mardi 29 septembre 2015

Solovki (2ème partie)

Le vent a baissé d'intensité, il ne pleut plus. Cacha, crêpes et nous voilà partis. La première étape, acheter le pique-nique. Pirochkis au poisson délicieux, gâteaux aux graines de pavot, chips, eau. On commence à pied, pas de volontaire pour le vélo et le bateau est encore interdit jusqu'à 15 heures à cause du vent. On part au bord de la mer, vers le sud de l'île Solovki, de la grande île des Solovki. Nous n'aurons pas le temps de voir les autres îles de l'archipel. 
Bon choix que cette direction, le soleil est là, on n'est pas mal abrité du vent. Il y a aussi des lacs et des myrtilles, du sable, le clapotis des vagues. Je mets les pieds dans la mer blanche. C'est vivifiant. Dix degrés parait-il. La lumière est belle. Pique-nique assis sur les gros cailloux, pieds nus en t-shirt ou avec chaussures et polaire selon sa sensibilité. Mais l'heure tourne.
On avale un petit repas à l'hôtel avant de partir attendre le bateau. Bien nous en a pris, il aura deux heures de retard. C'est la fin des Solovki pour nous mais pas la fin de ce voyage. On dort à Kem, ou plus exactement à Pabotchéostrovsk, sur le continent. Départ le lendemain à 6 heures pour une grande journée de train. Le restaurant de l'hôtel est encore fermé à cette heure matinale, on part avec un panier petit-dej et c'est tant mieux car il n'y a pas de repas prévu à bord du train. Le dîner sera à minuit à notre arrivée.
Cinq heures après le départ, je suis seul dans ma cabine de 4. Couchette en haut et canapé en bas, je peux m'asseoir pour lire ou devant la petite table pour manger. Nous étions sur la côte ouest de la mer blanche et nous longeons maintenant la côte vers le sud, pour suivre ensuite la baie à l'est. Mais avant d'arriver à Arkangelsk, nous plongerons plein sud à travers la forêt, direction Vologda. On s'arrêtera à Plesetskaya pour prendre une voiture et rouler 3 heures jusqu'au cœur de la forêt, près d'un lac, dans le parc national de Kenozero. Ce sera notre dernière étape mais la plus authentique.
La piste remplace la chaussée goudronnée. On se croirait en Afrique. Trous, tôle ondulée, le chauffeur préfère rouler à gauche. Au retour aussi, il préférera rouler à gauche ; comme quoi ce n'est peut-être pas la peine de risquer de se prendre un camion dans un virage si les 2 cotés de la piste sont praticables. De part et d'autre, il y a beaucoup de végétation, des arbres. Il fait nuit. Deux chouettes passent devant nous à 15 minutes d'intervalle. On verra très peu d'oiseaux les jours qui suivront hormis les espèces que l'on peut voir à Moscou. Étonnant et décevant pour une zone naturelle protégée pleine de lacs. Notre camionnette aménagée pour 6 fait un bruit d'enfer, le métal vibre à chaque trou donc en permanence. Ce vacarme de tôle rend toute discussion impossible. Soudain la piste est remplacée par une route faite de grandes plaques de béton. Plus de trous mais une petite marche à chaque changement de plaque. Bling, cling, clang. J'aperçois, dans les villages traversés, des jeunes marchant dans l'obscurité, des ados autour d'une mobylette ou encore une jeune fille longeant la route, le téléphone à l'oreille. Nous n'avons donc pas changé de planète. En brousse, ou plutôt en forêt, j'ai vu aussi deux vélos roulant dans l'obscurité totale sans aucun phare, invisibles jusqu'à ce que la voiture arrive sur eux. Je me demande ce qu'ils pouvaient bien voir.
Voici un village plus gros que les autres et notre camion s'arrête. Notre maison. Belle bâtisse de plein pied, assez longue, avec des fenêtres en bois sculpté. D'ailleurs, tout est en bois. Le chauffeur pose nos valises sans un mot et disparaît.
Alors rentrons ! Nous poussons les 2 portes, toujours cette précaution contre le froid, enjambons le pas de porte, autre précaution contre les courant d'air, mais attention à la tête, les portes sont basses pour les mêmes raisons. Il y a l'électricité mais il n'y a personne ! Un grand poêle central blanchi à la chaux, il fait bon. Une table avec un carton rempli de vivres. J'ai l'impression d'être rentré dans la maison des trois ours pendant leur absence. Nous attendons. On ne va quand même pas ouvrir toutes les portes, s'asseoir et manger comme ça, sans dire bonjour aux trois ours !? Personne ne vient, ni bête, ni homme ! On finit par ouvrir les portes. Deux chambres et dans l'entrée sans lumière, un couloir menant à des toilettes sèches. Dans le salon, un meuble avec quelques assiettes. Sur sa gauche, une grande poubelle pleine d'eau et un évier surplombé d'un réservoir en plastique. Presque l'eau courante en somme. Il y a de nombreuses prises électriques mais pas de réseau. Ouf. C'est quand même les vacances. Dehors, c'est la nuit noire, pas d'hôte en vue, il est prêt d'une heure du matin. On nous avait annoncé une bania mais nous n'allons pas explorer seuls la propriété, avec si peu de visibilité. Et notre petit dej demain, c'est où et à quelle heure ? 
A la découverte de Kenozero dans le prochain article...

