lundi 15 décembre 2014

Notre héros Dejourov

Rencontre avec un homme remarquable, un héros ordinaire, notre héros car nous avons pu lui parler : le cosmonaute Vladimir Nikolaïevitch Dejourov.
Le problème avec l'espace, c'est l'absence de pesanteur. Le sang monte a la tête et cela procure la sensation d'avoir de la fièvre et les pieds sont froids. C'est très désagréable et le travail s'en trouve perturbé. Le fait que plus rien n'ait de poids rend dangereux l'utilisation des liquides dont la moindre goutte qui vole peut endommager les appareils électriques, les cheveux coupés sont dangereux pour les yeux, les miettes pour le système respiratoire et je vous laisse donc imaginer la multitude d'actes qui sont anodins sur terre et ne le sont plus la-haut. Ce n'est pas fait du tout non plus pour un ado. Impossible de traîner au lit, il faut s'attacher, impossible de ne pas ranger sa chambre, rien qui ne soit arrimé ne conserve la place qu'on lui a initialement trouvé.
Face à cette absence de force nécessaire pour se mouvoir (qui peut sembler idéale pour les êtres en surpoids), plus aucun muscle ne fait même l'effort de se porter lui-même. Au bout de quelques mois à ce régime, même en s'astreignant à plusieurs heures quotidiennes d'activités sportives, nous ne sommes plus capables de marcher lors de notre retour sur terre. Lors de mon premier voyage, j'ai perdu 10 kilos en 4 mois et demi. 

Ceci n'a pas empêché nos ingénieurs de nous concocter des bagages de survie en mer, en jungle, en désert dans le cas où  le lieu de notre atterrissage retour ne soit pas contrôlé. Ainsi, pendant les années de préparation au vol spatial, nous affrontons, comme des commandos militaires parachutistes, les environnements les plus hostiles de notre planète. A ces entraînements de survie, nous ajoutons des années d'apprentissage du matériel de commande des vaisseaux que nous aurons à piloter et à réparer. Tout ou presque est ou sera automatique mais en cas de dysfonctionnement quel qu'il soit, il sera impossible d'appeler un réparateur, nous ne pourrons compter que sur nous-même. Nous pouvons avoir toutefois l'assistance de notre doublure sur terre qui peut essayer de reproduire en simulation les problèmes que nous rencontrons pour nous apporter, avec si besoin les équipes d'ingénieurs, des conseils. Nous sommes toujours deux à nous préparer exactement de la même manière sans savoir à l'avance lequel sera sélectionné ; ce sera fait en fonction de nos forces physiques et mentales respectives le moment venu. L'équipement est maintenant en double également afin de palier à une défaillance pouvant mettre en péril la mission. Et la Cité des Etoiles, comme l'a baptisé Gagarine, près de Moscou, nous permet de vivre avec nos familles et de nous entraîner sur des répliques hier de la station Mir, aujourd'hui de la Station Spatiale Internationale. En piscine, dans un grand bassin, nous pouvons simuler l'apesanteur pour faire des réparations à l'extérieur des modules. De grands bâtiments nous permettent aussi de recevoir tous les enseignements théoriques nécessaires.
Imaginez que même lorsque nous sortons dans l'espace hors de la station pour des réparations, nous sommes accrochés à l'aide d'un mousqueton qui n'est fait pour s'ouvrir qu'en combinant 3 actions manuelles ; et bien, il est déjà arrivé que ces fameux mousquetons, dans l'espace, s'ouvrent tout seul ! Donc il faut toujours avoir 2 points d'ancrage. C'est plus astreignant que l'accrobranche pour ceux qui sont familiers de cette activité ludique dans les arbres (diériva, l'arbre -дерево- n'oublions pas de faire un peu de russe ;  et le plus important en Russie, le bouleau : береза). Quand nous travaillons dehors plusieurs heures d'affilée, notre scaphandre de 110 kilos nous parait certes léger mais les mouvements sont difficiles ainsi habillés et nous ne pouvons nous aider de la pesanteur pour aucune action, c'est épuisant. C'est un grand paradoxe. Comme celui de voir la terre (земля) si belle dans ce cosmos si noir, de voir notre taille insignifiante et de savoir les haines qui se développent encore pour des différences de religion, de couleur, de sexualité. Ces luttes sont plus que dérisoires quand on prend de la hauteur. Avec leur formation militaire initiale de pilote de chasse, les cosmonautes deviennent plus philosophes que certains hommes de lettres.
Apprenez que lors d'un retour sur terre sur le sol américain d'un équipage russo-américain, les russes ont été arrêtés car ils n'avaient pas de visa ! C'était en 1995. 
Les médecins nous prennent en charge dès notre arrivée, contrôle notre santé et notre capacité à nous réadapter à la vie terrestre. Après tous ces mois passés dans l'espace, je me couche, le médecin pose un drap sur moi et voilà que j'étouffe, je ne peux plus respirer, la cage thoracique comprimée comme par une plaque de béton. Ensuite, je vois qu'un téléphone a été installé dans notre chambre, je décide de donner des nouvelles à ma famille. Je saisis le combiné mais impossible de le soulever. J'essaye à 2 mains, de toutes mes forces, impossible ! Ils ont vissé le téléphone, ces andouilles, c'est une blague ! J'appelle le médecin.

- Tu sais que nous avons le téléphone, il est là, on doit pouvoir appeler la Russie, vas-y, utilise-le !
Je ris en moi-même et guette sa réaction. Il s'approche du guéridon, tend le bras, pose sa main sur le combiné, décroche, compose le numéro et parle en russe avec sa famille pendant un temps qui n'en finit pas. Alors, ça marche !? C'est moi qui...

Il m'a fallu plus de 4 mois pour récupérer ma force.
Si les extra-terrestres débarquent, notre pesanteur sera notre meilleure défense. Je n'ai jamais vu ça au cinéma, c'est étrange...

samedi 6 décembre 2014

Orphelin sur le quai

A l'arrière, sur le pont, je respire enfin. Le vent fait voler mes cheveux. Toute cette verdure, une vrai forêt ! La aussi, c'est Gorki ? Au milieu d'une grande ville, c'est rassurant pour notre équilibre tout de même. Mais c'est étrange pour moi de faire cette croisière seul. Ma maison, mes proches sont si loin ! Sans ce job je n'aurais peut être jamais mis les pieds à Moscou. Et si ce matin, je n'avais entendu Loudmila au téléphone parler à son père, du brise glace sur la Moskova, je n'aurais jamais penser à prendre ce bateau pour aller au Monastère de l'autre coté de Moscou. Il n'y a que sur le pont que je peux voir tout autour du bateau, sur les quais, les bâtiments si anciens et nouveaux en même temps. Ces constructions récentes à la manière de, empreintes de classicisme avec ces colonnes en façade. C'est épatant ! Et là, cet énorme bâtiment gris, un vrai château fort. Il n'est pas très beau mais est imposant. C'est ce qu'on appelle du constructivisme m'a-t-on dit. Avec des fondations sur pilotis comme à Venise (ici c'était marécageux), des cours carrées à l'image de l'architecture des villas italiennes agréables à vivre avant que les voitures ne grignotent tout cet espace. C'est le guide qui racontait ça ; comment ça ce fait que je me souvienne de ces propos, moi qui dit toujours que je n'ai pas de mémoire pour ces choses là ? Mais ce qu'il n'a pas dit et que je sais et qui apparaît évident pour moi tout à coup, c'est que là haut, sur le toit de cette immense battisse, il y a une école. Ou il y avait. J'en suis sûr. Ce n'est pas ma mémoire qui parle, c'est mon sang. Mon corps. J'ouvrais une porte, tournais à droite, prenais un ascenseur et arrivais à l'école. Je tenais la main de quelqu'un mais quand je lève les yeux, il n'y a pas de visage. Comme si quelqu'un avait malicieusement découper le visage de... de ma mère certainement. Je suis allé dans cette école. J'ai vécu ici dans ma petite enfance avant l'orphelinat, j'ai trouvé, j'habitais là ! Mais laissez moi descendre, je veux descendre, je DOIS descendre !.

