dimanche 15 mai 2016

Победы

Dimanche matin 1er mai
Grand soleil, nous petit-déjeunons dans le jardin. Des crêpes, des concombres, des pommes, du jus de poire et du thé. Nous sommes prêts pour une grande journée de voiture. Nous commençons par changer 10 000 roubles contre 10 000 soms et achetons des médicaments, Nurophen et antibiotiques. Nous sommes 2 à avoir mal à la gorge et il ne faudrait pas que la fièvre se déclare quand nous serons éloignés de la ville. La grande rue dans laquelle nous sommes est bordée d'une multitude d'arbres très verts et feuillus ; ils encadrent une chaîne de montagne enneigée, au loin, dans la perspective de l'avenue. Magnifique ! 
Le Kirghizstan est petit mais s'élève tout de même à 7439 mètres à la frontière chinoise. Le pic Pobedy (Победы), ça ne s'invente pas ! Le mot le plus prononcé en Russie, le plus idolâtré. Il s'agit de la victoire avec un grand V, celle de Staline en 1945. On ne parle pas du tout de la fin de la souffrance des Juifs mais seulement de la victoire du célèbre Géorgien. Oublié l'alliance avec Hitler en 1939. Oublié les Kirghizes partis au front donner leur vie pour protéger la Russie. On parle énormément de cette guerre en Russie mais on ne sait toujours pas que les Américains ont participé à l'ouest et que les pays du Caucase aujourd'hui indépendants et méprisés ont droit aussi à une reconnaissance. Ça rappelle la France pour le coté amnésie. Voilà où nous mène un nom de sommet !
Le second pic du Kirghizstan est plus modeste, 7134 mètres ; ce deuxième sommet de la chaîne du Pamir a un nom inoubliable : le pic Lénine ! Le 7000 le plus gravi au monde car sans grandes difficultés techniques. Quand on voit une carte du relief du Kirghizstan on est stupéfait que l'on puisse encore y trouver de larges vallées car tout est montagne !
Depuis la tour de Burana, XI ème siècle
Nous prenons la route qui sort de la capitale par le nord et filons à l'est en direction du grand lac Issyk Koul. Ce devrait être le lac d'Issik Kel (en prononçant e et non è) mais ce son n'existant pas en russe, il est devenu "ou". Les Kirghizes qui utilisent le cyrillique - comme vous le savez maintenant - ont ajouté la lettre "ө" ; un petit e complètement fermé. Ça donne donc Ысык-Көл. En russe. Иссык-Куль. Le "lac chaud" ne gèle jamais car il est salé. Avec ses dimensions de 182 km sur 60 et son altitude de 1606 mètres, il est le second plus grand lac de montagne du monde après le célèbre lac Titicaca.
Nous longeons le sud du Kazakhstan. Une rivière orangée chargée de boue nous sépare de ce très grand pays de l'ex-Union Soviétique qui a décidé de renforcer sa frontière de fil de barbelé et de miradors. Les villages de l'autre coté, qui sont dans la même vallée, n'ont plus d'accès libre à Bichkek. Il faut dire que ces protections ont suivi des mouvements de protestations populaires qui ont amené un changement de gouvernement au Kirghizstan. Ça fait donc peur au régime Kazakh. A la différence de ses voisins très autoritaires (Ouzbékistan, Tadjikistan, Chine et Kazakhstan), le Kirghizstan a mis en place un régime parlementaire avec un président aux droits limités. Ça n'empêche par le pays d'être pauvre avec un PIB de 7 milliards de $. C'est moins que ce que renvoie au pays l'ensemble des expatriés kirghizes de Russie (un sixième d'une population totale de près de 6 millions) !
Nous dépassons un grand marché aux bestiaux. Il y a beaucoup d'élevage ici, chevaux, moutons, vaches, yacks. Et on trouve des plats avec du cheval au restaurant. La route défile, la fatigue se fait sentir, mes yeux se ferment, ma tête bascule, je m'endors.
Pause déjeuner dans le grand village de la région. On achète des légumes et des fruits pour le trek. Tomates, carottes, concombres, mandarines, pommes. Un peu plus loin dans la ville, nous nous installons dans un restaurant. C'est une ville de 15000 habitants mais avec l'ambiance d'un village. C'est dimanche, il y a peu de monde, peut-être à cause du grand marché aux bestiaux. Nous sommes à Kochkor. Nous nous régalons d'un plat bien épicé de bœuf cuit sur plaque chauffante, en forme de bœuf aussi. Le genre de plat que l'on mange dans les restaurants chinois en France. Il y a beaucoup de chinois au Kirghizstan mais nous n'en avons pas encore vu (je crois). Je n'ai pas remarqué d'affichage en chinois non plus alors que cela m'avait sauté aux yeux à Irkoutsk (voir article "De la glace au désert"). Le Kirghiz a les yeux un peu bridé et la peau mate, d'autant plus qu'il a une activité extérieure.
