mardi 8 mars 2016

Le lac de glace



Décollage de Shérémétiévo à 0h30. Vol tranquille mais impossible de dormir. Les cinq heures de vol s'ajoutent aux cinq heures de décalage horaire ; on doit arriver à Irkoutsk en fin de matinée pour enchaîner sur une demi-journée chargée. Je referme les yeux mais impossible de dormir. Bon, ladna (ладно, ok), j'accepte la boisson et le repas d'Aéroflot. Descente très douloureuse, j'ai beau mâcher un chewing-gum, ouvrir la bouche, les élancements derrière la tête sont violents, je masse doucement l'occipital, ça me fait si mal que je finis par ne plus pouvoir du tout toucher ma tête, je ne peux plus bouger. Le temps s'écoule sans que je puisse le mesurer, la descente continue et soudainement après une déglutition miraculeuse, le mal disparaît comme il était venu. Irkoutsk, 10h45, -15 degrés.
On atterrit, on récupère nos bagages. Et comme la dernière fois dans cette ville (voir article d'août 2014 "Arrivée à Irkoutsk"), on ne sort de l'aéroport avec sa valise que si l'on présente le coupon du bagage donné lors de l'enregistrement et qu'il comporte le même numéro que celui collé sur son bagage. C'est le seul contrôle possible pour éviter le vol et jamais dans aucun autre aéroport de Russie ou d'ailleurs, je n'ai eu à présenter ce justificatif. Mais par contre je n'ai pas plus le droit d'embarquer avec mon coupe-ongles !
Déjeuner dans le restaurant du musée d'architecture en plein air. Deux heures de marche (au moins cinquante centimètres de neige, difficile de quitter le chemin) dans une grande forêt de bouleaux et de mélèzes avec des constructions traditionnelles evenks, tatares, mongoles, toutes en bois ; même la tente est en écorces ! Il y a aussi une église et une grande palissade en pieux de plusieurs mètres de haut comme celles qui entouraient les premiers campements des Russes qui ont colonisés la Sibérie (cf les dessins précis de Nicolaï Maslov qui a publié Chez Actes Sud BD "Il était une fois la Sibérie").
Nous sommes dans un parc qui surplombe la rivière gelée, blanche de neige, que l'on devine à travers les bouleaux. Le soleil brille, c'est très beau. Mais revenons à notre restaurant. Ah ! Ils ont une spécialité bouriate (la Bouriatie est la région nord, est et sud du lac Baïkal) : les posés ou posy (позы en russe), chouette, ça fait longtemps ! Le posé ressemble au khinkali pour ceux qui connaissent la cuisine géorgienne (voir article de mars 2015 "Georgia on my mind") mais en un peu plus petit et plus gras. Pas de petite queue en pâte pour le tenir mais à la place, au dessus, un petit trou pour boire le jus. Moins pratique mais délicieux tout de même. J'ai dégoté pour vous ce lien : recette des posy bouriates. Bon appétit !

