lundi 23 mai 2016

Tchou tchou

Petit déjeuner et voiture pendant une heure pour nous éloigner du village et de ses chiens. Très grand soleil mais nous sommes inquiets car des nuages sont annoncés et la pluie à cheval, il parait que c'est bien plus désagréable qu'à pieds ! Mais il fait beau, ne boudons pas notre plaisir. Les chevaux nous attendent. Neuf. Nous voyageons avec notre guide francophone, c'est le grand luxe, ça permettra de bien mieux comprendre les gens que nous rencontrerons. Deux des chevaux servent à porter les bagages. Garance n'est pas avec nous, elle est restée à Moscou réviser pour le bac ; de plus elle a un entretien en France dans une école pour l'année prochaine.

Trois bombes sont disponibles pour les cavaliers le désirant. Iris ne voulant pas en entendre parler - tout à fait incompatible avec un chignon en haut du crâne et avec un bronzage parfait - il y en a une pour moi. C'est plus confortable que ma casquette contrairement à ce que je croyais. Iris aura finalement des coups de soleil monumentaux, le nez brûlé. Attention au soleil de montagne !

Pour aller à droite ou à gauche il suffit de tirer les rênes dans la bonne direction. Pour arrêter le canasson, on tire en prononçant un R très roulé ; rrrrr ! Pour avancer l'on dit "tchou" en accompagnant la voix de coups de talons dans les flancs de la monture si elle fait la sourde oreille. Allez, c'est parti ! Davaï (давай) ! Tchou tchou !
Les chevaux sont très bien dressés, aucun ne s'emballe, ils avancent tranquillement. L'on va plus vite qu'à pieds mais en ayant l'impression d'une grande lenteur. Nous avons tous notre petit sac à dos comme dans une randonnée pédestre, avec coupe-vent, eau, fruits-secs. J'ai en plus un sac photo avec un reflex équipé d'un zoom 28-300 assez lourd mais qui dispose d'une position anti-vibration en plus de la stabilisation. Je ne m'arrête pas pour cadrer, déclencher. Je dois donc anticiper, être toujours prêt. Mon cheval est très agréable, il suit le groupe même quand je lâche les rênes. A pied, un arrêt pour photographier prend un temps fou car on ne peut pas marcher avec l’œil au viseur. Et comme je suis plutôt du genre indécis et perfectionniste, imaginez !

La matinée, nous chevauchons dans une grande plaine entre 2 chaînes de montagnes aux sommets enneigés. La steppe. C'est grandiose ! Nous doublons un grand troupeau de moutons, une belle roulotte isolée, quelques vaches seules, des mausolées en terre au pied des montagnes. L'islam est très discret ici mais il se rappelle à nous parfois au détour d'un chemin. C'est à chaque fois un plaisir qui témoigne de notre éloignement des terres chrétiennes, qui témoigne de la vie spirituelle au plus profond du pays. C'est à chaque fois une rencontre avec l'histoire. Et ce sera encore plus étonnant quand près du lac, nous verrons des mausolées côtoyer des symboles de l'URSS.
Nous approchons d'une maison, j'aperçois 4 ou 5 hommes, nos deux palefreniers discutent quelques instants en kirghize mais nous, nous continuons sans nous arrêter car les chevaux sont nerveux, plusieurs chiens se sont rapprochés et aboient tout ce qu'ils peuvent. Il y avait un cheval blanc sellé devant un mur de terre blanchi, la bride autour du coup, impassible ; une vision de western que je n'ai pas eu le temps d'immortaliser. Deux cents mètres plus loin, près d'un torrent, nous nous arrêtons : c'est la pause déjeuner ! L'eau est froide mais il y a de l'herbe partout, les chevaux entravés cassent la croûte en même temps que nous. Deux se défient nez à nez ; et un grand hennissement se fait entendre. Un palefrenier fais sa prière quelques mètres plus loin. Le pique-nique se compose de crudités, sardines, pain, reste de beignets, fruits secs, mandarine, thé. Pause, allongé dans l'herbe.
Puis on repart vers notre gauche, en s'enfonçant dans une vallée encaissée, direction la montagne.