Le bateau s'est rapproché du quai, à coté du pont. Je suis le seul à descendre ici ? Peu importe. On est pourtant à coté du Kremlin, il n'y a que la Moskova à traverser et les grandes routes de part et d'autre. Les grands axes à Moscou, ce ne sont pas des routes, ce sont des autoroutes. C'est Loudmila qui me disait ça avant que je parte. Fais bien attention aux voitures ! Elle a bien fait d'insister sinon je serais déjà mort écrasé. Je n'arrive pas à détacher mes yeux de cet immeuble. Mais comment je vais faire ? Et moi qui voulais même sauter du bateau, il faut que je me calme. Je vais aller trouver le gardien. Il doit bien avoir un registre avec tous les noms des habitants d'hier et d'aujourd'hui. En Russie, on ne rentre dans les grands immeubles qu'en donnant son nom et parfois même il faut son passeport. Et quand c'est encore bien organisé, le gardien écrit sur un registre le nom du visiteur et prévient l'habitant s'il a le téléphone. c'est pour ça que c'est bien mieux de prévenir à l'avance le gardien que l'on va avoir de la visite, ça évite des tracasseries à celui qui ne connaît pas la procédure. Mais il est vraiment immense ce bâtiment. Çà commence où ? Çà s'arrête où ? Çà fait dix minutes que je marche et je n'ai pas fait le tour ; il y a plusieurs cours. Est-ce que tout ça communique ? Je n'en sais rien. 
- S'il vous plaît, izvinitié pajalousta, savez-vous où se trouve le gardien ? Dans la cour ? Mais quelle cour ? Il est toujours en train de fumer, appuyé contre la porte ? Spaciba. 
Ah, ça doit être lui là-bas. Et, m..., j'ai marché dans une flaque aussi profonde qu'un tombeau, j'ai le pied trempé.
- Bonjour Monsieur. 
Le brave homme est bien le gardien. Il est aussi aimable qu'une porte de prison :  mais ce n'est pas réservé à la profession, cette humeur. 
- Mais que voulez-vous que j'y fasse que vous ayez habité là, je ne suis pas le KGB.  
Justement le KGB -ou appelez le comme vous voulez- il change de nom aussi souvent que les partis politiques croyant que ça suffit pour dissimuler les malversations et les échecs du passé, il a les noms c'est certain de tous ceux qui ont habités ici. 
- Vous me conseillez d'aller voir le bureau la-bas ? C'est un musée ? Mais je n'ai pas envie d'aller au musée... 
Je vais aller voir car j'ai consommé tout mon temps de parole avec le gardien qui s'est refermé comme une huître. Un escalier de quelques marches, une porte avec une petite plaque. Je mets au défi un touriste de venir dans ce musée. Même par hasard, même perdu, pourquoi aller pousser cette porte en bois plein au milieu de ce mur sale ?
- Sdrasvouitié, izvinitié pajalousta (par contre on entre sans frapper, frapper et attendre un "entrez", ça n'existe pas ici), vous n'allez pas me croire Madame, je viens de passer devant ce bâtiment et j'ai eu un pressentiment ou plutôt une certitude : j'ai habité ici, dans cet immeuble que l'on voit depuis la rivière. Ah, excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Igor Vladimirovitch Viatcheslav. J'ai grandi dans un orphelinat dans la banlieue éloignée de Moscou mais je ne sais pas où je suis né. Certainement Moscou. Le gardien m'a dit que vous pouviez m'aider.
- Vous êtes le bienvenu Monsieur, notre travail ici est particulier. Nous sommes effectivement un Musée mais le seul musée au monde dédié à l'histoire d'un bâtiment. Notre travail n'est pas terminé. Mais connaissez-vous l'histoire de cette maison sur le quai comme l'a appelé le survivant Trifonov et l'architecte Iofane avant lui ? A quel âge avez-vous quitté la maison ? Vous savez au moins ce qui s'est passé ? Nous pouvons dire aujourd'hui, qu'insidieusement, petit à petit, les purges de Staline avec la main maligne du NKVD on fait disparaître près des 2/3 des habitants de cette construction idéale construite pour les membres de l'appareil d'état soviétique. 
Avant la révolution, le pouvoir était installé à Peter (Saint-Petersbourg) mais une fois qu'ils eurent décidé de changer de capitale, il fallu loger tout ce beau monde. L'idéal, pas trop loin du Kremlin et certainement pas dans des appartements communautaires. Il fallait quelque chose de beau, ça aurait dû être recouvert de marbre rose mais le budget avait déjà été multiplié par 3 ou 4. 
- Vous savez Monsieur, les témoignages que l'on a d'enfants ayant vécus ici sont beaux. Il n'y avait pas de voitures, les grandes cours leur permettaient de jouer dehors. Et surtout les magasins implantés au premier (le rez-de-chaussée) et réservés aux habitants évitaient aux mamans de courir trop loin pour s'approvisionner et c'était une tranquillité qui rejaillissait dans le rythme paisible de la vie des plus jeunes. Mais voilà, Staline a pendant des années craint les complots et suspectés ses collaborateurs. et les amis de ses collaborateurs. Et les familles des collaborateurs et des amis des collaborateurs. Toutes les nuits, pendant des années, les voitures noires rentraient dans les cours. Evidemment, les adultes inquiets comme en période de guerre, ne dormaient que d'un œil. On sautait du lit, on écartait légèrement le rideau -vous savez on a pas de volet ici- et on regardait quel appartement s'allumait. Il fallait identifier le plus rapidement possible qui était la nouvelle victime ou tout au moins la nouvelle personne en disgrâce -car quelques-uns en réchappaient- et ensuite détruire les lettres, les photos qui pouvaient prouver une quelconque proximité avec le coupable.
- Mais moi, ou est-ce que j'habitais ? Vous avez des registres ? En 36 j'avais 3 ans. Pouvez-vous chercher Igor Vladimirovitch Viatcheslav ?
Le temps passe. La femme avec qui parlait Igor est passée dans la salle d'à coté. On entend le bruit d'un clavier d'ordinateur. Des voix. Un bruit d'armoire métallique. Elle revient avec un dossier.
- Je suis désolé Monsieur, vous devez faire erreur, votre nom n'est pas ici. Vous veniez certainement voir des amis ou de la famille et votre mémoire d'enfant a mélangé ces souvenirs. 
- Tout cette histoire de l'Histoire m'est assez étrangère, j'étais enfant. J'étais très loin des cauchemars que vous évoquez. Moi je n'ai pas de famille, c'est différent, ça n'a rien à voir. Je recherche simplement mon histoire. Je vous avoue que je n'y pense pas tous les jours, heureusement. Mais votre château là, ce bâtiment... C'était comme une lumière qui s'allume au dessus d'un vieux livre poussiéreux. Je n'ai pas d'autre choix que de souffler la poussière, de déchiffrer, de tourner les pages. C'est ma vie, c'est comme ça. 
- Si vous le souhaitez, je vous laisse exceptionnellement parcourir les centaines de pages de ce dossier. Donnez-moi votre manteau et asseyez-vous ici. Excusez-nous, nous avons très peu de place. Cet espace était l'appartement du concierge dans les années 40 et nous avons pu l'obtenir pour notre musée. Le nouveau gouvernement n'est plus du tout communiste vous savez, on a le droit de parler de ces horreurs du passé.
Igor ne parle plus. Il a les yeux fermés, sa tête dans les mains, les coudes sur la table en bois jaunie par le temps. Il a tourné et retourné toutes les pages pendant plus d'une heure. Il a fini par refermer le dossier. Son nom ne figure nulle part.
- Monsieur Igor, nous allons fermer. Je suis désolé.
- Eléna, as-tu demandé à Monsieur si c'était bien son nom de naissance ? Excusez-moi,  Igor Vladimirovitch, je vous entends parler avec ma collègue et je réfléchis car nous avons eu à travailler sur beaucoup de cas d'enfants qui se sont retrouvés orphelins. Votre histoire n'est peut-être pas du tout étrangère à l'histoire de cet immeuble. Vous pouvez être aussi une victime des purges staliniennes. Les jeunes enfants étaient envoyés dans des orphelinats avec de nouvelles identités. On leur changeait leurs noms pour ne pas faire perdurer le nom des traîtres à la patrie. Enfin c'est comme cela que le régime les classait, les ennemis du peuple. Donc vous étiez peut-être un habitant d'ici. Les hommes, quand ils ne mourraient pas pendant les interrogatoires étaient soient condamnés à la peine capitale, soit envoyés au goulag, en Sibérie. Les femmes des traîtres qui étaient aussi des ennemis du peuple car forcément complices étaient envoyées dans des camps comme celui de Mordavie. Les enfants d'un certain âge étaient envoyés dans des orphelinats pour les ennemis du peuple ; ils gardaient leur nom ceux-là.
- Ou est-ce que se trouve l'école ici ? Je crois que je peux refaire le chemin pour vous dire exactement où j'habitais. 
- Il n'y a pas d'école ici Monsieur
- Elena, sur la maquette, au-dessus, la grande maison, c'était une école. Venez-voir la maquette ! Est-ce que vous reconnaissez quelque chose ?
- Mais bon sang, j'étais gamin,vous croyez que j'avais un вертолёт (virtaliotte, hélicoptère) ? Il faut que j'aille voir sur place, là-bas.
- Nous pourrons vous accompagner demain, nous allons fermer. Venez à 10h, reposez-vous bien, j'espère que nous pourrons vous aider. Ça nous aidera nous aussi, encore une fois, à mieux comprendre l'histoire de notre maison. 

