vendredi 18 mars 2016

La route de verre

Cette année 2016 est bien plus froide que la précédente. L'eau a gelé plus rapidement, elle est donc globalement plus lisse, plus parfaite et il y a par conséquence moins de chaos de glace sur cette gigantesque étendue. Le Baïkal est un croissant de 636 km de long sur une largeur de 79 km au maximum. L'île principale, l'île d'Olkhone, où nous nous rendons, est la plus grande et est proche de la côte ouest du lac. Le nord-ouest de l'île délimite une surface moins profonde donc plus chaude l'été, qui est appelée la petite mer. La grande mer est l'espace à l'est de l'île qui plonge à 1 km 600 de profondeur.
En été l'on descend de voiture pour monter sur le bac et l'on récupère un autre chauffeur à l'arrivée, sur l'île, pour nous conduire par une piste au village principal, côte ouest donc coté petite mer, la côte la plus facile à vivre car sans trop de falaises, des plages et une proximité avec le continent. Le bateau permet aussi de faire traverser quelques automobiles. Aujourd'hui l'on stoppe sur une surface plane après avoir dépassé un premier bateau couché sur le flanc. Deux autres bateaux sont figés un peu plus loin sur notre gauche. Le plus gros, le bleu, fait l'objet de travaux ; un homme s'active avec un fer à souder à l'extérieur du navire. Il peut certes choir mais ne peut pas tomber à l'eau, il n'y en a plus. Ou du moins plus sous forme liquide. Le piège est qu'il y a de l'eau à l'état liquide à moins d'un mètre, sous l'épaisse (?) couche de glace. Nous sommes sur le lac gelé mais tant qu'il est recouvert de son manteau neigeux, ce n'est ni plus ni moins qu'un grand terrain de football. 
Des piquets délimitent un couloir qui va vers l'est, une large route est balisée sur la glace, épaisseur garantie jusqu'à l'île. Garanti jusqu'à Rougir ! Ce pourrait être une expression mais c'est tout bonnement le nom du village principal, pour ne pas dire le seul, de l'île. Khoujir (Хужир) comme Olkone (Ольхон) ont en russe la lettre "х" que l'on traduit par kh à défaut d'avoir ce son en français. C'est l'équivalent de la jota espagnole, un re de la gorge qui accroche, qu'on prononce sans la langue, à la différence du r roulé. Les occidentaux ont choisi Khoujir où j'ai envie d'écrire Rougir, peut-être à cause de mon nom. Passons. Des panneaux de signalisation routière précisent les limites à ne pas dépasser : 10. Dix tonnes et dix kilomètre-heure.
Notre nouveau chauffeur, Nikolaï (encore un), doit venir de là-bas, de cet horizon glacé. En Ouaz. Vous savez, ce minibus 4x4 soviétique indestructible ! Un petit temps d'attente nous permet de nous familiariser avec cette nouvelle surface. Quand la couche de neige est trop fine et le pas trop sûr, le corps es déséquilibré, le pied levé se précipite en avant et en hauteur tandis que la jambe d'appuis s'efforce de maintenir l'ensemble en position verticale... Ouf ! La chute n'est pas pour cette fois. Ne pas marcher trop vite, essayer de poser le pied à plat. Irina m'avait conseillé de nous appareiller de chaines, plus efficaces que les pics sous les semelles. Je ne parle pas des dents de métal de plusieurs centimètres des crampons d'alpinistes, il n'est pas question de tuer une mouche avec un fusil ! Avec cette température, ni mouche, ni moustique.
Nous partons en voiture sur la glace. Un nouveau rêve commence. Nous entrons dans une autre dimension, nous ne sommes plus soumis aux mêmes lois de gravité, nous glissons sur l'eau ! La neige disparaît par endroit laissant voir la glace ce qui rend l'espace très différent de celui au large de Listvianka, où nous étions pourtant déjà sur le lac gelé.
Arrêt à l'île d'Ogoy (ou plutôt Ogoï, Огой) qui se trouve sur notre chemin. Nous avons quitté la route balisée. Le but n'est plus de rejoindre l'île au plus court pour ensuite être secoué sur une piste bosselée, mais de suivre la longue côte de l'île jusqu'au village de destination, au milieu de l'île qui fait 71 km de longueur. Premiers pas sur la glace qui n'est plus recouverte de neige, à quelques exceptions près. Elle est lisse aux reflets vert foncé ou bleus. Ou noirs. Des stries blanches comme des toiles d'araignée sont enfouies dans la matière gelée, comme un réseau neuronal. N'oublions pas que cet espace est vivant ! Nous sommes au pays des chamans, les chauffeurs laissent une pièce à certains endroits pour porter chance. 
Nous grimpons au sommet de cette petite île et nous faisons un bond en Asie. On y est depuis un moment me direz-vous avec raison mais l'avion franchit les distances si vite que l'on met ensuite du temps à réaliser où l'on est. Une Stupa ! Et des drapeaux à prières qui claquent. Ou des banderoles chamaniques. Ce sont à peu près les mêmes tissus colorés qui sont d'une forme plus rectangulaire et plus régulière dans le cas des drapeaux à prières mais sous l'effet des intempéries, du vent, qui est violent sur cette île, ils se déchirent et se confondent d'autant plus que les religions s'acceptent mutuellement dans cette partie du monde (voir mon article sur le datsan d'Ivolguinsk à coté d'Oulan-Oudé). La vue est magique. Nous avions besoin de marcher, de nous dépenser un peu. Les véhicules se déplacent comme des fourmis, en file indienne. Et justement arrive un groupe de véhicules, ce sont des Chinois. Les bourrasques de vent font voler la neige, je me vois déjà au pôle nord dans une tempête. Le pied ! Mais ça glisse, restons calme encore, je n'ai toujours pas enfilé mes "Yaktrax" !

(à suivre)


1 commentaire:

MarkDonald a dit…

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Séjour  à Barcelone

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