regard aux humains. Ouf.
Nous y accédons à notre tour et pouvons observer, quelques mètres plus loin, nos deux plantigrades affalés dans l’herbe, sous un arbre, au bord de la rivière. Ils n’en bougeront plus. Ils sont repus, dommage, car la rivière regorge de poissons. Nous en voyons des dizaines. Ils nagent encore vite ; ceux-là n’ont pas dit leur dernier mot. Leur dos devient violet lors de la période de reproduction, c’est très spectaculaire. On les distingue alors facilement dans l’eau claire.
D’un côté du pont, deux employés travaillent pour entretenir un barrage qui permet aux scientifiques de contrôler la quantité de poissons qui transite. Voilà c’est terminé, le groupe sur le bateau nous attend. Direction l’hélico. Les places de stationnement dans l’enclos sont prises et c’est pourquoi notre appareil est un tout petit peu plus loin. La guide nous compte pour nous laisser passer, histoire de ne pas en oublier un au milieu de la forêt. Je me place en queue, règle mon ouverture au maximum pour essayer au passage de saisir le fugitif bleu de ses yeux, toujours à moitié fermés. A quelques mètres, des hautes herbes nous cachent la plage. Le groupe est presque entièrement monté à l'intérieur, nous sommes les derniers. Et soudain, deux oursons passent en courant. L’homme en faction armé d’un fusil, met en joue la mère, qui suit les petits, un autre ourson derrière elle. Ils disparaissent dans les herbes, en direction du lac, sans un regard vers l’hélico. J’ai eu le réflexe de déclencher plusieurs fois, cool ! Par contre, les yeux bleus sont noirs !        

A suivre

jeudi 31 août 2017

Kamtchatka part 5

Mardi 18 – mercredi 19 juillet 2017
Le temps restera ensoleillé plusieurs jours et nous pourrons, le mardi et le mercredi, enchaîner deux sorties aériennes. Depuis Pétropavlovsk, deux destinations sont proposées aux touristes sur des sites protégés exceptionnels, à moins de deux heures de vol avec interdiction de dormir sur le site. Nous verrons quand même quelques tentes dans le camp du lac Kourile. Les sorties sur place sont encadrées par des guides anglophones et des gardes armés de fusils. Les ours sont nombreux, 20 000 au Kamtchatka et 1000 rien qu’autour du lac. La population de ces grands mammifères aurait – selon certaines sources - réduit assez considérablement du fait de la chasse et d’activités de braconnage. Et même si la nourriture est abondante (saumons), des accidents surviennent, souvent fruits de l’imprudence humaine. Nous devons rester groupés derrière le garde. Nous devons rester sur nos gardes !

Départ à 10h40 de l’hôtel, ces deux journées sont assez courtes mais très bien organisées. C’est la première fois en Russie que nous sommes face à une structure touristique de haut vol. Certes, il y a un an ou deux, un hélicoptère se serait écrasé à cause d’une surcharge du nombre de passagers (je n’ai pas retrouvé trace de cette histoire pour donner une date précise), les accidents au Kamtchatka concernent plus souvent le ski hors piste qui demande la dépose des clients sur les sommets. Nous prévoyons d’être vigilants.
Mardi et mercredi seront découpés en trois parties : la visite du site proprement dit, une baignade dans un lac volcanique sur un autre site – où nous nous rendrons pas les airs – et un repas pique-nique dans ce même lieu sauvage et reculé. Pour commencer, un minibus Aeroflot nous prend devant l’hôtel. Nous quittons la zone goudronnée. Un gros hélicoptère sur un promontoire, transformé en sculpture, nous assure, au dernier carrefour, que nous sommes proches de la base. Nous descendons sur un petit parking non goudronné. Pour l’instant, on est loin du standing des aéroports.  Nous franchissons à pied la barrière du site. Sur la droite, deux chalets-boutique : l’un vend du saumon, le second des objets plus touristiques avec le logo Kamtchatka. Plusieurs bancs, faits du même bois, permettent de profiter de l’ombre fournie par plusieurs arbres. Le temps est clair, le soleil brille. Quelques mètres plus loin, en arrière plan, un petit hélicoptère blanc parade, lui aussi relégué en pièce de musée en plein air.
En face de lui, sur notre gauche si l’on s’en tient à notre point d’arrivée, le bâtiment très moderne de l’héliport. A l’intérieur – minuscule en comparaison des aéroports que nous sommes habitués à fréquenter – un accueil avec deux hôtesses, surmonté de deux grands écrans sur lesquels rien n’est affiché. Tout est neuf, on a l’impression qu’ils n’ont pas encore eu le temps de les brancher. Plusieurs rangées de fauteuils permettent aux passagers de patienter. Une cinquantaine de sièges peut-être, une dizaine occupés et quelques personnes « en marche » dans cet espace. Des photos du Kamtchatka ornent les murs. Une impression très professionnelle et réconfortante se dégage de cette atmosphère.
On donne nos passeports. On nous les rend avec une grosse étiquette en plastique sur laquelle est gravé, en très gros caractères, le numéro du vol, à trois chiffres. Un grand ruban bleu nous invite à la porter autour du cou. Une demi-heure plus tard, des haut-parleurs annoncent notre numéro. Ce devait être 609 car, que l’on prenne l’étiquette dans un sens ou dans l’autre, nous pouvions lire le même numéro ; ils pensent à tout ces Russes ! 

