vendredi 22 juillet 2016

Le lac Issyk-Koul

Prendre la route au Kirghizstan - ce 4 mai 2016 - avant toute chose, avant de découvrir le paysage, avant de rencontrer des habitants, c'est se confronter avec la reconstruction et l'élargissement de la chaussée sur des centaines de kilomètres. On est surpris à Moscou de voir toutes les rues éventrées en même temps pour privilégier la mise à disposition d'un réseau de fibre optique au mépris de la régulation et de la fluidité du trafic routier et on est surpris au Kirghizstan entre Kyzyl Tuu (de la province de Naryn) et Kyzyl Tuu près du lac (il y a 4 villages qui ont le même nom) de voir sur plusieurs centaines de kilomètres la chaussée en cours d'élargissement, de réfection avec très souvent une voie complètement paralysée. Ne peuvent-ils donc par faire petit à petit pour réduire les désagréments ? L'ensemble des travaux avait été confié à des Chinois mais des problèmes ont contraint la révision des contrats et les kirghizes ont récupéré une partie du marché.  
Après être sorti de la montagne, nous roulons sur un immense plateau - ou une large vallée car nous sommes encore entourés de chaînes de montagnes - sans aucun arbre à l'horizon. Il y a tout de même un peu de végétation. Nous faisons un arrêt rapide chez le palefrenier. Ce village de Kyzyl Tuu est étrange : il y a des arbres ! Et certains sont très hauts et couverts de nids de corbeaux. On parlera dans ce cas du bruits des oiseaux et non pas du chant. Encore un peu de route et nous arrivons à Kyzyl Tuu (je reconnais qu'il faut une très bonne connaissance du Kirghizstan pour me suivre). Nos hôtes ont une très grande maison, un grand jardin. L'aménagement des pièces est plus moderne que ce que nous avons vu jusqu'à présent, c'est très occidental, étonnamment dans ce petit village. Heureusement, il reste un peu de tradition dans la salle-de-bain extérieure (la troisième ci-dessous).
Ce village est dédié à la construction des yourtes. Chaque famille s'occupe de fabriquer un des éléments de cet habitat traditionnel. Vous pouvez travailler le bois car l'ossature est faite en saule : la partie basse est constituée de croisillons (ou treillis) articulés. Les intersections des tiges en bois sont mobiles afin de pouvoir replier le tout comme un accordéon. N'oublions pas que c'est une habitation de nomade initialement. Sur ce treillis vont venir s'appuyer des perches en saule qui vont, au sommet de la yourte, retenir le tunduk. Les perches sont courbées afin que le toit soit plus haut et que l'espace intérieur dans lequel on peut rester debout soit plus étendu. Cette installation est précaire tant que des cordes (ou plutôt des sangles car elles sont plates) n'enroulent pas chacune des perches rendant la structure solidaire et stable. Sans les sangles, c'est dangereux, croyez-moi : j'ai pris une perche sur la tête en prenant cette photo !
Toundouk, clé de voûte de la yourte, symbole national représenté au centre du drapeau kirghiz.
Si vous ne travaillez pas le bois et ne tissez pas les cordes, vous pouvez fabriquer des nattes en paille qui seront placées à l'intérieur, tout au tour contre les croisillons. Et un autre gros travail est de faire de grandes couvertures en feutre - avec de la laine de mouton - qui vont recouvrir la structure de bois et isoler contre le froid. Des décorations en laine de plusieurs couleurs vives donnent à la yourte également toute sa beauté. C'est important. 
Notre hôte nous présente son travail du bois, perches et tunduk et nous nous glissons dans le jardin du voisin après être passé devant un coq, quelques moutons et un cheval. Dans cet autre jardin, sur l'herbe, sous les arbres, il y a un aigle, attaché par une patte. Il essaiera de s'envoler à mon approche mais ne pu aller bien loin. Il est imposant même posé sur l'herbe ; son regard est perçant, transperçant même. Son bec et ses serres sont pointus à l’extrême. Un peu plus loin, trois femmes confectionnent une natte : elles prennent une grande herbe qu'elles posent horizontalement sur les précédentes et font passer un fil de laine noir par dessus ou par dessous, à une douzaine d'endroits. Et répètent les mêmes mouvements inlassablement. Quel travail de fourmi ! A coté, sur un banc, une autre femme entoure, à partir de laine brute non filée mais teintée en rouge, un de ces brins de paille ; ceux-ci seront insérés à intervalle régulier dans la fabrication de la natte pour l'embellir.
Dans la maison suivante, nous voyons une femme agenouillée devant un métier à tisser ; elle tisse une bande décorative avec un motif répété. La maîtrise de son travail lui permet de suivre, en même temps, un programme à la télévision. Et derrière les maisons, des chevaux et des bovins regagnent leur enclos. Le chemin est en terre, les clôtures en bois. Les hommes sont habillés très simplement et certains sont coiffés du chapeau traditionnel kirghize. Tout est calme, nous sommes hors du temps.