Le lendemain
- Je n'ai pas fermé l’œil, j'ai essayé de dessiner, de tracer un plan. Mais je n'aboutissais qu'à reproduire votre maquette vue hier. Mes souvenir d'enfants ne sont pas assez précis. C'est sur place, j'en suis convaincu, que mes pas vont retrouver la route.
- Regardez-bien la maquette de cet appartement, ça nous fera gagner du temps la-haut. Ça ce sont les chambres, ici le salon. La toute petite pièce, c'est la cuisine. C'était un attribut des vies bourgeoises, inutiles à ces communistes qui ne faisaient que réchauffer les plats de la cantine elle aussi créée à l'intérieur des murs de cette résidence de luxe. Je dis de luxe car à l'époque des appartements communautaires, aucune famille n'avait 140 m² pour elle seule. Et la petite pièce au bout, c'était la porte du vide-ordure ; on déposait son seau et le concierge, par un petit ascenseur privé, venait le vider tous les jours. Cet ascenseur technique a servi aux actions macabres du NKVD pendant les nuits où il procédait à ces terribles arrestations, pour les conduire d'abord à la Loubianka.
Eléna guida Igor jusqu'à l'étage où était l'école en 1936. Ils ont quinze fois descendus les marches et pris l'ascenseur jusqu'à ce qu'Igor 4 fois de suite emprunte le même itinéraire et désigne, catégorique, la porte d'où il sortait pour prendre le chemin de l'école, la porte derrière laquelle il vivait avec son père et sa mère jusqu'à l'âge de 3 ans. Les recherches qui suivirent cette visite lui permirent de retrouver son vrai nom, il apprit les responsabilités politiques de son père, sa disgrâce et son arrestation en septembre. L'interrogatoire conclut qu'il était coupable. Il fut exécuté. Sa mère fut arrêtée deux jours plus tard. Elle a vraisemblablement été déportée, peut-être est-elle décédée. Des milliers d'hommes et de femmes ne revenaient pas vivants du goulag. Aujourd'hui Igor connaît sa vraie identité ; il est déjà décidé à demander le droit de porter le nom de son père. Et maintenant il va compléter ses fouilles dans les registres des goulags pour espérer retrouver les traces de sa mère. Peut-être est-elle encore en vie. Puis il fallu qu'il appelle à la maison, la nouvelle cette fois, qu'il occupe avec sa femme. Mais c'était trop d'un seul coup. Il n'a pas pu articuler un seul son en entendant cette voix si familière. Il est resté la main en l'air, regardant sans les voir, les ombres de le la fin de journée envahir le mur.

Ce récit est inspiré d'une véritable histoire individuelle dans un lieu célèbre et tragique, la maison sur le quai à Moscou. Youri Trifonov, un ancien habitant, a aussi écrit son témoignage "Дом на набережной".

mardi 2 décembre 2014

Sime-nadsite

Sime-nadsite (семнадцать) - dix sept
Sime-nadsite - sine qua non
En rouge au rouge à Moscou - Krass naya plochiade (красная площадь)
Sur la place sur place - au feu au vert à Auvers
Dix-sept à la galerie - c'est à la galerie Pouchkine
Devant Van et derrière Gogh
Aujourd'hui rue Villon cré non de non
A Auvers-sur-Oise si si si (et compagnie)
Si avec ça j'y pense pas 
A Françoise Jéjé Sally
C'est du beau du bon - la chapka à la rigueur
Le 1er décembre c'est l'hiver ici bas
Mais venez venez don, sans passer par le Don
Nous vous y attendons - y a toujours de la betterave rouge dans la supérette à deux pas à deux balles mais pas perdues celles-là
Si on ne fait pas des phrases mais des vers l'hiver
La nature -priroda (природа)- s'impose et pose - justement les flocons ont chu sévodnia (сегодня), ils le savaient.
Epilogue
Si j'avais chu, sur qui je serais tombé malade ? Le médecin l'aurais su, c'était cousu d'avance, de fils blancs. Le fils blanc sans sa mère, dans le sens amer, aurait tiré sa révérence, référence à la rivière, rika (река), c'est aussi le fleuve de ce coté ci de - du - enfin vous voyez.
Epilation
Il faut reconnaître que coté poil, c'est bien tombé. Avec les pintades à Moscou -merci Madeleine- on sait tout de dessous. Et après faut plonger dans la photo ci-dessus en haut. Regardez tranquillement, détendez-vous, laissez filer les secondes. Si vous n'en avez-pas quelques unes de trop, je m'étonne que vous soyez encore ici. Une jeune femme contemple, consentante, la toile de maître Vincent. Image subliminale, une déesse dévêtue traverse ou s'étire à travers la scène. La chaleur des spots est comme celle de l'astre sacré. De surcroît le chauffage municipal redoutable et moscovite et les couleurs de la peinture enflamment la spectatrice. Ses sens sont mis à nus par ces brefs coups de pinceaux tant répétés que non seulement la tête lui tourne mais aussi le corps. Elle a chaud. D'un mouvement souple et rapide, elle enjambe la barrière. Elle est dans le champ. Le soleil n'attend plus que ça, que la belle, en courant, se débarrasse de ses quelques oripeaux pour lui dorer la peau. L'homme a senti la main l'effleurer et il n'a pas eu besoin de mots pour comprendre qu'il n'a d'autre destin que de passer le pas. Les gardiennes, pourtant une dans chaque salle bien souvent, somnolent, leur vigilance assoupie ; elles n'y voient que du feu. Lui aussi est dans le champ sidchass (сейчас). Taugé (тоже). Il se demande s'il cueille quelques fleurs sauvages et ce qu'il doit faire des vêtements épars qu'il est seul à voir. Et il part vers sa charrette plantée sur le chemin. Le paysan qui fauche son champ n'est pas là. Ou alors il ne la voit pas. Mais il est possible que les bras lui en tombent, et que, la bouche entrouverte il contemple la scène en pensant à la vieille à la maison qui ne voudra jamais le croire. Tu as encore abusé de la boisson, ivrogne. Elle, si jeune et venue du japon -comme le désirait le peintre- court, les cheveux au vent. Si ce n'est pas le bonheur, ça lui ressemble. L'homme est maintenant arrivé. Il aurait bien soulevé sa casquette pour éponger son front de sa sueur avec son grand mouchoir à carreaux, mais voilà, il a oublié l'accessoire. Il calme son cheval et l'attend. "Ya jdou gènechina" (я жду женщина) murmure-t-il à l'oreille de son équidé. Elle joue, tend ses bras, à genoux à même la terre, ne faisant plus qu'un avec l'ensemble des dimensions de son univers. Elle finit par se relever, rejoint ce chemin d'Auvers-sur-Oise qui deviendra la rue Villon. Sans poser de question, elle monte, s'assoit à coté de lui. On aurait presque le temps de se faire une toile pense t-il. Leurs mains ne se sont pas encore trouvées mais rien ne presse. Nitchévo (ничего). Rien. Je t'emmène ? Ya yédou vmackvou (я еду в Москву). Je vais à Moscou...