Nous identifions notre nom inscrit sur la liste de la vingtaine de passagers. Aucun portique de sécurité ni radiographie des sacs. Une guide, parlant un anglais parfait, nous regroupe à l’arrière du bâtiment, sur le tarmac. Conseils de sécurité : nous nous rendons à pied à notre hélicoptère donc on ne s’arrête pas pour faire des photos même si elles ne sont pas interdites, on reste groupé. La flotte n’est composée que d’une vingtaine d’appareils. Plusieurs gros hélicoptères sont devant nous. Certains en entretien. Le personnel au sol se déplace en vélo d’un hélico à l’autre. Ça donne un côté asiatique à l’ensemble. Il est vrai qu’on peut difficilement être plus en Asie, nous sommes au nord du Japon. Des gros hélicoptères au milieu de la verdure, avec des hommes en bicyclette, c’est une image déjà vue dans les films de guerre américains.
Je n’avais jamais approché un de ces appareils. Les gros hélicoptères MI-8 russes sont plus connus dans des contextes militaires ; ici ils sont peints en blanc avec une grande bande rouge qui va en s’élargissant vers l’arrière. Un petit drapeau blanc-bleu-rouge est peint sur la queue tout de même. Ni roquette, ni mitrailleuse mais bien cinq immenses pales. Le train d'atterrissage est composé d'une double roue à l’avant et une de chaque coté à l’arrière, non rétractables. L’ensemble donne une impression de robustesse. Cinq hublots de chaque côté, un petit escalier de trois ou quatre marches pour grimper – petite échelle métallique qui sera basculée à l’intérieur avant de fermer la porte. Ces petites fenêtres, quand elles sont rondes, ce qui n’est pas toujours le cas, donne à l’engin une allure de submersible prêt à partir au fond des océans. Mais restons au-dessus, ce sera préférable. D’ailleurs, il y a une base de sous-marins dans la baie de Pétropavlovsk, à côté d’une ville fantôme - Vilioutchinsk -, à laquelle on n’accède qu’avec des autorisations spéciales.
Seul le cockpit des pilotes est entièrement vitré. Et encore il faut relativiser. Certains ont leur pare-brise découpé en sept vitres - séparées par des montants métalliques - sur une circonférence de 180 degrés avec seulement deux plus petites au niveau du plancher, de part et d’autre du petit nez de l’appareil. Et d’autres ont un nez plus petit et plus bas ce qui permet d’avoir une petite vitre supplémentaire, basse et centrale. Dans tous les cas, les pilotes peuvent avoir une sensation de vide sous eux, ce qui n’est pas du tout la situation des passagers. Dommage.
A l’intérieur, un couloir central et des rangées de deux sièges de chaque côté. Les hublots, qui paraissent plus grands que dans les avions, sont moins épais, ce qui ne garanti pas leur propreté. Les photos seront moins claires qu’en plein air et il y aura souvent une pale qui viendra se figer lors du déclenchement, même à la vitesse de 1/8000 seconde. Le lendemain, notre hélicoptère sera agencé différemment : les fauteuils seront adossés à la cloison et neuf passagers seront face à neuf autres, alors que les trois derniers seront dos à la cabine de pilotage. Un hublot intérieur nous permet de voir les pilotes, et inversement. La jeune femme, qui nous a conduits à l’intérieur, reste avec nous et sera notre guide sur le site de destination. Elle nous distribue à chacun un casque jaune sans fil, à placer sur les oreilles pour atténuer le bruit des rotors. Je finirai par l’enlever car la protection est partielle, la gêne certaine et la chaleur de trop. Et systématiquement, quand j’enlève mon chapeau, je m’assomme en sortant de l’hélico (la porte est basse). Le temps d’attente est plus ou moins long avant le décollage. Le deuxième jour, j’en profiterai pour relire notre programme de voyage, le nom des volcans. Je relève la tête pour ranger mes lunettes dans mon sac et… nous sommes déjà dans les airs ! Voilà, pour résumer les impressions au décollage. Aucune. A l’atterrissage,  c’est la même chose et l’on comprend pourquoi quand on assiste à la manœuvre de l’extérieur : l’hélicoptère reste en suspension très près du sol jusqu’à réduction totale de sa vitesse et, ensuite seulement, il se pose, en douceur, comme une feuille. Inutile donc de prévoir des médicaments contre le mal de mer. 
