vendredi 25 mars 2016

De la glace au désert

Filons vers Khoujir maintenant. La glace est magnifique. Le village apparaît à l'horizon. Clic. Ça c'est le bruit du déclencheur de l'appareil photo. Pas de bruit de ceinture de sécurité dans la voiture, c'est interdit ici sur le lac gelé. Vous comprenez pourquoi. 
Nous sommes logés dans une maison d’hôte bien plus grande que la dernière fois (lire l'article La vache et la bania, août 2014), dans la même rue de terre, large et plantée de nombreux sapins. Il doit y avoir une dizaine de chambres doubles. Trois nuits. Des Français, des Russes et des Chinois vont se succéder ; les groupes ne prévoient qu'une nuit ici apparemment. Nous sommes loin de Moscou, très avancés en Asie. Tout est écrit en russe et en chinois. Parfois en anglais aussi. J'adore voir l'écriture chinoise, j'ai l'impression d'être encore plus loin, dans un univers encore plus mystérieux. Nous voyons dans ce village beaucoup de maisons en construction. Et le confort s'étend. Dans ce gîte, il n'y a plus simplement que la bania en guise de salle de bains, plus simplement des toilettes sèches au fond du jardin, nous avons la douches et les toilettes attenant à notre chambre !
Imaginez une cour carrée avec des bâtiments en bois à un étage (un étage français ou deux étages russes ; le rez-de-chaussée n'existe pas en Russie). Grand portail en bois toujours fermé pouvant laisser passer les véhicules et une petite porte à droite pour les piétons, grand corps de bâtiment à droite avec l'accueil, des chambres et la salle à manger. A gauche, des chambres suivies d'un espace pour garer 3 véhicules et au fond à gauche 3 petites maisons dont la première, la plus grande, est identifiée bania par un panneau de bois et par une cheminée longue et fine en métal. A droite, au fond, une autre petite maison en bois (un écriteau précise дом, maison) et en face au milieu une palissade donnant sur une petite rue non éclairée la nuit, nous nous en rendrons compte plus tard, parallèle à celle par laquelle nous sommes entrés. Tout est en bois vernis, propre. Aucune agressivité ou rudesse dans l'architecture et la météo est toujours clémente, ça ressemble à un conte de fée sans sorcières. Quand il ne fait que -10°, que l'on a prévu -30, que l'on a collant (équipement technique de sport), valenkis (chaussures en feutre russes), chaussettes mongoles en poils de yack (trouvées sur le marché d'Irkoutsk), petit bonnet russe (ça c'est le père Noël), capuche bordée de fourrure naturelle (ajoutée pour l'occasion et dénichée aux puces d'Izmaïlovo), pull en laine (tricoté par grand-maman 35 ans plus tôt mais que l'on a pu mettre en France que 3 fois tellement il est chaud) et bien l'on n'a pas froid mais pas du tout !
Les enfants sont grands, ils vous apprennent la vie de plus en plus tôt, ils ne vont certainement pas écouter leurs parents, c'est ringard ! Ils habitent à Moscou depuis 2 ans et demi, on ne va pas leur dire comment s'habiller ! Pour sûr qu'ils n'ont pas besoin des ces valenkis que portent traditionnellement les Russes et puis en voiture, "je vais avoir trop chaud avec mon pantalon de ski et bla bla bla". Ils ont eu froid certains jours. Il est dit que l'on ne profite pas de l'expérience des autres. 
Un thé noir et on file sur la banquise, à 15 minutes à pieds, aux abords du Rocher du Chaman, le lieux le plus emblématique de l'île. Amas de verre brisé le long de la côte, une fois la plage de sable traversée. Une scène de ménage géante ; ça a dû faire un bruit incroyable ! En guise de verre, il n'y a que de la glace mais en fine plaque, guère de différence. Il a fallu que je m'aventure au milieu pour photographier tout de même et au delà du caractère instable de l'amas lui-même, quand un morceau casse sous le poids du pachyderme, on devient vraiment un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et le son résonne comme si l'on avait renversé un buffet de vaisselle. Ne nous inquiétons pas outre mesure, rien de précieux n'a été endommagé ; imaginez que le lac est recouvert de plusieurs millions de tonnes de glace !
Ensuite, je sors de mon sac mes caoutchoucs à ressort que je tends sous mes semelles et je m'élance sur l'étendue glacée à perte de vue, pas à pas, ce ne sont pas des patins ! Même excitation que lors de la découverte du désert chaud du Sahara (voir l'article "Le sucre, le Sahara, cахар, Сахара"). Envie de courir à droite à gauche, sur les pierres, sur la glace, sur la neige. Photographier ci et photographier ça. Daphné est restée dans sa chambre, ses deux grandes sœurs traînent derrière nous et arrivent sur la glace... sans leurs crampons ! On peut toujours, direz-vous et vous n'aurez pas tord, marcher sur la glace en chaussures. Mais il y en a une qui se remet tout juste de sa fracture au pied, ce serait dommage. Bien qu'ici le risque soit au niveau du coude, du poignet et du coccyx. Des patineurs, des marcheurs, des photographes, des chiens errants. Extraordinaire ambiance lors de ce coucher de soleil !
Demain ce sera notre plus grande journée sur la glace avec pique-nique au cap Khoboï, la pointe nord de l'île, la frontière entre la petite et la grande mer.