Me relisant et contrôlant à l'affût de fautes ou d'erreurs j'ai découvert le site "Si l'art était conté" qui traite de ce tableau et de plein d'autres. Je vous invite à y faire un tour.


lundi 24 novembre 2014

Nad et Pod

Un grand musée, non pas à ciel ouvert -c'est l'expression qui me vient à l'esprit-, mais tout le contraire, clos, sans ciel et en dehors du circuit de l'art. Pour le peuple et uniquement pour ceux qui prennent les transports en commun souterrains, oui, vous avez deviné, c'est le métropolitain, celui de Moscou, un musée à "terre fermée".
Le métropolitain, c'est d'abord, en français, un adjectif qui s'est ensuite transformé par l'usage en nom commun. C'est un peu dans l'esprit russe de faire des adjectifs avec tous les noms et parfois, par une forme courte de l'adjectif, de l'utiliser sans autre transformation, sans crier gare et sans tergiverser, comme un nom. Donc je vous invite à suivre cette visite -dans sa forme courte, sur internet, sans avoir à vous déplacer- composée en ce jour de l'inauguration, le 25 novembre 2014, d'une cinquantaine de photos prises entre 2013 et 2014 dans les profondeurs de la ville (cliquez sur la photo).
Et si vous avez pour finir besoin d'oxygène, partez explorer ce grand panorama de Moscou, assemblage de 9 photos prises depuis le mont des moineaux, la colline la plus haute dominant la capitale. Il a fallu contourner des arbres pour arriver à cette composition, les raccords sont restés volontairement grossiers et les proportions pas toujours ajustées au plus fin. Ceci pour le plaisir des sens, n'en déplaisent aux cerveaux électroniques. Cliquez sur la photo, vous savez faire maintenant :-)
Patientez le temps de chargement des 10 mégas-octets de cette image à rallonges. Ça c'était pour nad (над), au dessus. Et pod (под), c'était la première partie, en dessous.
Ici, en Russie, pas de milieu, c'est la terre des extrêmes, on passe de l'été à l'hiver, de la bania à la neige. Et vous pouvez étendre la métaphore à beaucoup d'autres choses, s'il vous plaît.

vendredi 14 novembre 2014

A Vinzavod, je lève mon verre

Au XVIIIème siècle les comtes Cheremetiev possédaient dans leur Palais de Kouskovo un aquarium. Et on peut le voir encore de nos jour en visitant cette résidence d'été (vous le savez déjà si vous avez regardé mes photos et si vous lisez les légendes, mais ça c'est une autre histoire ; une légende même). 
Il est original cet aquarium car il a des poissons mais il n'a pas d'eau. C'est en fait une sorte de gros vase avec des poissons peints à l'intérieur. C'est plutôt l'esprit du bassin puisqu'il faut se pencher au dessus pour voir ce qu'il contient. Si l'artiste avait imaginé les aquariums tels que nous les connaissons aujourd'hui, nul doute qu'il aurait peint les mêmes animaux des deux cotés de l'objet pour simuler la transparence.
Devant chez nous, en sous-sol du plus bel immeuble faisant face à l'étang (photo de septembre 2013, déjà !), se trouve aussi un aquarium mais avec des parois en verre et des poissons bien vivants cette fois. Vivant dans l'eau salée. C'est un aquarium de mer. Morskoï, морской
Et l'étang de Tchistié, avant d'être propre -чистие-, il était puant car la zone était marécageuse. Comme d'ailleurs l'île bolotniï -болотный- de mon article précédent. Tout ça pour vous expliquer cette première photographie animalière. Et pour vous dire que cette ostrov (je ne retraduis pas) n'est pas si artistique que je le croyais. Oui, le cadre est très beau, la galerie photo incontournable mais c'était sans connaître Vinzabod, винзавод.
Vinzavod, ça signifie établissement vinicole, ce qui n'est pas pour me déplaire vu mes racines bourguignonnes. C'est un grand lieu tout en briques rouges et en cela il ressemble au quartier est de l'île marécageuse. Plusieurs bâtiments avec des cours intérieures, des cheminées et aussi de grandes caves voûtées, en brique également. Mais aujourd'hui il n'y a plus ni tonneaux ni chaînes d'embouteillage mais des lieux de création et d'exposition. Cet espace est dédié à l'art. L'art en russe se dit iskoustva (искусство). Pourquoi si compliqué quand les Français et les Anglais se contente de 3 lettres ? Comme toutes les bonnes choses, elle se méritent. Dans ce lieu, il y a aussi quelques boutiques et quelques cafés, il faut bien vivre.
De l'illusion d'optique du vase-aquarium à Vinzavod il n'y a qu'un pas car s'y trouvait encore il y a quelques jours une выставка (exposition) du grand Victor Vasarely, français par naturalisation. Le roi de l'illusion dont on peut mentalement renverser les constructions géométriques selon que l'on considère que telle ou telle couleur représente le premier ou le second plan. Daphné n'a même pas regretté que je l'y aie traînée ; c'était les vacances et je ne pouvais pas la laisser penser que l'art se limite aux mangas animés. Admirez le magnifique espace voûté rajoutant une perspective aux constructions alambiquées du peintre.

Et si je vous parlais de l'exposition Paradis -Рай- c'était tout autre chose. Un espace voûté en brique en sous-sol, sans aucune lumière du jour et volontairement laissé dans la pénombre. Une impression désagréable de descendre dans une cave dont on ignore le plan de circulation, les marches et autres défaut du sol accidenté, gravillonné et bruyant. Le fait de vous plonger dans un autre monde d'entrée est déjà une réussite, et cela met bien plus en danger qu'un film noir car il faut faire l'effort de mettre un pied devant l'autre, de s'impliquer physiquement. Rapidement on aperçoit le bout du tunnel. A gauche, au bout d'un couloir, sur la surface totale du mur, une scène filmée d'un arrêt de bus en taille réelle avec les gens qui s'assoient, s'en vont, attendent, le bus passe etc. La vie est là toute proche, ce monde n'est pas si loin du nôtre finalement. A droite plusieurs pièces très grandes remplies d'eau. Ou plutôt, remplies d'une vidéo d'eau, de vagues, avec des personnages dont les silhouettes sont projetées sur des colonnes afin qu'ils puissent se maintenir en position verticale. On peut traverser ces pièces en longeant les murs, sur un chemin "sec", dans l'ombre. On a alors l'impression de rentrer dans un temps passé comme le fait Woody Allen quand il pénètre l'écran de cinéma pour changer d'époque et d'espace. 

Et je ne vais pas faire le tour des 6 autres espaces au moins de Vinzavod où j'ai pu voir photos, peintures, sculptures. Modernes ou moins modernes. Conceptuelles, abstraites ou réalistes. Atelier en désordre ou accrochages bien léchés. Les 2 grandes expo étaient à 200 roubles plein tarif (4 euros), une des petites à 50 et tout le reste en accès libre. On trouve aussi des objets d'art, quelques vêtements et un disquaire spécialisé dans le vinyle ; mais flûte, mes lp de Pavillon 7b sont restés en France ; il doit bien y avoir un moyen...
Même en ayant déjà vu le lieu et l'expo, je n'ai pas trouvé les mots pour convaincre les sœurs de Daphné de nous accompagner. Mais pour Tirez sur le pianiste dans le cadre du festival Truffaut à l'Illusion, j'ai réussi l'exploit d'emmener tout le monde. Les enfants sont contents d'être à Moscou car ils ont leur chambre, leurs amis maintenant, un lycée par trop loin, une grande liberté de circulation, un téléphone mais certainement pas pour découvrir une ville ou une culture. Pourtant même les murs extérieurs de Vinzavod reflètent un esprit différent et moins académique que les autres lieux présentant des créations à Moscou, en tous cas c'est ce qu'ils m'ont renvoyés au fil de ces 2 premières visites.