Nous reprenons la route pour rejoindre le village du palefrenier plus au sud. La montagne que nous traversons est désertique, ce qui n'est pas pour me déplaire. Nous sommes à 2000 mètres d'altitude. Il n'y a pas d'arbres mais une herbe rase colore certains versants. Enfin notre village dans le district d'At-Bachy, frontalier de la région chinoise du Xinjiang. Ouf, c'est terminé pour la voiture, demain on prend les chevaux. Nous ouvrons la grille de fer forgé et rentrons la voiture le long d'un parterre de briques de terre en train de sécher. Un agneau noir suit la jeune fille de la maison comme un petit chien. Ce n'est pas une cour mais un vrai champ qui se trouve derrière la maison. Des hommes s'affairent à la construction d'une maisonnette indépendante. Une autre jouxtant le bâtiment principal est en cours de construction. Et une toute petite cabane ajourée est à quelques dizaines de mètres plus loin. En son centre il y a un trou, autour des planches prises dans la terre garantissent la solidité de cette installation on ne peut plus importante : ce sont les toilettes ! Ce sera comme ça partout hors des villes. Pas d'eau courante. Quand il y a une salle de bain, c'est une bania avec des seaux remplis de l'eau froide des torrents et de l'eau bouillante que l'on puise dans un réservoir intégré dans le poêle chauffant la bania. Il y a donc de la vapeur, la chaleur n'est pas sèche comme dans les banias russes et la température de l'air est loin des 100 degrés. Mais c'est extra d'avoir une salle d'eau très chaude dans des coins très reculés ! 
Une voiture s'arrête devant la maison. Deux palefreniers font descendre 2 chevaux transportés dans la remorque. Des hennissements accompagnent le mécontentement des équidés. Nous rejoindrons les autres animaux demain. Deux hommes nous accompagnerons pendant toute la durée du trek. Jakou, le fils du palefrenier malade, est un jeune habillé avec un sweat à capuche Puma de couleur verte, casquette sombre. Il porte des basquettes basses alors que Denice porte des bottes de cuir, équipement dont je n'étais pas pourvu, que l'on ne nous a pas conseillé mais qui m'aurait évité bien des douleurs sur le 3ème cheval que j'eus l'occasion de chevaucher. On nous avait recommandé des guêtres et j'ai utilisé celles de montagne que j'ai depuis mon expédition au Népal. Mais à part éviter quelques tâches de boue à mes chaussures, je n'ai pas compris leur utilité. Inutile aussi les tapis de sol encombrants que l'on a traîné dans l'avion et tout le voyage. Dans toutes les maisons et les yourtes les plus reculées nous avons trouvé des tonnes de tapis et de couvertures.
Le soir venu, une bonne soupe (lagman) à base de pâtes. Attention les invités sont priés de s'asseoir à l'opposé de la porte. L'hôte, en bout de table, passe le repas à remplir les bols de thé noir des invités. On boit du début à la fin du repas, comme en France mais pas comme en Russie. Autre habitude agréable pour les Français, il y a toujours beaucoup de pain sur la table. Parenthèse : si vous êtes de passage dans une maison kirghize et que ce n'est pas le moment du repas ou que vous ne devez pas y participer, vous verrez toujours du pain sur la table. Sinon cela témoignerait de la misère du propriétaire. Et vous êtes tenus d'en prendre un morceau, même symbolique, sans vous asseoir et de remercier par un petit geste furtif des mains jointes. Et sur notre table de repas, en plus du pain, toujours des petits beignets en très grande quantité (petits carrés bien gonflés que l'on peut manger en une seule bouchée, je l'ai déjà dit mais je recommence, c'est tellement bon !). Et encore sur la table, toujours, plusieurs sortes de confitures dès le début du repas. A manger à la petite cuillère ou sur du pain, quand on veut. Dans ces conditions, plusieurs d'entre nous n'ont pu - à diverses reprises - terminer leur plat ou salade composée souvent servie en même temps.

(à suivre)




1 commentaire:

Unknown a dit…

On attend la suite avec impatience, comme toujours ! Tu nous fais saliver, Christophe, en évoquant toutes ses bonnes choses !

Enregistrer un commentaire