(à suivre) 

vendredi 18 mars 2016

La route de verre

Cette année 2016 est bien plus froide que la précédente. L'eau a gelé plus rapidement, elle est donc globalement plus lisse, plus parfaite et il y a par conséquence moins de chaos de glace sur cette gigantesque étendue. Le Baïkal est un croissant de 636 km de long sur une largeur de 79 km au maximum. L'île principale, l'île d'Olkhone, où nous nous rendons, est la plus grande et est proche de la côte ouest du lac. Le nord-ouest de l'île délimite une surface moins profonde donc plus chaude l'été, qui est appelée la petite mer. La grande mer est l'espace à l'est de l'île qui plonge à 1 km 600 de profondeur.
En été l'on descend de voiture pour monter sur le bac et l'on récupère un autre chauffeur à l'arrivée, sur l'île, pour nous conduire par une piste au village principal, côte ouest donc coté petite mer, la côte la plus facile à vivre car sans trop de falaises, des plages et une proximité avec le continent. Le bateau permet aussi de faire traverser quelques automobiles. Aujourd'hui l'on stoppe sur une surface plane après avoir dépassé un premier bateau couché sur le flanc. Deux autres bateaux sont figés un peu plus loin sur notre gauche. Le plus gros, le bleu, fait l'objet de travaux ; un homme s'active avec un fer à souder à l'extérieur du navire. Il peut certes choir mais ne peut pas tomber à l'eau, il n'y en a plus. Ou du moins plus sous forme liquide. Le piège est qu'il y a de l'eau à l'état liquide à moins d'un mètre, sous l'épaisse (?) couche de glace. Nous sommes sur le lac gelé mais tant qu'il est recouvert de son manteau neigeux, ce n'est ni plus ni moins qu'un grand terrain de football. 
Des piquets délimitent un couloir qui va vers l'est, une large route est balisée sur la glace, épaisseur garantie jusqu'à l'île. Garanti jusqu'à Rougir ! Ce pourrait être une expression mais c'est tout bonnement le nom du village principal, pour ne pas dire le seul, de l'île. Khoujir (Хужир) comme Olkone (Ольхон) ont en russe la lettre "х" que l'on traduit par kh à défaut d'avoir ce son en français. C'est l'équivalent de la jota espagnole, un re de la gorge qui accroche, qu'on prononce sans la langue, à la différence du r roulé. Les occidentaux ont choisi Khoujir où j'ai envie d'écrire Rougir, peut-être à cause de mon nom. Passons. Des panneaux de signalisation routière précisent les limites à ne pas dépasser : 10. Dix tonnes et dix kilomètre-heure.
Notre nouveau chauffeur, Nikolaï (encore un), doit venir de là-bas, de cet horizon glacé. En Ouaz. Vous savez, ce minibus 4x4 soviétique indestructible ! Un petit temps d'attente nous permet de nous familiariser avec cette nouvelle surface. Quand la couche de neige est trop fine et le pas trop sûr, le corps es déséquilibré, le pied levé se précipite en avant et en hauteur tandis que la jambe d'appuis s'efforce de maintenir l'ensemble en position verticale... Ouf ! La chute n'est pas pour cette fois. Ne pas marcher trop vite, essayer de poser le pied à plat. Irina m'avait conseillé de nous appareiller de chaines, plus efficaces que les pics sous les semelles. Je ne parle pas des dents de métal de plusieurs centimètres des crampons d'alpinistes, il n'est pas question de tuer une mouche avec un fusil ! Avec cette température, ni mouche, ni moustique.
Nous partons en voiture sur la glace. Un nouveau rêve commence. Nous entrons dans une autre dimension, nous ne sommes plus soumis aux mêmes lois de gravité, nous glissons sur l'eau ! La neige disparaît par endroit laissant voir la glace ce qui rend l'espace très différent de celui au large de Listvianka, où nous étions pourtant déjà sur le lac gelé.
Arrêt à l'île d'Ogoy (ou plutôt Ogoï, Огой) qui se trouve sur notre chemin. Nous avons quitté la route balisée. Le but n'est plus de rejoindre l'île au plus court pour ensuite être secoué sur une piste bosselée, mais de suivre la longue côte de l'île jusqu'au village de destination, au milieu de l'île qui fait 71 km de longueur. Premiers pas sur la glace qui n'est plus recouverte de neige, à quelques exceptions près. Elle est lisse aux reflets vert foncé ou bleus. Ou noirs. Des stries blanches comme des toiles d'araignée sont enfouies dans la matière gelée, comme un réseau neuronal. N'oublions pas que cet espace est vivant ! Nous sommes au pays des chamans, les chauffeurs laissent une pièce à certains endroits pour porter chance. 
Nous grimpons au sommet de cette petite île et nous faisons un bond en Asie. On y est depuis un moment me direz-vous avec raison mais l'avion franchit les distances si vite que l'on met ensuite du temps à réaliser où l'on est. Une Stupa ! Et des drapeaux à prières qui claquent. Ou des banderoles chamaniques. Ce sont à peu près les mêmes tissus colorés qui sont d'une forme plus rectangulaire et plus régulière dans le cas des drapeaux à prières mais sous l'effet des intempéries, du vent, qui est violent sur cette île, ils se déchirent et se confondent d'autant plus que les religions s'acceptent mutuellement dans cette partie du monde (voir mon article sur le datsan d'Ivolguinsk à coté d'Oulan-Oudé). La vue est magique. Nous avions besoin de marcher, de nous dépenser un peu. Les véhicules se déplacent comme des fourmis, en file indienne. Et justement arrive un groupe de véhicules, ce sont des Chinois. Les bourrasques de vent font voler la neige, je me vois déjà au pôle nord dans une tempête. Le pied ! Mais ça glisse, restons calme encore, je n'ai toujours pas enfilé mes "Yaktrax" !

