mercredi 21 mai 2014

Солнечно

Trois milles kilomètres au nord de Samarcande. 
Les ânes ne sont plus attachés. L'astre solaire a conquit une partie du territoire russe sans que personne ne s'en offusque. C 'est l'époque qui veut ça. Les portes s'ouvrent : "осторожно, двери открываются" (parenthèse sur ma première blague russe : on entend en me lisant le message de l'hôtesse dans le métro "attention, les portes se ferment" mais j'ai changé une syllabe et les portent s'ouvrent au lieu du contraire car ouvrir et fermer sont tes proches en russe, otcrivat et zacrivat).

Un flot de chaussures légères rehaussées de lunettes de soleil partent à l'assaut des escaliers de la station Sokolniki non pourvue d'escalator et fondent vers le parc du même nom pour fouler les allées boisées, les chemins, les routes dédiées aux vélocipèdes (vélo en russe), aux trottinettes, aux rollers et divers petits véhicules électriques.


Comme la fleur dans le désert qui à la première goutte d'eau sort de terre pour se tourner vers le soleil, les russes s'épanouissent dans la verdure de cet immense parc dés que la météo est clémente. Et là il ne s'agit pas de clémence ni de Garance, Iris ou Daphné qui ne veulent jamais sortir mais de l'été véritablement car s'affichent encore à 18 heures, vingt cinq degrés (gradoussof). On aime les Russes quand on les voit si amoureux de la nature ; c'est le même élan qui alimente leur attrait pour les fleurs tout au long de l'année (voir article 25, "Les fleurs").


Il y avait autant de citoyens dehors le 9 mai dernier dans la capitale et il faisait aussi très beau mais personne n'écoutait ce jour là les petits oiseaux. La foule acclamait les engins de mort. Plus ils étaient gros, plus les cris étaient retentissants. Les chauffeurs klaxonnaient, faisaient des petits écarts de conduite, accéléraient. Une fête très bon enfant. Cela jusqu'à ce qu'un bouchon de véhicules militaires à la parade se forme. Malgré le ciel bleu, une ombre, de gros nuages noirs se sont profilés à l'horizon. Devant nous une série de véhicules gigantesques transportant chacun un seul missile de la taille d'une fusée que l'on croirait prête à rejoindre une planète inconnue. Ce ne peut être ni pour détruire un char ni un régiment, c'est trop gigantesque. Ça ne peut être que pour souffler une ville entière, tuer d'un coup d'un seul des milliers de civils. Cette fois, c'est la nuit ! Dans mes oreilles qui bourdonnent, je discerne le brouhaha de la foule toujours aussi enthousiaste. Vite partir.
Étonnamment ce défilé était presque anarchique, très loin des pas mesurés et cadencés filmés sur la place rouge où cette force déployée semble si maîtrisée qu'elle en devient impressionnante et parait invincible. Ne voyez pas de symbole fasciste dans tous les bras droits levés vers le ciel, c'est simplement le syndrome "appareil photo" des téléphones portables. 
Mais il est 18 heures passées maintenant, nous rejoignons le souterrain ou un wagon nous attend pour nous conduire au conservatoire Tchaïkovski. Au programme des œuvres pour contrebasse de Mozart, Tchaïkovski et des contemporains comme Kobliakov. Un des solistes à la contrebasse n'était autre que l'Americain Catalin Rataru. Le tout pour 200 roubles soit 4 euros. Солнечно autrement dit "ensoleillé" ; c'est la belle vie à Moscou !

Il fait jour dans la grande salle éclairée de nombreuses fenêtres. C'est perturbant la première fois. Puis, on s'habitue. C'est même parfait pour les photos !