Baignade dans une eau à 40°, trop chaude pour certains.
Le grand intérêt des vols que nous avons effectués est qu’ils se déroulent à une assez basse altitude. On discerne les arbres et les rivières et on survole des volcans de 1500 mètres d’altitude. Le paysage est sauvage, le kraï du Kamtchatka (et oui, ce n’est pas un oblast) est presque désert avec 0,7 habitants au km2, alors que la Russie a déjà une moyenne faible inférieure à 9. En France, en comparaison, il y en a presque cent. Le plus extraordinaire s’est produit en allant à la vallée des geysers. Bien plus fantastique que les geysers eux-mêmes. Le vol était clair, ensoleillé. Quand la météo est mauvaise, les vols sont annulés, ce qui garanti aux chanceux des voyages tranquilles et une vue dégagée, au moins partiellement. Mais le vent ne s’interrompt pas pour autant. Le temps reste changeant sur cette péninsule et d’ailleurs, voilà quelques volutes grises ! Peut-être que ça va secouer si l’on traverse une zone de turbulence. Moi qui viens d’écrire qu’on n’a pas de sensation dans ces gros bourdons volants, j’aurais peut-être dû rester un peu plus humble. Mais ma pensée ne va pas plus loin : nous sommes à côté, au dessus, à portée de main, au même endroit, au bon endroit, at the right place, nous sommes au bord du cratère d’un volcan en activité ! Ce n’est pas possible, je rêve ! Une énorme fumée noire s’échappe des entrailles de la terre, de cette montagne en forme de cône, là, juste devant. Mais regarde ! Là ! Ce qui peut sembler si banal après toutes les images déjà vues de ce phénomène, prend, de notre point de vue, une force inouïe. Nous sommes si près qu’aucune de nos photos ne rendra la grandeur de la scène. Au cœur de l’évènement, c’est d’une force à couper le souffle. Impensable de croire qu’une telle charge d’émotion puisse être produite par ce spectacle, par ce volcan en activité, le Karymski - Карымская сопка -, 1486 mètres. Il est en irruption depuis 2001. Cela fait donc 16 ans qu’il crache, éructe, fume. Ce n’est pas étonnant que personne ne nous ait prévenus, que le pilote sache exactement où passer sans se retrouver dans la fumée, sans se faire surprendre par le vent. La banalité de la vie terrestre du Kamtchatka. Un non-évènement. Et pourtant, j’ai l’impression d’assister à la création, sinon de l’univers, du moins de notre planète. Nous ne sommes vraiment rien de plus qu’un esprit à qui l’on a octroyé cette faveur ultime de contempler la force de la matière. L’hélicoptère peut bien m’emporter où il veut maintenant, je suis comblé. Et le pilote contourne la montagne de feu pour offrir cette vision aux passagers assis de l’autre côté, qui maudissent le sort de les avoir placés à cet endroit.
A peine remis de nos émotions, nous survolons cette fois le volcan Maly Semyatchik - Малый Семячик -, 1520 mètres. Le cratère, de 500 mètres de diamètres, est occupé par un lac aux propriétés particulières : sa forte concentration en acides lui donne une couleur bleu turquoise. Autrement dit, sous le soleil, la scène est très belle. Les hublots sont par contre toujours aussi sales. La seule solution pour la photographie est de louer son hélicoptère personnel et d’ouvrir la fenêtre. Mais ça, on verra pour la prochaine fois. 