(à suivre)


lundi 14 mars 2016

Marcher sur l'eau

Alors la moto sur le Baïkal : déjà, ces engins ont deux skis à l'avant et une grosse chenille à l'arrière. Ça accroche, pas de souci sur la neige ou sur la glace. En contrepartie c'est lourd et peu nerveux. Naturellement les agences ne louent pas aux touristes des modèles de course. Nous partons à 4 skidoos. Garance, 18 ans, conduit pour la première fois un véhicule motorisé. Daphné, très fière, s'installe derrière sa grande sœur. M. et Sylvie sont chacune à la tête d'une machine et je chevauche la dernière avec Iris. Un guide nous précède. Certaines motos démarrent électriquement, d'autres avec une poignée reliée à un câble que l'on doit tirer d'un coup sec, comme le moteur des petits bateaux de pêcheurs. D'ailleurs on va sur le lac mais nous n'avons pas mis la pêche au programme. Ça se pratique pourtant beaucoup ici la pêche sur glace ; le plus dur est de faire le trou et de ne pas tomber dedans ; ensuite il suffit d'un fil, d'un hameçon et d'un appât. Mais tout le monde ne revient pas la besace pleine si j'en crois le témoignage de Français s'étant laissé prendre au jeu. Les pros ont des filets qu'ils remontent chargés de poissons. On apercevra sur le lac un ou deux petits cubes de 2 mètres d'arrête (comme par hasard) qui recouvrent un trou et abritent des pêcheurs. 
Une poignée de frein à la main gauche et sous le pouce de la main droite une petite poignée sur laquelle appuyer pour accélérer ; on ne tourne pas la poignée comme sur les motos en France. Ça s'avérera douloureux pour le pouce, qu'on ait ou non de l’arthrose, que l'on se soit ou non foulé par le passé ce doigt si précieux. Le moteur pétarade, ça pue. On est loin de l'ambiance randonnée mais les enfants sont ravis, la balade est très agréable, le paysage magnifique, ne faisons pas la fine bouche ! A cet endroit, au sud-est du lac, on ne voit pas la glace qui est recouverte par plusieurs centimètres de neige. Le blanc à l'infini. Un désert plat. Mais la côte est montagneuse avec des sapins. Il ne fait pas très froid, -5 ou -10 degrés, nous sommes très bien couverts. Retour direct à la base à travers l'immensité, on glisse plus vite, nous nous sommes familiarisés avec les bécanes. Pas d'obstacle hormis quelques fragments de glace protubérants. Surtout, il n'y a pas de crevasse, le seul vrai danger si l'on exclu les endroits où la glace est trop mince. Nous sommes à la bonne saison, au milieu des deux mois et des deux mois seulement pendant lesquels le lac est gelé.
Les skis avant et la chenille sont longs ce qui nous donne un avantage sur le lac face aux voitures dont les roues peuvent se coincer dans certaines fissures. Et nous sommes bien plus légers. L'hydroglisseur lui se rit de l'eau qui apparaît sous l'effet du soleil ; il nous conduit à un petit village accessible par la mer seulement. C'est la magie du lieu qui veut ça, le pouvoir des chamans : le village sur le lac est accessible par la mer !