lundi 14 septembre 2015

Solovki (1ère partie)


Deux heures de traversée en mer Blanche et nous voilà dans l'archipel des îles Solovki. Ce n'est plus la république de Carélie, nous avons changé de région. Nous sommes maintenant dans l'oblast d'Arkhangelsk. Ce changement n'est pas visible à l'oeil nu (ni avec des lunettes d'ailleurs) mais ce qui l'est, par contre, c'est que nous sommes en pleine mer. Et une mer froide à cheval sur le cercle polaire qui donne sur la mer de Barents. On avait bien fait attention aux températures, nous sommes encore au mois d’août, mais n'étant ni bretons ni marins, nous n'avons pas été assez vigilants sur les températures ressenties et l'effet du vent. On a eu de la chance, il n'y a eu qu'un jour de pluie pendant notre séjour ; parce que l'été ici a été particulièrement -comment dire- sans soleil. Installation dans le cœur du village, dans un petit hôtel, à quelques minutes de la forteresse ou du monastère, selon l'angle avec lequel vous le regardez, selon que votre voyage est plutôt tourné vers l'histoire ou plutôt vers la religion.

Vendredi 14 août 2015. Nuit sur l'île à Solovietski. Soleil le matin. Cacha, crêpe et confiture. Délicieux. Nous louons des vélos et nous voilà partis plein nord, en direction du jardin botanique. La veille nous avions eu le temps de faire le tour du village sans rien trouver d'autre qu'une ambiance de fin du monde mais sauvage avec la végétation, des vaches des chèvres, des chiens dans les rues et très peu de routes asphaltées. Le plan de circulation est assez simple, il se limite aux 4 points cardinaux et après il faut chercher le chemin qui vous même précisément à la destination souhaitée. Nous, nous n'avions pas de destination précise donc nous n'avons pas été déçus mais nous n'avons pas trouvé ce que nous aurions été surpris de découvrir. C'était donc plutôt décevant. J'avais l'impression d'être dans un film de Bergman sur une île balayée par le vent où il n'y a rien d'autre à voir que l'île et l'herbe qui se couche sous les bourrasques et la mer grise. Nous avons vu un petit musée sur le thème de la mer mais nous n'avons rien visité, nous profitons du plein air tant que le temps est beau. Pour comprendre notre état d'esprit, il faut préciser que Garance revient de Madagascar et Iris de Crête et que nous faisons donc le grand écart. Ici ni plage ni bronzage. Moi j'adore découvrir et j'aime ce qui a du caractère alors je ne suis pas déçu. Ça manque cruellement de contraste pour les photos mais je ne peux que très difficilement en ajouter au tirage car ça transforme l'esprit du lieu. Ballade en vélo le long des canaux nous avait-on dit donc nous partons, on partait.
L'île n'est pas très grande, c'est faisable en une journée si tout le monde est en forme et pédale. Nous nous éloignons rapidement du village. Bientôt ce n'est plus que forêt. La surprise c'est qu'on se retrouve sur un chemin complètement défoncé accessible en 4x4 seulement, à l'image de ce que nous avions parcourus sur l'île d'Olkone dans le lac Baïkal. Succession de cailloux, boue, trous. Nous avons été bien inspirés de prendre des vélos tous terrains. Nous avançons assez lentement mais c'est ludique. Muriel est en pleine forme, ce n'est pas elle en queue de peloton. La fatigue se fait sentir à la pause de midi ; impossible de faire le tour de l'île en une seule fois, c'est trop long, on est parti trop tard. A l'intérieur de l'île, sur les chemins, il fait bon, il y a moins de vent. On longe régulièrement des lacs assez étendus. Il y en a plusieurs centaines sur l'île. Ici on a l'impression d'être toujours en Carélie. Le relief n'est pas