mardi 21 octobre 2014

Le marais

Le marais c'est balota (болото) et l'adjectif marécageux balotniï (болотный) même si l'île Balotniï est appelée Balotnaya. L'île, ostrov en russe (остров), est pourtant masculin mais laissons cela. Cette île était donc marécageuse comme devait l'être le quartier parisien du même nom.
Ce qui diffère entre Moscou et Paris c'est avant tout l'emplacement de ce marais car le reste se ressemble étrangement. Les deux villes sont de forme circulaire avec leur périphérique ou caltso (кольцо, l'anneau en russe), Moscou, plus grande, à plusieurs bagues à son doigt et leur fleuve ou rivière (pas de différence en russe) traverse ces capitales d'est en ouest. Dans les 2 cas le cours d'eau fait une boucle dans le sud-ouest de la ville et un quartier d'affaire composé de buildings se développe plein ouest ; il est appelé d'un coté la Défense, de l'autre la City. Ces 2 villes se ressemblent tellement géographiquement et en terme de développement qu'il m'a fallu plus d'un an pour réaliser que le cours de la Moskova était nord-sud et non le contraire comme la Seine. Le Kremlin se trouve à l'emplacement des Tuileries, le palais des rois avant la construction de Versailles. A Moscou et à Paris, une île occupe le centre des beaux quartiers.
Le Marais ou l'île Bolotniï est, dans sa partie ouest, un lieu marginal, branché pourrait-on dire, fait de galeries, de sociétés de design ou de mode et de boîtes de nuit et est établi dans une ancienne usine de chocolat et confiseries, Octobre Rouge. Il est en face du temple du Christ Sauveur qui est donc rive gauche et l'île se prolonge face au Kremlin. L'île est sur cette photo présentée à l'envers dans plusieurs sens car habituellement, tout est vu depuis le Kremlin ou depuis la Moskova et depuis ses bateaux qui passent au nord de l'île. L'envers c'est aussi le milieu de la nuit, de l'art. C'est d'autant plus négatif que l'endroit a été choisi à Moscou par le Centre de Photographie des Frères Lumières et sa galerie de photographie. Et le Marais à Paris étant un univers particulièrement prisé par les homosexuels, c'est l'envers de ce qui est accepté par le discours russe officiel.
Mais mon amour coté art russe, avant de connaître ce magnifique pays de l'intérieur, c'était un roi du négatif, de la pellicule. Sa photo est particulièrement soignée, son discours profond et ses négatifs se comptent en kilomètres car c'est un cinéaste. Le bonheur est que je le croise au cœur de la culture russe car il a réalisé un film historique sur un des plus grands peintres d'icônes et leurs deux noms sont pour moi devenus inséparables. Le peintre c'est Andreï Roublev. Le cinéaste Andreï Tarkovski. Et c'est Andreï qui continue à m'apprendre la Russie car c'est le prénom de mon professeur de russe.
L'année passée, au cours d'une de mes plus grandes marches dans Moscou, à l'aveuglette, j'étais parvenu au pied de la muraille d'un monastère abritant le musée Andreï Roublev (photo "Monastère Saint-Andronikov du XVe siècle, place Andronievskaya, Moscou 2013"). Je n'avais pas osé rentrer. Je vous rappelle qu'ici rien (ou si peu) n'est fait pour le tourisme et qu'une fois trouvé la porte (c'est souvent ça le plus dur) il faut encore expliquer parfois ce que l'on vient faire. Maintenant je suis prêt. D'autant plus que j'ai visité la galerie d'icônes du musée Tétriakov avec un guide et que j'ai eu droit à quelques explications face à un des joyaux de l'art russe qui n'est donc pas dans le musée Andréï Roublev : la Trinité, daté de 1420. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont identifiables grâce aux couleurs de leurs toges (pour les initiés) et aux regards, y compris le regard du paysage tourné aussi vers Dieu. Mais le plus étonnant est le calice représenté sans être dessiné, par le prolongement et la courbure intérieure des silhouettes se trouvant de part et d'autre de la petite table centrale. Cela m'a fait penser à Salvador Dali qui a repris cette technique dans plusieurs toiles. 
La photo ci-dessus est composée de 2 photos prises dans le monastère de Novosspaskiï dont l'architecture est comparable à celui de Saint-Andronikov. Il m'a fallu cependant insérer le haut d'une des tours sur la vue plus générale de la galerie du mur d'enceinte pour lui donner un sens. Le nom que vous pouvez lire dans la perspective de cette muraille est celui d'Andreï Roublev (Андрей Рублев). Et dieu sait comme il y avait des marais à son époque.

dimanche 12 octobre 2014

Boulatov, Ivanov et Polenov

Boulatov n'est pas un mot russe à traduire, c'est le nom d'un artiste. Mais je peux essayer. Boulate (булат) c'est l'épée en russe. En garde ! Et Boulatov, c'est l'avant-garde russe, tiens, tiens... Comme Gorki qui veut dire "amer" et qui se décline en Gorkogo pour donner son nom au célèbre parc, Boulat se décline en Boulatov (ça c'est moi qui le dit). Et quand il n'y a pas de déclinaison, il y a des diminutifs car les Russes aiment quand il y a plusieurs noms pour désigner une même chose. Leur conjugaison est plus pauvre que la française mais ils se rattrapent sur la richesse du vocabulaire. D'ailleurs si vous avez lu de grands romans russes, vous avez certainement constaté que la dizaine de personnages que vous découvrez au début de l'histoire sont au final beaucoup moins nombreux ; seulement, ils ont plusieurs noms chacun et parfois très différents les uns des autres. Le "y" en russe ce prononce "ou" donc Eric je l'appelle Boulatov et non pas Bulatov comme les anglo-américains et idem pour tous les noms russes que je traduis. Désolé si tout le monde ne fait pas comme moi, ça complexifie les recherches internet je l'avoue. Mais quand la majorité à tord, je ne suis pas la majorité. Dans les limites du possible évidemment, comme Erik Bulatov lui-même.