En plus, au menu dans ce même restaurant, une soupe (borsh ou solienka) et un plof (vous ne connaissez pas cette spécialité ouzbek à base de riz ?). Par gourmandise on ajoute une crêpe, avec du miel pour moi, et une petite assiette de poisson cru presque gelé (de l'omoul bien sûr, nous sommes au lac Baïkal). Les crêpes sont délicieuses mais il y en a trois chacun ! Impossible de finir la soupe et le plof ! Le poisson cru gelé, c'est un peu déroutant, on a l'impression de s'être fait servir un plat sorti en toute hâte du congélateur. Oh là là j'ai trop mangé...
On reprend notre véhicule pour longer la rivière, direction le village de Listvianka, au bord du lac. On s'arrête au musée du Baïkal. Nous sommes en surplomb de la source de l'Angara. C'est la seule rivière qui prend sa source dans le Baïkal ; ainsi cette gigantesque réserve d'eau douce, la plus grande du monde, n'est pas une mer mais un lac. Le lac est gelé. Mais pas la source ! Des courants chauds en profondeur dessinent clairement la limite entre le lac Baïkal, gelé et recouvert de neige, et l'Angara qui s'écoule normalement vers le nord-ouest en direction d'Irkoutsk. Le plus étonnant est qu'un kilomètre plus loin, cette même rivière est à son tour gelée et recouverte de neige ; c'est bien elle que nous voyions depuis le musée Taltsy !
Le musée du Baïkal retrace l'origine des continents, la formation de la Sibérie, le mouvement des plaques tectoniques et la faille à l'origine du lac, tout d'abord peu profond et aujourd'hui s'enfonçant à 1600 mètres sous le niveau de l'eau. Le musée se termine par des aquariums avec le fameux omoul que l'on mange à toutes les sauces, tous les repas dans la région. Et le clou tout à la fin : le nerpa. C'est le phoque du Baïkal, une espèce endémique, le seul d'eau douce. Une boule grise avec une queue de poisson, une vraie peluche à l'allure très sympathique, joueur et nageur hors pair. Mais quand c'est fini, il y en a encore ! Maintenant nous descendons d'un étage, prenons place dans un bathyscaphe et partons dans les profondeurs du lac dans un voyage sous-marin... virtuel. Images synchronisées sur tous les hublots. L'installation est bien faite sauf qu'il n'y a pas grand chose à voir sous l'eau ; et le temps passe, la nuit blanche se fait sentir et la position assise nous encourage à fermer les yeux. Il est temps de retrouver notre hôte, Nicolaï, à Listvianka.
Les chambres sont spacieuses, surchauffées. En Russie, la température normale à l'intérieur des maisons ou des voitures n'est pas 19 degrés mais 25. On apporte notre pyjama le plus chaud pour aller en Sibérie et on étouffe ! Mais avant de dormir, un petit repas avec de l'omoul, une salade russe, une petite brioche. Et la bania. The bania ! Avec Nicolaï. A peine arrivés dans la partie de la maison en bois destinée à cet usage, dès que nous sommes dévêtus, nous sommes sommés de nous asseoir sur le banc en hauteur. Le thermomètre affiche 100°. Dire que nos amis nous imaginent transis de froid ! Notre tête est recouverte d'un chapeau de feutre et nous avons pris chacun, avant de rentrer dans l'étuve, une petite planchette en bois pour poser nos fesses sur les bancs en bois sans nous brûler. Nous sommes, Garance, M. et moi avec Sylvie qui nous accompagne dans ce voyage. Rencontre fort agréable qui nous rappelle Nadine qui s'était jointe à notre famille l'été 2014 lors de notre découverte de ce lac magique.

Mon visage me brûle, je mets mes mains sur mes joues pour atténuer la douleur. Nicolaï jette une louche  d'eau sur les pierres brûlante dans le poêle entrouvert. C'est alors un courant d'air brûlant qui nous encercle et nous frappe le dos, un dragon en colère crachant des flammes qui tourne autour de nous et nous attaque à revers. Vite, l'on sort de la fournaise. Un peu d'eau froide sur le visage, quel soulagement ! Pendant ce temps Nicolaï a plongé des branches de bouleaux dans une bassine pleine d'eau. On retourne dans la fournaise, on s'allonge sur le banc sur le ventre et il nous fouette avec les branches assouplies. A la russe, quoi ! Aucune douleur due au contact des branches sur la peau mais une action supplémentaire de l'air chaud sur le corps. On dégouline de sueur. Alors on sort rapidement de la bania, le corps en feu et l'on s'allonge dans la neige, comme le fer rouge que l'on plonge dans l'eau. Et moins de deux minutes plus tard, on rentre au chaud émerveillés de tant de sensations si soudaines, agréables tout en étant à la limite du supportable. Rebelote. Et ensuite on a droit à un savonnage dynamique et tonique de la part de notre hôte qui est équipé d'énormes éponges que la peau trouve très abrasive. Une bassine d'eau tiède pour rincer tout ça, un seau d'eau froide en prime pour un dernier cri et nous partons nous coucher repus, vannés.
Le lendemain, balade à pieds, le lac, le port, le marché puis sortie en motoneige. Ensuite repas que l'on enchaîne avec l'hydroglisseur pour reprendre la voiture qui, en une heure, nous ramène à Irkoutsk chez Irina. On repartira avec une bouteille de vodka Baïkal aux pignons et des pignons au chocolat. Spaciba bolchoï !

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