très accidenté, ce sont plutôt des collines que des montagnes. Tout est très vert pour la bonne raison -nous le découvrirons le lendemain- qu'il pleut beaucoup. Et la terre très noire est argileuse. Dans une clairière, on trouve une partie de chemin en briques. Ça change du bois. Ils ont apportés des briques jusqu'ici ? On apprendra plus tard que les briques étaient fabriqués sur l'île, que la population a été importante, ce que l'on a du mal à croire mais les photos sont là, nous les avons vues. Il y avait même une voie ferrée. Tous ces gens n'étaient pas là pour le plaisir, non, ni simplement pour vivre mais pour purger une peine dans un des premiers goulags, dans ce monastère-forteresse. Et à la vue de toutes les photos qu'il nous sera donné de voir -en quantité infiniment plus importante et explicite que dans le musée du goulag de Moscou qui est, il faut bien le dire, ridicule compte tenu de l'énormité du sujet- je serai poussé à me demander si ce système de camp n'est pas plus un système économique qu'un système de répression politique.
Au centre, au delà du lac, on peut apercevoir le monastère.
Ici, il y a surtout des touristes russes dont certains campent. Les uns ramassent des myrtilles qui recouvrent les abords de certains chemins et les sous-bois -un régal-, d'autres ramassent des champignons. Plus rares sont ceux qui partent avec la canne à pêche. Mais nous mangeons du très bon poisson tous les jours. Nous avons croisés un couple de Français, chaussés très légèrement. Imaginez Moscou avec un sol peu perméable et des rues en terre. Même quand il ne pleut pas, les chemins sont traversés par des flaques d'eau ; et oubliez les bottes en caoutchouc, elles resteraient collés au fond d'une flaque ! En fin de journée, plusieurs avaient mal aux jambes ou aux bras ou aux fesses. Pas question de refaire du vélo le lendemain.
Ce n'est pas grave, nous allons faire du bateau sur les lacs. Plusieurs sont reliés par des canaux. Les voilà ces canaux. Mais ne vous imaginez pas Venise, ce n'est pas ça du tout. Par contre, le lendemain, il y a du vent à décorner les bœufs. Impossible de louer des canoës, c'est trop dangereux même sur les lacs au milieu de la forêt. Sur la carte se dessine une baie magnifique, la baie des baleines. Peu importe le vent, si on peut voir des baleines... car il y en a ! Enfin, dessinées sur le plan. Le plan qui n'est pas clair du tout et les routes se confondent avec les chemins. Direction nord-est. Il a plu une grande partie de la nuit. Les trous qui jonchent les chemins se sont transformés en piscine, parfois sur toute la largeur. Je suis bien aise d'avoir finalement opté pour mes chaussures de rando. Nous devons faire demi-tour après avoir demandé assistance aux riverains ; il nous faut contourner l'aéroport pour rejoindre la bonne piste. Il pleut et il finit par pleuvoir vraiment. On arrive à une extrémité de la baie. Nous mangeons nos chips et nos pirojkis debout sous les arbres sans pouvoir trouver une surface suffisante pour s'asseoir, avec une vue sur la mer blanche (tout de même) qui est plutôt grise.
Dans le village, le vent couche les herbes, l'horizon n'est plus aussi dégagé. Le bruit du vent dans les branches nous fait entendre que la vie peut être réellement rude si près du cercle polaire. Ce sont de vraies sensations dépaysantes, stimulantes même. Beau couché de soleil. Souper agréable. Entrée, plat, thé. Jamais d'eau sur la table mais du pain par contre. Pas de dessert ; le sucré en fin de repas ne fait pas partie des habitudes russes. Pas trop lourd, impeccable. La chambre est un peu petite mais l'essentiel y est, lit, douche et wc.