On aurait pu continuer -avec ce véhicule amphibie- si nous avions su que cela était dans l'ordre du possible, glisser sur la glace jusqu'à l'île d'Olkhon depuis Listvianka sans repasser par Irkoutsk et prendre la voiture. Cette dernière va bien sur le lac mais pas sur ce chemin-ci précisément car l'épaisseur de la glace n'est pas suffisante. Mais à toute chose malheur est bon ; cela nous aurait empêché de revoir Irina ! Et de plus, elle nous a gratifiés non seulement d'un sourire mais aussi d'une bouteille de vodka Baïkal aux pignons, variété que je n'ai jamais vue à Moscou. Ça nous permettra de récupérer les patins de Marc et Nastia autour d'un verre !
Journée de route d'Irkoutsk à Olkhon. Départ épique avec une tempête de neige. On ralentit à peine, tout est gris-blanc, on croise quelques camions, voitures. Ça permet de s'assurer qu'on est bien toujours sur la route. Ici aussi les chasse-neige sont efficaces. La neige s'amoncelle sur les bas-côtés et quand les glissières de sécurité (il y en a peu) sont recouvertes, des groupes de playmobils dégagent la neige, à la pelle, dans le fossé en contrebas malgré le peu de visibilité et les voitures qui les frôlent. Ambiance montagnarde. J'ai l'impression d'aller au ski et pas à la mer. Quand le ciel se dégage, c'est pour nous laisser voir des immensités blanches, des forêts blanches, des villages blanchis d'où ressortent les murs de bois noircis des maisons. Et dans les champs, des points noirs. De nombreux troupeaux de chevaux en liberté. On oublie tout. Surtout moi qui ai la meilleure place, devant ; je m'enfonce dans le paysage à coté du chauffeur russe silencieux.
Puis la route goudronnée laisse place à une piste terreuse. Des tas de terre jalonnent alors notre itinéraire. Des pelleteuses et des engins de terrassement apparaissent, en action. Ils élargissent la chaussée. Comme nous le dira un autre chauffeur au retour sur la même route, les ouvriers travaillent tout l'hiver car celui-ci dure 10 mois de l'année. A -56 les machines ne peuvent plus fonctionner donc ils arrêtent le boulot à -52 (degrés Celsius). Cela lui était arrivé, plus jeune, à 2000 Km plus au nord, sur un grand chantier d'hydrocarbure. Lui, coupait les arbres pour permettre l'installation du site. Ah, ça y est, je vois la mer blanche, le lac Baïkal tout blanc à l'ouest de la petite mer (pour la vraie mer blanche lire l'article sur les îles Solovki). Il a neigé avant-hier. A cet endroit on ne voit pas plus la glace qu'à Listvianka ! Heureusement, ce ne sera pas le cas partout !