Le bleu indique l'entrée mais le pouvoir rouge barre l'accès
 en précisant qu'il n'y a pas d'entrée (Boulatov, 2006).
Mais avant l'avant-garde, il y a l'avant-rentrée. Car on est passé à la saison 2 pour les photos du blog (quoi, vous n'avez pas vu le nouveau lien ?) mais je n'ai pas vraiment conclu la saison une. La morale de l'histoire et tout ça. Le plus important ce sont les enfants bien sûr, ce sont eux l'avant-garde. Alors comme le centre de Moscou est réservé à une élite fortunée et que l'école française est payante, on se dit en arrivant que les conditions de travail vont être exceptionnelles. Beaucoup de jeunes ont déjà vécu dans plusieurs pays, parlent plusieurs langues etc. La vérité est plus mitigée ; les expatriés changent de pays très souvent et il est difficile d'apprendre une langue en quelques années et rester motivé quand on sait qu'on peut partir à tout moment. Pour l'apprentissage du russe, nombreux sont ceux qui abandonnent la deuxième année en voyant les médiocres résultats de ceux qui sont là depuis 3 ans. Moi je m'accroche, c'est passionnant. 
Et quand on pense classe sociale aisée, on pense réussite. Oui, mais réussite ça ne veut pas dire bons résultats scolaires, cela veut dire que l'on peut acheter soit un diplôme dans une école privée soit un job dans une société que l'on préside de près ou de loin. Le pire est qu'à Moscou, il n'y a pas de filière technique pour ceux qui ne s'adaptent pas à la filière générale et qui sont en situation d'échec scolaire. Donc ils vont où ? Et bien ils restent, ils redoublent. En classe de seconde l'année dernière, sur une classe de 25, sept n'avaient pas leur place dans la filière générale. Au final, il n'y a pas 3 classes de première cette année comme auraient pu le laisser penser la présence de 3 classes de secondes l'année dernière mais seulement deux. Un tiers a disparu (un peu moins, l'effectif par classe a augmenté). Donc je vous laisse imaginer les effets dans une classe de la présence d'un quart d'élèves qui savent qu'ils n'iront pas plus loin dans ce système. On nous demande de nous intégrer, les enfants s'adaptent. Ils subissent les influences, c'est la vie, la survie.
Par contre, quand tout le monde rame dans le même sens et dans le bon sens, c'est nettement plus simple. La classe de 5ème d'Iris a fini avec une moyenne générale de 16, génial ! C'était un tout autre cas de figure. Et un tout petit Lycée ça permet à tous de se connaître, c'est plus humain et on a une meilleure visibilité sur tout ce qui peut ne pas bien fonctionner. Le pire est d'entendre des jeunes dire que, de toutes façons, il réussiront car leurs parents ont de l'argent. C'est surtout ça le choc culturel à Moscou, ce n'est pas le niveau scolaire. Et il n'est pas rare que certains jeunes gardent seuls leur appartement le week-end quand les parents vont à la datcha (maison de campagne) ou quand ils disposent de plusieurs logements. Clairement, compte tenu de la sécurité dans le centre, les enfants bénéficient de beaucoup plus de liberté qu'en région parisienne. Et ils sont beaucoup plus riches que ceux que l'on pouvait fréquenter à Malakoff, qui est loin d'être une banlieue française défavorisée. Donc il y a aussi des histoire de drogue, le lycée est au courant et nous avait mis en garde. Certains parents (j'en ai rencontré) interdisent même à leurs enfants de manger à l'extérieur le midi pour limiter les mauvaises fréquentations. Nous, on a choisi de laisser nos enfants s'intégrer. C'est vrai que l'on ne savait pas tout en arrivant mais on ne peut pas vivre dans une bulle ; un jour ou l'autre elle pète, autant être prévenu et être sur ses gardes. D'où l'épée de Boulatov. A ne pas confondre avec celle de Damoclès.
Devant la peinture d'Ivanov, ce n'est pas le Christ qui m'est apparu, c'est Boulatov
(bon d'accord, je ne le connaissais pas quand j'ai pris cette photo).
Et il ne donne pas que des coups dans l'eau, Boulatochka, il n'est pas très aimé du pouvoir en général ai-je pu lire. Je vous encourage à aller sur le site culturel de Caroline (encore une bourguignonne qui vit à Moscou) pour en savoir plus : La Dame de Pique. J'ai tout de suite vu que ça collait avec cet artiste car, et d'une on fait les mêmes photos (enfin moi j'appuie sur un bouton, lui il peint, c'est un tout petit peu plus compliqué) : ma photo prise dans le musée Trétiakov le 25 septembre est proche de sa toile peinte un an plus tôt visible dans l'article de La Dame de Pique où l'on voit le public comme la continuité des témoins de la scène de "l'apparition du Christ au peuple" d'un autre peintre russe, Ivanov.
Cette peinture a beaucoup marqué aussi Polenov. Il faut voir son magnifique domaine "Polenovo" ; remarquez la déclinaison de l'adjectif masculin au génitif. En russe, on ne s'encombre pas de respect par le caractère invariable du nom propre comme en français. Ça rejoint la liberté prise par la création de diminutifs. Ça explique aussi en partie que leur fierté s'ancre plus facilement autour de la nation que de l'individu. Sans avoir vu les magnifiques publications du musée-mémorial Polenovo (mémoire d'un riche artiste militant pour le concept d'art pour tous), je l'aurais appelé Poliénov. Vous remarquerez que je ne vais pas au bout de ma volonté de traduire vers le français en respectant plus de nuances de prononciation car je fais abstraction des notions d'accents, pourtant très important en russe. Parce que je ne les connais pas toujours et parce qu'ils varient d'une région à l'autre. Et puis il y a les lettres qui ne se prononcent pas toujours de la même manière selon leur emplacement par rapport aux autres ou au mot lui-même. J'aurais carrément pu écrire Paliénof. 
NOTRE HEURE EST ARRIVEE
Et de deux (il faut remonter à "et d'une" pour comprendre cette articulation grammaticale), il (Eric Vladimirovitch) introduit dans ses œuvres récentes des mots ; le sens -dans tous les sens du terme- fait alors partie explicite de l'oeuvre. Comme j'adore jouer avec les mots et mélanger la photo et la calligraphie (vous avez pu le constater au fil des articles), j'adore le travail récent de cet artiste. Et cela me fait penser qu'il devient indispensable que je regroupe tous les photos-montages de ce blog dans une rubrique "Montage" afin d'avoir une vision synthétique de toutes mes images personnelles pour peut-être arriver à leur donner aussi plus de sens. Internet me permet d'être mon propre éditeur, ma liberté est totale, je n'ai pas le droit de ne pas en profiter, ça ne durera pas autant que les impôts comme dirait l'autre (ça aussi c'est très français les impôts, les services russes nous ayant répondu à notre demande de régularisation fiscale : mais pourquoi voulez-vous payer des impôts ?).
Pour rester dans la métaphysique, j'aime aussi beaucoup ce tableau où l'écriture n'est qu'une légende et où les personnages montent et descendent du ciel par un long escalier et par l'effet d'une vue en contre-plongée, avec des gestes qui s'apparentent à des signes de croix avec encore au premier plan le regard extérieur de ceux qui se tiennent dans l'ombre. La bande noire de part et d'autre donne l'apparence d'un plan cinématographique ce qui ajoute encore un niveau de regard  supplémentaire, les silhouettes du premier plan pouvant être prises pour des spectateurs de cinéma ; ils sont de toutes façons spectateurs (je vis - je vois).
Jour, 2006, Eric Boulatov
Enfin je conclus cette mini exposition par la lumière avec ce tableau éblouissant de 2006, "Jour" (день en russe).
Les photos des trois œuvres de Boulatov présentées dans cet article ont été prises avec mon téléphone Nokia lors de l'exposition au Manège à Moscou, "живу - вижу". Cela signifie "je vis - je vois" et se prononce "jivou - vijou". Je ne peux m'empêcher de penser à la célèbre phrase de César, "veni vidi vici" mais on remarque qu'à la différence du militaire, l'artiste n'a pas ici la prétention d'imposer un changement du monde. Mais ça a changé au moins ma vision de l'art russe, pas vous ?

dimanche 5 octobre 2014

Enregistrement

L'enregistrement est une étape administrative nécessaire quand le visa excède une certaine durée. Il faut prouver que l'on habite bien où on le prétend. Le propriétaire doit se déplacer et, toujours muni de son passeport (même à la piscine nous avons eu besoin de notre passeport), il signe plusieurs fois lui aussi le dossier de chaque locataire (plusieurs pages d'informations à remplir et à signer avec quelques photocopies à joindre). En contrepartie, l'administration tamponne et découpe une partie du document attestant qu'elle a bien effectué l'enregistrement puis le confie à chacune des personnes temporairement admises sur son territoire. C'est aussi important que le visa, son absence peut déclencher une expulsion de la Fédération de Russie.
Ce début septembre, on a une semaine après la date de renouvellement du visa pour effectuer cette démarche. J'accompagne le propriétaire car l'assistante de Muriel n'est pas disponible et que mon intuition me dit qu'il faut voir ça au moins une fois. Je ne vais pas être déçu du voyage.
On intercepte un minibus par un signe de la main, le bâtiment est dans le quartier mais pas tout proche. On fait glisser la porte de la camionnette, nous montons à l'arrière. Slava qui m'accompagne s'informe de l'itinéraire avec le chauffeur et nous tendons 35 roubles par personne par dessus l'épaule de ce dernier qui roule déjà. A l'arrêt suivant, un jeune homme monte, s'assoit et et me donne 50 roubles. C'est sympa, fallait pas ! Il se trouve que je suis sur le siège dos au chauffeur et je suis prié de faire circuler l'argent et la monnaie dans l'autre sens. Personne ne me parle ni ne me souri. C'est comme ça, il ne faut pas le prendre mal. Ça m'amuse plutôt. Il y a autant de façon de ne rien dire que d'adresser des formules de politesses. Je rends les 3 pièces au passager. Un peu plus loin, Slava demande confirmation à la dame qui descend si c'est bien le prochain arrêt. Je suis assis trop haut par rapport à la fenêtre, je ne vois pas bien dehors et par où l'on passe. Heureusement, j'ai regardé l'itinéraire avant de partir car je rentrerai seul et à pied. Ce n'est pas trop loin et j'ai plus de chance d'arriver au bon endroit compte tenu de la faiblesse de mon langage russe.
Nous descendons enfin, prenons la première à droite, première à gauche. Ce n'est pas la bonne rue ! Je contrôle sur mon téléphone-gps, c'est la prochaine. Le numéro 24 ressemble à une grande maison abandonnée. La porte principale au centre est condamnée. Aucune plaque n'indique qu'il s'agit d'un bâtiment administratif. Flûte (à bec), ce n'est pas ici ! C'est bon, c'est là me dit Slava et il traverse. Nous poussons une grille qui est contre l'immeuble voisin auquel je n'avais pas prêté attention, tellement décontenancé par l'état du bâtiment et l'absence totale de vie. 