Nous passons une nuit dans ce village et nous poursuivons, sur une montagne proche, chez un chasseur à l'aigle. Plusieurs hommes et femmes sont justement en train de monter leur yourte à coté de la maison. La grand-mère surveille et ne se gêne pas pour réprimander ceux dont le travail ne lui convient pas. Plusieurs chiens en liberté déambulent ou somnolent. Un lévrier blanc étonnant se redresse ; ses pattes et ses oreilles sont grandes et recouvertes d'une grande quantité de poils blancs, son museau est long et fin, comme celui de tous les lévriers. Il a une allure presque difforme, et du fait des poils on ne voit pas sa ligne très fine caractéristique de cette race de chien très rapide. Je découvre qu'il est aussi utilisé pour la chasse. Une autre chasse est pratiquée ici, celle à l'aigle. Une démonstration suffit à nous convaincre de l'obéissance et de l'habileté du rapace. Après-midi de cheval dans les montagnes verdoyantes, un bon repas et au lit. 
Pour finir, nous partons à pied dans cette vallée rouge appelée "fairy tale". Ça devient littéralement féerique avec l'apparition d'un berger derrière son troupeau sur la crête d'une montagne (photo ci-dessous). Et nous faisons un arrêt rapide dans la ville de Karakol où l'on peut voir une vieille église orthodoxe toute en bois (mais pour les Russes que nous sommes, ça n'avait rien d'exotique). Nous concluons notre tour de cet immense lac d'Issyk Koul, par le nord. Nous nous arrêtons dans la région la plus touristique avec ses stations balnéaires, ces bicoques sur la plage, ses manèges et sa grande roue. Nous sommes encore hors saison, il n'y a personne et l'eau est trop fraîche pour la baignade. Nous croisons à plusieurs reprises des troupeaux de chevaux et parfois assez éloignés d'eux, les bergers-cavaliers entourés de calme et de sérénité. Nous perdons nos repères devant ces modes de vie ancestraux.  A nous demander encore : qu'a-t-on gagné avec la vitesse sinon d'avoir perdu le temps ?

samedi 9 juillet 2016

La grêle

A gauche à quelques pas, la montagne est enneigée. On a bien grimpé. Le ciel est couvert maintenant, le vent plus froid. Nous passons le col. Aussitôt, nous prenons de pleine face un orage de grêle. Les grêlons sont tout petits, cinglants, le vent puissant. Nous sommes littéralement paralysés. Les chevaux n'avancent plus. Les palefreniers viennent nous dire qu'il faut absolument descendre de cheval. Sauf que nous sommes à peine capable de le faire seul. Nous sommes rapidement trempés, glacés. J'avais sur moi mes habits de pluie mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Je range l'appareil photo ; il est bien mouillé mais j'aurai la preuve que c'est du bon matériel, aucune conséquence fâcheuse ne sera à déplorer. On entend le tonnerre mais il n'est pas très proche. La plus jeune d'entre nous a peur et pleure. Le mauvais temps va durer un peu, il faut bouger pour nous réchauffer. Les chevaux sont finalement attachés les uns derrière les autres, nous finissons par tous avoir sur nous nos habits de pluie et nous commençons à descendre. Je cours pour me réchauffer. En descendant, la pluie cesse. Je retire mes gants de cuir et les essore. J'ai les mains gelées. Le froid est si soudain et intense que j'aurai à plusieurs reprises pendant quelques jours des douleurs et des paralysies dans la main gauche au moment de tourner le zoom de l'appareil photo.
La montagne est belle, le brouillard, l'humidité, le ciré vert du palefrenier, j'adore ! Je suis ravi de l'expérience mais ce n'est pas le moment que je le dise, je dois être le seul. Je ne sais pas combien de temps à duré l'épisode, peut-être 30 minutes, une heure ? Il va en falloir beaucoup plus pour que l'on soit sec par contre. Je ressors le reflex avant que l'on ne remonte sur les chevaux. C'est bientôt l'heure du pique-nique. Tout est humide, personne n'a envie de s'arrêter d'autant plus que l'on n'est plus très loin du camps de yourtes où l'on doit passer la nuit. A cheval, en avant ! On mangera plus tard. Les torrents sont ravis, ils dévalent la pente. Un troupeau de yacks sur notre gauche, accroché à la montagne. Et déjà dans le fond de la vallée, après avoir dépassé sur notre droite une ferme solitaire, nous voyons quelques yourtes, deux cabanes et un mur en pisé. Une fumée. L'image de la soupe sur le feu, d'un intérieur chaud suffit à notre bonheur.
Aussitôt arrivés, les chevaux sont attachés, déchargés. Les palefreniers vont repartir, chacun de leurs coté avec tous les deux quelques chevaux ; ils n'appartiennent pas tous au même propriétaire et ils ne retournent pas tous au même endroit. Notre chauffeur est là, j'ai reconnu la voiture de Mourat, ça fait plaisir de le retrouver. Une connaissance, c'est un peu de chaleur en plus. La pluie reprend par moment mais sans violence cette fois. Une petite fille nous regarde arriver. Une yourte nous est attribuée pour notre famille de cinq. Une yourte avec une cheminée ! Une yourte avec un poêle ! Mais une fois à l'intérieur, on comprend qu'il ne faut pas crier victoire trop vite, c'est un four ! Les habits vont vite sécher Notre hôte nous fais chauffer la bania. Etre trempé et pouvoir une heure plus tard se changer et se chauffer, se restaurer même avec des plats chauds, quel luxe !
Une fois propre et réchauffé, nous partons visiter. Et oui, il y a un site historique un peu plus loin, que j'ai aperçu à cheval au pied d'une montagne enneigée. Il y a un caravansérail, le caravansérail de Tach-Rabat, du XVème siècle. Nous sommes sur la route de la Chine, au nord de la chaîne du Pamir. Le caravansérail accueillait les marchands avec leurs animaux, chevaux ou chameaux chargés de marchandises. Aujourd'hui ce grand bâtiment en pierres sèches à l'allure de forteresse est abandonné. Mais il est plaisant d'imaginer de l'agitation, des cris, des odeurs, de la vie entre ces montagnes austères et arides. C'est ici que nous laissons nous aussi nos bêtes pour reprendre la route, pas encore goudronnée, en automobile. Un dernier troupeau de yacks traverse devant nous pour franchir ensuite un torrent et repartir sur l'autre versant. 

Notre route, très accidentée, est encore longue - puisque nous allons faire le tour d'un des plus grands lac d'altitude du monde - et elle nous réserve encore bien des surprises.

(à suivre)