A suivre

dimanche 27 août 2017

Kamtchatka part 4, l'ascension

Le guide nous avait proposé trois options. Soit nous grimpons comme prévu en espérant une éclaircie plus haut, soit nous attendons que ça se dégage, soit on retourne à Pétropavlovsk et on trouve une activité de remplacement. La majorité moins une voix opte pour la première option. Je me décide pour le grand angle, mon sac à dos est déjà assez lourd et je ne vais pas changer d’objectif par un temps pareil.
Un guide ouvre la marche, un autre la ferme. Parfait. Je pars devant pour faire des photos. Vania trace en ligne directe, face à la pente, malgré la neige. Nous avons 900 mètres de dénivelé jusqu’au sommet. Je me permets de faire de petits lacets en marchant pour moins me fatiguer et moins glisser. Pierre sent aussitôt que Vania a adopté une stratégie tout à fait incompatible avec la résistance physique de plusieurs femmes du groupe : il entreprend donc d’ouvrir une trace qui dessine de grandes boucles et, rapidement, elles sont quatre marcheuses à le suivre, dans ses pas. Sans lui – hommage lui soit rendu -, elles ne seraient pas montées si haut. Le vent souffle encore et le ciel se dégage par moment, nous laissant voir de beaux volcans. Petit à petit, alors que nous arrivons à mi-parcours, se dessine l’océan Pacifique. Iégor, qui parle anglais, nous explique que la pente va se raidir, la largeur de la voie se rétrécir et que les grands virages ne seront plus possibles.
Il se propose de redescendre doucement avec ceux qui le désirent. Nous buvons un coup et la moitié du groupe se décide à le suivre. Pierre, Marc et moi, accompagnés des deux ados, poussons jusqu’au sommet avec Vania. Nous sommes dans un nuage : un crachin assez épais ne nous lâche plus. Nous remplissons nos gourdes à un mini torrent et nous arrivons au cratère du volcan. Nous ne voyons pas plus d’un côté que de l’autre. Nous restons groupés pour ne pas nous perdre de vue. Vania pour propose de poursuivre sur la crête. Nous descendons sur un petit plateau, dans le cratère, légèrement en contrebas. Il ne pleut plus, nous faisons une pause avant de rebrousser chemin. De l’eau et trois tablettes de chocolat sont aussitôt avalées. Natalia et Sourire (traduction de Michiyé, prénom yakoute) sont restées au campement pour cuisiner et un petit repas nous attend dans le camion. Rien ne nous a été distribué en fruit sec ou autre barre énergétique. Le petit-déj est loin, entre cinq et six heures maintenant. Ce n'est ni pro ni raisonnable, j'ai fais confiance à l'encadrement, je n'aurais pas dû.

Nous reprenons la crête du cratère pour emprunter le même itinéraire en descente. Pas de pluie. Du vent. Le miracle se produit, une éclaircie apparaît. Se dégage alors des volcans à perte de vue. Et par delà la chaîne volcanique, l’océan Pacifique. C’est d’autant plus grandiose que c’était une purée de pois quelques minutes plus tôt et que, déjà, d’autres nuages se précipitent. Allez, on redescend… Mais attendez, venez voir nous crie Marc, resté quelques mètres en arrière ! Le cratère, qui n’était qu’un immense nuage gris, s’éclaircit et dévoile sa profondeur ainsi qu’un petit lac. Beau spectacle bien mérité ! Nous ne sommes donc pas montés simplement pour le plaisir de l’effort et du défi. La première partie est très pentue, la terre caillouteuse, et mon genoux droit est douloureux à chaque flexion, m’obligeant à claudiquer. Je connaissais le risque. Ensuite, la descente dans la neige, moins pentue, se fait en douceur. Le pied s’enfonce de plusieurs centimètres, créant un effet d’amortisseur. Je n’ai plus mal. Mais j’ai bien reçu l’avertissement. Dès que je peux, je me laisse glisser sur les fesses ou sur mon sac à dos. Il faut rester prudent et contrôler sa vitesse car des ilots de pierres volcaniques noires sont visibles, régulièrement je dois freiner jambes tendues. Nous mettons cinq fois moins de temps pour rejoindre le Kamaz qu’il n’en a fallu pour atteindre le sommet. Dernière glissade, je m’immobilise devant une partie rocheuse et m’appuie sur mes bâtons pour me relever, dans un enchaînement parfait. Mauvaise idée. Celui de gauche se plie aussitôt à angle droit. Je n’ai pas d’autre option que de le redresser et il se casse. C’est la limite des bâtons télescopiques ! Il est 16 heures. 

Arrivé au véhicule, je dévore la salade dans le plat commun. Ils ont oublié les assiettes. Ça n’a aucune importance pour moi. Un peu de saumon fumé, un blini pour conclure, une vaisselle succincte dans l’eau qui ruisselle tout autour de nous. La première partie du groupe a fini de manger depuis un moment déjà, mais sans salade composée car ils ne trouvaient pas les fourchettes ! Nous reprenons la direction du campement où les cuisinières nous préparent le repas. Dix-sept heures et il nous faut manger tout de suite – c’est le repas de midi – car nous avons encore quatre heures de route jusqu’à l’hôtel où nous devons passer la nuit. Evidemment je n’ai pas faim. Natalia n’arrive pas à comprendre ce qui ne nous plait pas dans sa cuisine. Et nous ferons encore annuler le dîner.


Bonne nouvelle : la météo sera au beau fixe demain, les hélicoptères pourront voler. Sortie prévue : la vallée des geysers. Nous demandons à partir en priorité au lac Kourile, voir les ours se repaître de saumons. Le temps de boire un verre et Sacha – le responsable - nous confirme que le changement a pu être opéré.

A suivre