Derrière, il y a une petite porte. Un monsieur sort sans nous regarder ; une plaque rouge avec l'aigle bicéphale marque le coté officiel du lieu. C'est un bâtiment de l'office des migrations.
Nous montons un vieil escalier en bois et arrivons dans ce qui ressemble à une ancienne salle de classe. Les tables sont contre le mur, une trentaine de personne se presse contre une porte surmontée du numéro 3. Pas de numéro 2 mais il y a aussi une porte avec un numéro 1 et une sans aucune inscription. Quelques papiers d'information sont scotchés sur les portes ou sur les murs.
Après les avoirs parcourus, Slava s'adresse à la foule pour savoir si c'est bien là et savoir après qui nous sommes. C'est la culture de la file d'attente (очередь en russe). On nous fait parvenir une liste manuscrite écrite sur une demi feuille A4 découpée dans le sens de la hauteur. Slava écrit, avec le crayon que je lui tends, son nom à la suite des autres. Quelques uns sont barrés. J'en compte 18 avant nous, c'est bien moins que le nombre de tchéloviek dans la pièce. Certains ont trouvé une chaise, d'autres s'appuient sur les tables.
La porte 3 s'ouvre de temps en temps mais il arrive plus de monde qu'il n'en part. A chaque arrivée, il y a des échanges verbaux. Personne ne connaît la procédure, personne n'est inquiet on révolté, tous sont résignés. Un sourire peut se deviner sur les lèvres de certains qui partent un papier à la main.
Cinq fenêtres donnent sur la cour, ensoleillée. La lumière est agréable, c'est déjà ça. Nous sommes maintenant une quarantaine. Trois sont rentrés par la porte 3 en même temps. Dans un coin, une chaise pliable solidaire d'une table me permet de m'asseoir pour écrire.
Un policier en uniforme était là, il est reparti lui aussi avec son papier. Il y a plus d'hommes que de femmes, des jeunes et des moins jeunes. Une petite fille avec sa grand-mère apporte un peu de gaieté. Elle passe sous les tables, chantonne. Sinon le silence est religieux, je n'ose pas parler à Slava. J'apprends qu'il y a 2 lignes (2 files d'attente) et il n'est pas sûr qu'on soit dans la bonne. Je n'ai pas la sensation d'être en présence d'étrangers, il parlent tous bien le russe, ils ne sont pas même pas, dans leur grande majorité, typés caucasien. Le Caucasien est l'étranger le plus répandu dans Moscou et en particulier sur tous les chantiers ou aux caisses de certains supermarchés. C'est l'émigré aux petits boulots mais pas seulement car ils détiennent le plus gros du marché des fruits et légumes. Leur teint légèrement basané leur vaut d'être parfois qualifiés de "noirs" par les Russes, avec mépris vous avez compris.
Ça fait une heure qu'on est là à attendre. Il faut maintenant rester debout à coté de la porte. Ça parlemente à chaque entrée. De temps à autre, une sonnerie de téléphone portable, les mêmes que partout dans le monde. Ça y est, je vois les 2 listes qui passent de main en main, une femme n'est pas d'accord ; 4-5 personnes se répondent, elle ouvre la porte numéro 3 de sa propre initiative -alors qu'elle n'était ouverte que de l'intérieur jusque là par le fonctionnaire du bureau voisin- se penche pour s'adresser aux agents mais sans rentrer dans la pièce tout de même. Elle la referme, plusieurs personnes délibèrent, tout le monde se sert de peur de perdre sa place.
Un policier revient avec 4 personnes et ils rentrent directement dans le bureau 3 en se frayant un passage au milieu de la foule. Les visages sont durs et fermés. Il y a maintenant plus de femmes que d'hommes qui attendent. Une heure trente.
C'est notre tour, nous franchissons le seuil de la fameuse pièce. Une toute petite salle avec 2 bureaux. Le notre est celui tenu par une femme. Perdu. On n'a pas pris la bonne file, nous devons ressortir. Nous sommes déjà inscrit en 25ème position dans la seconde liste. Le dixième vient de rentrer. Il fallait prendre la file étranger et non pas russe, je peux lire maintenant ce qui est écrit sur la porte. On en a encore pour une heure vraisemblablement. Il est plus de midi et demi, j'ai déjeuné à 7h, j'ai faim.
Au moment où l'on entre à nouveau, le fonctionnaire se lève, ouvre une porte derrière lui et disparaît. Il reviendra un quart d'heure plus tard avec un couple à qui il remet des papiers. Un homme s'était collé à nous quand nous sommes rentrés, genre je tape l'incruste, je ne suis pas au courant de la procédure. Le fonctionnaire lui donne un ou deux formulaire et il disparaît. Quant à nous, il contrôle nos cinq dossiers, demande au propriétaire de signer et de compléter son adresse au dos d'un formulaire, donne un coup de tampon sur chaque, déchire le bas de chaque feuille -ce sont nos reçus-, le reste va dans une bannette qui n'est rien d'autre que le couvercle d'un carton de ramettes de papier A4 posé sur le coin du bureau et c'est terminé. Spaciba, da svidania.
C'est un peu abracadabrantesque mais certainement pas plus que ce que la France fait subir à ses émigrés en terme de procédure administrative. On devrait tous de temps en temps passer de l'autre coté de la barrière ; mais pas trop souvent, faut pas déconner.

dimanche 28 septembre 2014

Baïkal 4 : Oulan-Oudé

Vendredi
Igor nous conduit au bac pour nous permettre de quitter l'île, à contre-cœur. Un nouveau chauffeur avec qui nous ne lierons aucun lien particulier nous attend avec un véhicule climatisé. Retour direct par la route pour Irkoutsk. Pose déjeuner rapide dans un resto quelconque en bord de route.
Visite du musée des Décembristes, ces révolutionnaires opposés au régime du tsar qui ont été déportés 50 ans en Sibérie et qui ont de ce fait apporté leur culture et une éducation avancée à Irkoutsk. Ses habitants leur en sont reconnaissants. Il s'agissait d'officiers dont la plupart ont été rejoint par leur famille qui ont dû abandonner leurs fortunes et leurs titres de noblesse. Le bâtiment qui fait office de musée est une ancienne maison d'un des principaux Décembristes ; elle est tout de même très bourgeoise et est présentée avec les meubles d'époque. Il y a par exemple un piano-pyramide dont je ne soupçonnais même pas l'existence (voir les photos).
Repas russe au London Pub (tout est possible en Russie) et train de nuit pour Oulan-Oudé.