(à suivre)

dimanche 22 mai 2016

Lensculture Magnum Photography Awards 2016

Une dizaine de mes photos à Khoujir (île Olkhone, lac Baïkal, Russie) sont présentées sur ce site prestigieux de photos à l'occasion de leur concours annuel :

https://www.lensculture.com/magnum-photography-awards-2016?share_photo=1316772


lundi 16 mai 2016

Brève de Floride

International Photography Competition 2016
FLORIDA MUSEUM of PHOTOGRAPHIC ARTS
ABSTRACT PHOTOGRAPHY
2nd Place: Christophe Gibourg
(Photo "Voile", Baïkal, Russie)





dimanche 15 mai 2016

Победы

Dimanche matin 1er mai
Grand soleil, nous petit-déjeunons dans le jardin. Des crêpes, des concombres, des pommes, du jus de poire et du thé. Nous sommes prêts pour une grande journée de voiture. Nous commençons par changer 10 000 roubles contre 10 000 soms et achetons des médicaments, Nurophen et antibiotiques. Nous sommes 2 à avoir mal à la gorge et il ne faudrait pas que la fièvre se déclare quand nous serons éloignés de la ville. La grande rue dans laquelle nous sommes est bordée d'une multitude d'arbres très verts et feuillus ; ils encadrent une chaîne de montagne enneigée, au loin, dans la perspective de l'avenue. Magnifique ! 
Le Kirghizstan est petit mais s'élève tout de même à 7439 mètres à la frontière chinoise. Le pic Pobedy (Победы), ça ne s'invente pas ! Le mot le plus prononcé en Russie, le plus idolâtré. Il s'agit de la victoire avec un grand V, celle de Staline en 1945. On ne parle pas du tout de la fin de la souffrance des Juifs mais seulement de la victoire du célèbre Géorgien. Oublié l'alliance avec Hitler en 1939. Oublié les Kirghizes partis au front donner leur vie pour protéger la Russie. On parle énormément de cette guerre en Russie mais on ne sait toujours pas que les Américains ont participé à l'ouest et que les pays du Caucase aujourd'hui indépendants et méprisés ont droit aussi à une reconnaissance. Ça rappelle la France pour le coté amnésie. Voilà où nous mène un nom de sommet !
Le second pic du Kirghizstan est plus modeste, 7134 mètres ; ce deuxième sommet de la chaîne du Pamir a un nom inoubliable : le pic Lénine ! Le 7000 le plus gravi au monde car sans grandes difficultés techniques. Quand on voit une carte du relief du Kirghizstan on est stupéfait que l'on puisse encore y trouver de larges vallées car tout est montagne !
Depuis la tour de Burana, XI ème siècle
Nous prenons la route qui sort de la capitale par le nord et filons à l'est en direction du grand lac Issyk Koul. Ce devrait être le lac d'Issik Kel (en prononçant e et non è) mais ce son n'existant pas en russe, il est devenu "ou". Les Kirghizes qui utilisent le cyrillique - comme vous le savez maintenant - ont ajouté la lettre "ө" ; un petit e complètement fermé. Ça donne donc Ысык-Көл. En russe. Иссык-Куль. Le "lac chaud" ne gèle jamais car il est salé. Avec ses dimensions de 182 km sur 60 et son altitude de 1606 mètres, il est le second plus grand lac de montagne du monde après le célèbre lac Titicaca.
Nous longeons le sud du Kazakhstan. Une rivière orangée chargée de boue nous sépare de ce très grand pays de l'ex-Union Soviétique qui a décidé de renforcer sa frontière de fil de barbelé et de miradors. Les villages de l'autre coté, qui sont dans la même vallée, n'ont plus d'accès libre à Bichkek. Il faut dire que ces protections ont suivi des mouvements de protestations populaires qui ont amené un changement de gouvernement au Kirghizstan. Ça fait donc peur au régime Kazakh. A la différence de ses voisins très autoritaires (Ouzbékistan, Tadjikistan, Chine et Kazakhstan), le Kirghizstan a mis en place un régime parlementaire avec un président aux droits limités. Ça n'empêche par le pays d'être pauvre avec un PIB de 7 milliards de $. C'est moins que ce que renvoie au pays l'ensemble des expatriés kirghizes de Russie (un sixième d'une population totale de près de 6 millions) !
Nous dépassons un grand marché aux bestiaux. Il y a beaucoup d'élevage ici, chevaux, moutons, vaches, yacks. Et on trouve des plats avec du cheval au restaurant. La route défile, la fatigue se fait sentir, mes yeux se ferment, ma tête bascule, je m'endors.