(à suivre)

mardi 8 mars 2016

Le lac de glace



Décollage de Shérémétiévo à 0h30. Vol tranquille mais impossible de dormir. Les cinq heures de vol s'ajoutent aux cinq heures de décalage horaire ; on doit arriver à Irkoutsk en fin de matinée pour enchaîner sur une demi-journée chargée. Je referme les yeux mais impossible de dormir. Bon, ladna (ладно, ok), j'accepte la boisson et le repas d'Aéroflot. Descente très douloureuse, j'ai beau mâcher un chewing-gum, ouvrir la bouche, les élancements derrière la tête sont violents, je masse doucement l'occipital, ça me fait si mal que je finis par ne plus pouvoir du tout toucher ma tête, je ne peux plus bouger. Le temps s'écoule sans que je puisse le mesurer, la descente continue et soudainement après une déglutition miraculeuse, le mal disparaît comme il était venu. Irkoutsk, 10h45, -15 degrés.
On atterrit, on récupère nos bagages. Et comme la dernière fois dans cette ville (voir article d'août 2014 "Arrivée à Irkoutsk"), on ne sort de l'aéroport avec sa valise que si l'on présente le coupon du bagage donné lors de l'enregistrement et qu'il comporte le même numéro que celui collé sur son bagage. C'est le seul contrôle possible pour éviter le vol et jamais dans aucun autre aéroport de Russie ou d'ailleurs, je n'ai eu à présenter ce justificatif. Mais par contre je n'ai pas plus le droit d'embarquer avec mon coupe-ongles !
Déjeuner dans le restaurant du musée d'architecture en plein air. Deux heures de marche (au moins cinquante centimètres de neige, difficile de quitter le chemin) dans une grande forêt de bouleaux et de mélèzes avec des constructions traditionnelles evenks, tatares, mongoles, toutes en bois ; même la tente est en écorces ! Il y a aussi une église et une grande palissade en pieux de plusieurs mètres de haut comme celles qui entouraient les premiers campements des Russes qui ont colonisés la Sibérie (cf les dessins précis de Nicolaï Maslov qui a publié Chez Actes Sud BD "Il était une fois la Sibérie").
Nous sommes dans un parc qui surplombe la rivière gelée, blanche de neige, que l'on devine à travers les bouleaux. Le soleil brille, c'est très beau. Mais revenons à notre restaurant. Ah ! Ils ont une spécialité bouriate (la Bouriatie est la région nord, est et sud du lac Baïkal) : les posés ou posy (позы en russe), chouette, ça fait longtemps ! Le posé ressemble au khinkali pour ceux qui connaissent la cuisine géorgienne (voir article de mars 2015 "Georgia on my mind") mais en un peu plus petit et plus gras. Pas de petite queue en pâte pour le tenir mais à la place, au dessus, un petit trou pour boire le jus. Moins pratique mais délicieux tout de même. J'ai dégoté pour vous ce lien : recette des posy bouriates. Bon appétit !