Samedi
Réveil à 6h ; nous logeons chez l'habitant. Julia nous a préparé un copieux petit-déjeuner. Deux heures de repos et départ pour le monastère bouddhiste de la région, très proche d'Oulan-Oudé, le datsan d'Ivolguinsk. Ce monastère est le plus grand et le plus prestigieux de Russie  ; il abrite la résidence de Khambo-Lama, le chef des bouddhistes de Russie. L'un des trésors du lieu est une collection d'anciens manuscrits bouddhistes en langage tibétain sur de la soie naturelle. Nous avons pu voir également une grande tanka faite entièrement de sable et qui est préservée quelques temps sous verre, au grand plaisir des visiteurs car il s'agit d'un art éphémère et toute volonté de vouloir conserver des richesses ou toute inclinaison à s'attacher aux choses comme aux êtres est contraire à l'esprit de cette religion.
Notre guide a les yeux bridés, elle est bouriate ; elle descend donc des Mongols bien qu'elle soit russe. Elle parle un français impeccable et est très cultivée, c'est un plaisir. Beaucoup de Bouriates sont Bouddhistes mêmes s'ils restent chamanistes (aucun chiffre précis n'est disponible sur le nombre de pratiquants de l'une et l'autre religion et sur le nombre de pratiquants des 2 religions simultanément).
Les moines du monastère étudient les astres et donnent des consultations dans lesquelles ils apportent des conseils dans tous les domaines. Ils peuvent même adresser les malades à un chaman. Le patient donne ce qu'il veut comme rémunération. Certains moines sont spécialisés dans la médecine par les plantes tibétaines. Le Dalaï-lama ne peut toujours pas obtenir de visa lui permettant d'enseigner dans ce monastère qui a sa propre école (bâtiment de l'Université bouddhiste). La Chine s'y appose et la Russie s'incline. Il y a également une bibliothèque même si la période soviétique a entraîné la destruction d'ouvrages et d'objets de culte de toutes les religions du pays. Heureusement pour chacune d'entre elles, les habitants ont caché, jusque dans le forêt, tout ce qu'ils jugeaient dignes de l'être et l'ont souvent confié aux institutions religieuses après la chute de l'Urss.
On visite en faisant le tour de la cour dans le sens des aiguilles d'une montre (Tintin vous a appris j'espère que l'on passe toujours à gauche d'une stupa) et l'on est invité, à une douzaine d'endroits au moins, à faire tourner, toujours dans le même sens, des moulins à prière. Certains ensembles de moulins en comprennent une douzaine, placés les uns après les autres ; exceptionnellement on peut les trouver placés sur deux niveaux différents en hauteur. Et quelques fois aussi, un seul gros moulin que l'on fait tourner à deux mains, nous attend pour disperser nos énergies positives. Les enfants ont trouvé que c'était bien cool comme religion. On a vu des moines réciter des litanies à l'intérieur d'un ou deux temples mais aucune vocation ne s'est confirmée dans la famille. Tous les temples de ce lieu sont splendides (Wikipedia en énumère quatre mais moi j'en compte six différents sur mes photos). Un stade a été construit à coté pour permettre des rencontres entre les moines de la région, non pas philosophiques mais en lutte traditionnelle, tir à l'arc et équitation.
Après le déjeuner, nous allons visiter le musée de l'ethnographie. C'est un parc en plein air dans lequel on été déplacés des maisons meublées de manière traditionnelle, des tombes et même une grande église en bois des Vieux Croyants. Ce lieu est très populaire et comme nous étions le week-end (выходные en russe, выход étant la sortie), il y avait plusieurs couples de mariés venus faire des photos. Ils commencent à flasher sur le parking, à coté des grosses voitures, des bouteilles d'alcool à la main. Toutes les amies de la mariée rivalisent de féminité, perchées sur des talons qui n'en finissent pas. Et toutes se font photographier. Au delà du mariage, c'est le même comportement sur tous les lieux touristiques, à Moscou ou au lac Baïkal. La femme s'assoit, s'allonge, relève la tête, une main dans les cheveux ou sur les anches, toutes ces poses que l'on associe aux mannequins ou aux stars, elles les connaissent et les reproduisent. Ça nous fait plutôt marrer. Les russes font ça très sérieusement avec de beaux appareils reflex équipés de grands objectifs et avec un certain talent quand on voit les résultats sur les profils des réseaux sociaux.
Dans ce fameux musée ethnographique, les plus anciens vestiges sont des tombes attribuées aux Huns. La plus grande est constituée d'un cercle de grosses pierres de cinq mètres de diamètres environ avec en son centre un amas de pierres d'un mètre de rayon. Une autre tombe est faite de pierres dessinant le contour d'une tortue. Mais ce qui m'a le plus intéressé ce sont les éléments de la culture evenk, ces éleveurs de rennes nomades que l'on n'a pas pu seulement croiser car ils vivent dans le nord de la Bouriatie.
Il y аvait plusieurs чум (tchoum), tipis faits d'écorces de bouleaux, et un autre pour l'hiver en peaux de rennes avec, à l'extérieur, des sculptures en bois en forme de rennes, d'oiseaux, de divinités. L'écorce de bouleaux leur permet également de faire des seaux et des sacs.

Dimanche
Aujourd'hui nous allons à une petite heure de route voir un village de vieux croyants et rencontrer une famille. Ces gens se sont exilés en Pologne pour continuer de pratiquer le rite orthodoxe à l'ancienne manière, sans adopter les nouveaux principes imposés par le tsar avant d'être priés, par Catherine II, d'aller peupler la Sibérie. Ce n'est que depuis le début des années 1990 qu'ils peuvent librement vivre leur foi sur le terre russe. On s'attend donc à découvrir des réactionnaires austères, à l'opposé du faste des églises orthodoxes baroques de Saint-Pétersbourg (voir mes photos de Saint-Pétersbourg) ; et bien que ne ni, c'est tout le contraire qui nous attend !
Pour commencer, les maisons en bois sont trop tristes à leurs yeux donc on ne se contente pas de peindre le tour de la fenêtre mais on peint toute la maison. Et les couleurs doivent être vives. Alors que j'imaginais des maisons de bois noircis dans une forêt sombre, je découvre un village coloré au milieu des champs sous le soleil ! la Bouriatie compte plus de 300 jours de soleil par an, 2 mois à 30 degrés et le reste du temps froid ou très froid (-40°). Je comprends mieux pourquoi les enfants ont 3 mois de vacances l'été et peu le reste de l'année. Toutes les familles qui ont des cultures s'activent pour préparer les conserves.
Nous sommes invités à déjeuner dans une famille qui nous reçoit habillée en costume traditionnel. La maison est peinte comme il se doit et même le chien a une belle niche jaune. La table du salon auprès de laquelle nous allons nous asseoir est couvertes de mets plus appétissants les uns que les autres. Et ils vont s'avérer plus savoureux les uns que les autres également. On remplit les verres de vodka ou d'un vin cuit pour les femmes ou de jus de fruits pour les enfants et le maître de maison porte un toast. Le toast est la base de l'alcoolisme en Russie mais aussi de la convivialité. La personne qui prend la parole se lève, fait son petit discours et tout le monde boit (le verre entier de préférence). Et ensuite c'est au chef de la famille invitée. Donc c'est à moi, pas question de se défiler ; le chef en Russie reste l'homme et c'est par exemple toujours à lui, au restaurant, à qui l'on donne l'addition. Et une vodka, une ! Et on mange jusqu'à plus soif. Et après c'est le mariage. Car pour nous présenter leurs traditions, nos hôtes chantent et jouent de l'accordéon mais aussi nous présentent une petite fête de mariage. Je n'ai pas les photos car j'étais le marié, en rouge soyeux, ceinture tissée colorée et chapeau de paille. Et la mariée était très belle, couverte de quelques kilos d'ambre en colliers. Il restait de la place dans notre véhicule donc je l'ai emmenée avec nous. Je suis vieux croyant maintenant. Et tellement vieux que ne je me rappelle plus quand est-ce que je croyais.

Pour conclure le séjour, nous visitons la ville D'Oulan-Oudé. Il y a un quartier de vieilles maison en bois, très séduisantes au premier regard. Le bord des toits et des fenêtres est tellement découpé qu'on les appelle les maisons en dentelle. Mais quand on sait qu'elles n'ont ni eau courante ni chauffage central, on comprend que ce sont des personnes défavorisées qui les occupent. Nous avons pu voir des habitants aller chercher de l'eau dans la rue avec leur seau à la main ; heureusement certaines de ces rues sont équipées d'une petite fontaine. J'ai oublié de m'enquérir de l'état de cette source d'approvisionnement quand la température descend à -40°. Ces maisons sont en danger car elles s'enfoncent de plus en plus dans le sol. 
Un tour au marché nous a permis de nous gaver de framboises car en Sibérie, ce sont les petits fruits des bois et baies qui occupent les étales. Un verre de kvas et au lit. Le kvas (prononcer le s) est une boisson traditionnelle russe plus bue ici qu'à Moscou. Elle est faite à base de pain fermenté et est considérée comme non alcoolisée (1 ou 2%). Une sorte de bière au goût fumé très agréable bien fraiche.

Lundi
Et puis le transsibérien pour Irkoutsk de jour cette fois avec le lac Baïkal comme paysage d'un coté et les forêts de l'autre. La lumière n'était pas au rendez-vous mais dans le wagon, il y avait un samovar intégré ! De quoi prendre son thé (incontournable, nous sommes sur la route du thé !), de quoi réhydrater notre plat lyophilisé. Certains voyageurs utilisent même le dessus du samovar pour poser leur casserole et réchauffer leur repas.

Mardi
Un petit tour dans Irkoutsk écourté par une averse et en route pour l'aéroport après une bonne nuit chez l'habitant. C'est la fin du périple au lac Baïkal en été. Car c'est un tout autre univers l'hiver. 
A bientôt pour de nouvelles nouvelles.