Pause déjeuner dans le grand village de la région. On achète des légumes et des fruits pour le trek. Tomates, carottes, concombres, mandarines, pommes. Un peu plus loin dans la ville, nous nous installons dans un restaurant. C'est une ville de 15000 habitants mais avec l'ambiance d'un village. C'est dimanche, il y a peu de monde, peut-être à cause du grand marché aux bestiaux. Nous sommes à Kochkor. Nous nous régalons d'un plat bien épicé de bœuf cuit sur plaque chauffante, en forme de bœuf aussi. Le genre de plat que l'on mange dans les restaurants chinois en France. Il y a beaucoup de chinois au Kirghizstan mais nous n'en avons pas encore vu (je crois). Je n'ai pas remarqué d'affichage en chinois non plus alors que cela m'avait sauté aux yeux à Irkoutsk (voir article "De la glace au désert"). Le Kirghiz a les yeux un peu bridé et la peau mate, d'autant plus qu'il a une activité extérieure.
Nous reprenons la route pour rejoindre le village du palefrenier plus au sud. La montagne que nous traversons est désertique, ce qui n'est pas pour me déplaire. Nous sommes à 2000 mètres d'altitude. Il n'y a pas d'arbres mais une herbe rase colore certains versants. Enfin notre village dans le district d'At-Bachy, frontalier de la région chinoise du Xinjiang. Ouf, c'est terminé pour la voiture, demain on prend les chevaux. Nous ouvrons la grille de fer forgé et rentrons la voiture le long d'un parterre de briques de terre en train de sécher. Un agneau noir suit la jeune fille de la maison comme un petit chien. Ce n'est pas une cour mais un vrai champ qui se trouve derrière la maison. Des hommes s'affairent à la construction d'une maisonnette indépendante. Une autre jouxtant le bâtiment principal est en cours de construction. Et une toute petite cabane ajourée est à quelques dizaines de mètres plus loin. En son centre il y a un trou, autour des planches prises dans la terre garantissent la solidité de cette installation on ne peut plus importante : ce sont les toilettes ! Ce sera comme ça partout hors des villes. Pas d'eau courante. Quand il y a une salle de bain, c'est une bania avec des seaux remplis de l'eau froide des torrents et de l'eau bouillante que l'on puise dans un réservoir intégré dans le poêle chauffant la bania. Il y a donc de la vapeur, la chaleur n'est pas sèche comme dans les banias russes et la température de l'air est loin des 100 degrés. Mais c'est extra d'avoir une salle d'eau très chaude dans des coins très reculés ! 
Une voiture s'arrête devant la maison. Deux palefreniers font descendre 2 chevaux transportés dans la remorque. Des hennissements accompagnent le mécontentement des équidés. Nous rejoindrons les autres animaux demain. Deux hommes nous accompagnerons pendant toute la durée du trek. Jakou, le fils du palefrenier malade, est un jeune habillé avec un sweat à capuche Puma de couleur verte, casquette sombre. Il porte des basquettes basses alors que Denice porte des bottes de cuir, équipement dont je n'étais pas pourvu, que l'on ne nous a pas conseillé mais qui m'aurait évité bien des douleurs sur le 3ème cheval que j'eus l'occasion de chevaucher. On nous avait recommandé des guêtres et j'ai utilisé celles de montagne que j'ai depuis mon expédition au Népal. Mais à part éviter quelques tâches de boue à mes chaussures, je n'ai pas compris leur utilité. Inutile aussi les tapis de sol encombrants que l'on a traîné dans l'avion et tout le voyage. Dans toutes les maisons et les yourtes les plus reculées nous avons trouvé des tonnes de tapis et de couvertures.
Le soir venu, une bonne soupe (lagman) à base de pâtes. Attention les invités sont priés de s'asseoir à l'opposé de la porte. L'hôte, en bout de table, passe le repas à remplir les bols de thé noir des invités. On boit du début à la fin du repas, comme en France mais pas comme en Russie. Autre habitude agréable pour les Français, il y a toujours beaucoup de pain sur la table. Parenthèse : si vous êtes de passage dans une maison kirghize et que ce n'est pas le moment du repas ou que vous ne devez pas y participer, vous verrez toujours du pain sur la table. Sinon cela témoignerait de la misère du propriétaire. Et vous êtes tenus d'en prendre un morceau, même symbolique, sans vous asseoir et de remercier par un petit geste furtif des mains jointes. Et sur notre table de repas, en plus du pain, toujours des petits beignets en très grande quantité (petits carrés bien gonflés que l'on peut manger en une seule bouchée, je l'ai déjà dit mais je recommence, c'est tellement bon !). Et encore sur la table, toujours, plusieurs sortes de confitures dès le début du repas. A manger à la petite cuillère ou sur du pain, quand on veut. Dans ces conditions, plusieurs d'entre nous n'ont pu - à diverses reprises - terminer leur plat ou salade composée souvent servie en même temps.