En plus, au menu dans ce même restaurant, une soupe (borsh ou solienka) et un plof (vous ne connaissez pas cette spécialité ouzbek à base de riz ?). Par gourmandise on ajoute une crêpe, avec du miel pour moi, et une petite assiette de poisson cru presque gelé (de l'omoul bien sûr, nous sommes au lac Baïkal). Les crêpes sont délicieuses mais il y en a trois chacun ! Impossible de finir la soupe et le plof ! Le poisson cru gelé, c'est un peu déroutant, on a l'impression de s'être fait servir un plat sorti en toute hâte du congélateur. Oh là là j'ai trop mangé...
On reprend notre véhicule pour longer la rivière, direction le village de Listvianka, au bord du lac. On s'arrête au musée du Baïkal. Nous sommes en surplomb de la source de l'Angara. C'est la seule rivière qui prend sa source dans le Baïkal ; ainsi cette gigantesque réserve d'eau douce, la plus grande du monde, n'est pas une mer mais un lac. Le lac est gelé. Mais pas la source ! Des courants chauds en profondeur dessinent clairement la limite entre le lac Baïkal, gelé et recouvert de neige, et l'Angara qui s'écoule normalement vers le nord-ouest en direction d'Irkoutsk. Le plus étonnant est qu'un kilomètre plus loin, cette même rivière est à son tour gelée et recouverte de neige ; c'est bien elle que nous voyions depuis le musée Taltsy !
Le musée du Baïkal retrace l'origine des continents, la formation de la Sibérie, le mouvement des plaques tectoniques et la faille à l'origine du lac, tout d'abord peu profond et aujourd'hui s'enfonçant à 1600 mètres sous le niveau de l'eau. Le musée se termine par des aquariums avec le fameux omoul que l'on mange à toutes les sauces, tous les repas dans la région. Et le clou tout à la fin : le nerpa. C'est le phoque du Baïkal, une espèce endémique, le seul d'eau douce. Une boule grise avec une queue de poisson, une vraie peluche à l'allure très sympathique, joueur et nageur hors pair. Mais quand c'est fini, il y en a encore ! Maintenant nous descendons d'un étage, prenons place dans un bathyscaphe et partons dans les profondeurs du lac dans un voyage sous-marin... virtuel. Images synchronisées sur tous les hublots. L'installation est bien faite sauf qu'il n'y a pas grand chose à voir sous l'eau ; et le temps passe, la nuit blanche se fait sentir et la position assise nous encourage à fermer les yeux. Il est temps de retrouver notre hôte, Nicolaï, à Listvianka.
Les chambres sont spacieuses, surchauffées. En Russie, la température normale à l'intérieur des maisons ou des voitures n'est pas 19 degrés mais 25. On apporte notre pyjama le plus chaud pour aller en Sibérie et on étouffe ! Mais avant de dormir, un petit repas avec de l'omoul, une salade russe, une petite brioche. Et la bania. The bania ! Avec Nicolaï. A peine arrivés dans la partie de la maison en bois destinée à cet usage, dès que nous sommes dévêtus, nous sommes sommés de nous asseoir sur le banc en hauteur. Le thermomètre affiche 100°. Dire que nos amis nous imaginent transis de froid ! Notre tête est recouverte d'un chapeau de feutre et nous avons pris chacun, avant de rentrer dans l'étuve, une petite planchette en bois pour poser nos fesses sur les bancs en bois sans nous brûler. Nous sommes, Garance, M. et moi avec Sylvie qui nous accompagne dans ce voyage. Rencontre fort agréable qui nous rappelle Nadine qui s'était jointe à notre famille l'été 2014 lors de notre découverte de ce lac magique.

Mon visage me brûle, je mets mes mains sur mes joues pour atténuer la douleur. Nicolaï jette une louche  d'eau sur les pierres brûlante dans le poêle entrouvert. C'est alors un courant d'air brûlant qui nous encercle et nous frappe le dos, un dragon en colère crachant des flammes qui tourne autour de nous et nous attaque à revers. Vite, l'on sort de la fournaise. Un peu d'eau froide sur le visage, quel soulagement ! Pendant ce temps Nicolaï a plongé des branches de bouleaux dans une bassine pleine d'eau. On retourne dans la fournaise, on s'allonge sur le banc sur le ventre et il nous fouette avec les branches assouplies. A la russe, quoi ! Aucune douleur due au contact des branches sur la peau mais une action supplémentaire de l'air chaud sur le corps. On dégouline de sueur. Alors on sort rapidement de la bania, le corps en feu et l'on s'allonge dans la neige, comme le fer rouge que l'on plonge dans l'eau. Et moins de deux minutes plus tard, on rentre au chaud émerveillés de tant de sensations si soudaines, agréables tout en étant à la limite du supportable. Rebelote. Et ensuite on a droit à un savonnage dynamique et tonique de la part de notre hôte qui est équipé d'énormes éponges que la peau trouve très abrasive. Une bassine d'eau tiède pour rincer tout ça, un seau d'eau froide en prime pour un dernier cri et nous partons nous coucher repus, vannés.
Le lendemain, balade à pieds, le lac, le port, le marché puis sortie en motoneige. Ensuite repas que l'on enchaîne avec l'hydroglisseur pour reprendre la voiture qui, en une heure, nous ramène à Irkoutsk chez Irina. On repartira avec une bouteille de vodka Baïkal aux pignons et des pignons au chocolat. Spaciba bolchoï !