(à suivre)




mercredi 11 mai 2016

Bichkek

Quand on parle du Kirghizstan, on a tendance -depuis l’hexagone- à s'embrouiller. Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Afghanistan, Pakistan et Kirghizstan sont dans un mouchoir à l'est de la mer Caspienne et de l'Iran, au nord de l'Inde, à l'ouest de la Chine et au sud de la Russie. Le mouchoir n'est pas de poche car il fait en superficie plus de 8 fois la France (dont 4 fois pour le Kazakhstan, le plus grand, au sud de la Russie) et la population totale du mouchoir fait plus de 4 fois celle de la France (dont près de 3 fois pour le Pakistan). Si l'on écarte les 2 pays les plus au sud qui font malheureusement régulièrement la une de l'actualité (attentats talibans), les autres sont plutôt tranquilles, tenus par des régimes forts, voire très forts et on y parle encore le russe même si son enseignement n'est pas forcément obligatoire depuis la fin de l'URSS - 1991 est l'année de leur indépendance. Le Kirghizstan est devenu le plus démocratique de cette bande des "stan", nous en reparlerons.
Alors leur associer sans fautes les noms des capitales Astana, Tachkent, Douchanbé, Achgabat, Kaboul, Islamabad et Bichkek est chose impossible pour un Français !


Samedi 30 avril 2016, 4h30, réveil ! A 8h l'avion doit s'envoler mais à 8h30 on nous renvoie porte 5 pour raisons techniques. A 10h on finit par décoller. Quatre heures plus tard, nous perdons de l'altitude et sous nos yeux tournés vers le hublot s'étale une multitude de champs très verts, quelques petits villages, des chemins, des routes assez étroites. Tout est calme, on ne voit presque aucun mouvement. Nous nous posons à Bichkek, capitale du Kirghizstan, à 17h. Trois heures de plus qu'à Moscou. Il est trop tard pour nous rendre au grand marché de la ville. Alors qu'à Moscou les arbres n'ont pas encore de feuilles, ici tout est très vert. Et il fait grand soleil, on se croirait en plein été !

Les bâtiments sont gris, de l'époque soviétique. Les boutiques sont recouvertes de publicités, plus criantes les unes que les autres. Ca donne une impression d'absence de réglementation ; l’esthétique semble n'être la priorité de personne. La dernière route que nous empruntons est complètement défoncée, il faut rouler au pas. Mais Mourat est un chauffeur d'expérience et prudent ! Nous logeons chez l'habitant. Le quartier est d'apparence assez pauvre, des travaux au milieu de la chaussée - elle est complètement éventrée - donnent un air d'abandon car il n'y a aucune trace d'ouvriers ou d'une activité quelconque (j'apprendrai plus tard que la semaine comporte plusieurs jours fériés et qu'elle est chômée pour beaucoup, ceci expliquant peut-être cela). Un grand portail en fer forgé s'ouvre, une femme élégante vient nous recevoir. Notre hôte a un petit jardin magnifique. Des iris en fleur, une table et des chaises au milieu d'une herbe grasse, des plantes grimpantes et des chemins de pierre agrémentent ce espace sur 3 cotés de la maison. Une grande chambre avec 4 lits nous attend. Une salle de bain avec wc est à notre disposition. Nulle part ailleurs nous ne rencontrerons ce raffinement. 
Nous allons faire un tour en ville voir la grande place et les rues principales. La température a déjà bien baissé. On aperçoit les 4 hauts minarets blancs d'une grande mosquée. Tiens, ici un cirque dans un beau bâtiment en forme de soucoupe volante ! C'est bien russe ça : цирк ! Nous finissons la soirée dans un bon restau de Bichkek : Tchaïrana. La viande est épicée, il y a du piment sur la table et l'on nous sert une grande corbeille de petits beignets en apéritif ; ils sont carré et on peut en mettre un en entier dans la bouche. Je crois que ce séjour ne sera pas trop compliqué coté alimentation ! Nous sommes avec Ilichbek, un guide francophone très à l'aise dans notre langue sans pourtant avoir jamais mis les pieds en France. La langue kirghize est différente du russe et de l'ouzbek mais s'écrit en cyrillique (enrichi) alors que leur voisin de l'ouest a adopté l'alphabet latin. Et oui, les idéogrammes ne sont pas l'apanage des Chinois et le cyrillique n'est pas réservé aux seuls russes, il va falloir s'habituer !
Un livre d'art kirghiz, sur la table du salon jouxtant notre chambre, dénonce tous les à priori culturels que j'aurai pu avoir à la vue de la vie simple des gens que nous rencontrons et allons rencontrer ; de nombreux artistes sont représentés à travers des œuvres très modernes, en peinture principalement mais aussi en photographie. Allez, au lit ! Petit dej à 8h !