mardi 6 mai 2014

Road movie ouzbek

Ouzbékistan - mai 2014
Il fait chaud. Nous roulons vers Nourata, en direction de Samarcande après avoir quitté Boukhara. Nous croisons régulièrement des vélos à contre sens sur la chaussée défoncée. Beaucoup de femmes, par petits groupes, marchent sur le bas coté. Il y a quelques arrêts de bus mais elles peuvent attendre qu'une voiture ou un des multiples minibus s'arrête. Un calme et une sérénité transpirent de tous ces mouvements bien qu'il n'y ait aucune direction ou numéro sur ces minibus, que la température atteigne 30 degrés à l'ombre et que les distances parcourues à pieds soient longues.
Normalna disent les Russes. Les gens sont souriants, curieux. La population est musulmane dans sa très grande majorité mais je n'ai noté aucun regard hostile vis à vis des shorts ou débardeurs. Les hommes ne portent pas la barbe. Les cheveux blonds et bouclés de Garance attirent les regards et les photographes. Les plus intrépides viennent poser à coté de nous.
Il y a dix ans déjà, dans Tombouctou, sur un autre continent, des enfants venaient toucher la chevelure de Garance et s'enfuyaient en courant, pieds nus, dans la ville de terre et de sable.
A l'époque où les caravanes de chameaux assuraient le transport entre la Chine et l'Europe sur cette fameuse route de la soie, le sable se glissait aussi au delà des remparts de la ville de Boukhara, au pied même de la forteresse, des caravansérails, des médersas, des mosquées.
Avant qu'une synagogue ne soit construite, une mosquée de Boukhara libérait un jour par semaine sa salle de prière pour que les juifs pratiquent leur culte.
L'Ouzbékistan est un pays laïc et, comme en France, les employés prennent sur leur pose déjeuner pour, le vendredi, aller prier à la mosquée. L'occupation soviétique du temps de Staline a entraîné la déportation de la famille du premier président du pays mais a libéré les femmes du voile intégral imposé par la tradition.
Le stalinisme a provoqué aussi la déportation de nombreux Coréens en Ouzbékistan. Il y a aujourd'hui une importante communauté coréenne et des liens économiques privilégiés avec la Corée du Sud. D'ailleurs deux marques seulement se partagent le marché de l'automobile : Daewoo (coréen) et Chevrolet (des petits modèles). Plus quelques Ladas.
La route est maintenant à quatre voies, les véhicules roulent aussi vite que la chaussée le permet ; on voit quelques personnes à pieds ou à vélo de chaque coté et au milieu, le long des blocs de béton délimitant les 2 sens de circulation. La lenteur avec laquelle les piétons traversent cette véritable autoroute fait peur. Sans compter que personne ne s'attache en voiture et qu'il n'y a pas forcément de ceintures à l'arrière. Parfois un homme attend, seul, au milieu, un petit sac à ses pieds sans faire attention à la circulation. Etrange. Parfois une voiture s'arrête sans prendre la peine de se mettre sur le bas coté, dans sa file, sur la route, pour laisser monter ou descendre un passager. Je n'ai pas vu d'accident. Un miracle.
Nous traversons régulièrement des villages, très étendus, entourés de vergers et de champs irrigués. Partout où la steppe et le sable sont absents, l'on voit des tuyaux d'eau plus ou moins gros le long des cultures. Quelques ânes aussi tirant de petites carioles.
Sur le marché, nous avons découverts -c'est utile d'avoir un guide parlant ouzbek- les noyaux d'abricots grillés. Délicieux. вкусный! Ca ressemble aux pistaches salées ; on enlève l'enveloppe pour manger l'amande et ainsi sans fin car il est impossible de s'arrêter.
Nous apercevons des troupeaux de moutons noirs. Nous sommes au pays de l'astrakan. Cette laine est d'une douceur remarquable. On trouve, chez les marchands, de nombreuses toques ou casquettes dans cette matière, à coté des tapis et foulards en soie dont les Chinois ne sont plus les seuls détenteurs du secret de fabrication.
A cette douceur s'oppose le climat ; -20° l'hiver, plus de 45° l'été. L'effet du vent glacial de Sibérie s'est accentué avec la réduction de la mer d'Aral, victime de l'Industrialisation de la culture du coton mise en place à l'époque soviétique.
On voit peu de tracteurs mais plutôt des hommes et des femmes, la bêche à la main. Le soleil tape, жарко. Des femmes avec des ombrelles. C'est beau.
Et des fours à pain au bord des routes : une cloche faite de terre d'un mètre de haut avec une ouverture circulaire au sommet. On jette les végétaux séchés par l'orifice et quand il n'y a plus de flammes, le boulanger dépose sur la paroi verticale intérieure, uniquement muni d'un grand gant en peau, les galettes rondes piquées avec une sorte de peigne métallique rond qui dessine des fleurs sur la pâte. Avant d'être ainsi placée dans le four, la pâte est humidifiée et les pains se collent littéralement à la verticale.
Et comme toujours quand il est tout chaud, le pain est encore meilleur. Avec cela, vous pouvez manger des crudités, soupes, viandes grillées. Ca change de Moscou, il y a de la très bonne viande ici et en particulier du mouton que j'adore.
Nous nous rapprochons de Samarcande et apercevons les montagnes qui courent vers l'Afghanistan. Des bergers dans le désert où il semble n'y avoir ni ombre ni eau. Des touffes d'herbes plus ou moins vertes recouvrent la steppe à l'infini...
Deux fils électriques supportés par des poteaux de bois longent la route toujours goudronnée. Un berger assis sur un âne dévale une colline derrière son troupeau d'ovins. Les collines sont de plus en plus hautes, la route serpente maintenant (сейчас). "12%" signale un panneau. Un col. On redescend. La végétation est toujours minimale. J'aperçois une grande tache d'un vert intense.  Une ville, un oasis. Ce n'est pas encore Nourata. Le chauffeur ne marque pas même un ralentissement. Ce sera 3 heures de route au lieu de 2, il est 11 heures, les véhicules ouzbeks ne sont pas climatisés. Ça secoue et c'est bruyant vitres ouvertes. Même pas envie de boire malgré la gorge sèche. On fait la pause à la fontaine miraculeuse, aux pieds de la forteresse d'Alexandre le Grand. La guide anglophone est en retard, on commence par le repas chez l'habitant. Plaisir d'une cour intérieure ombragée et d'une assiette de crudités (avant une soupe et un riz pilaf à la viande dont les ouzbeks sont les rois).
La route a repris, direction le camp de yourtes et ses chameaux, cachés dans la steppe verte et valonée.
Vision cinématographique d'un troupeau de chevaux sauvages au galop sur la crête d'une colline. Sur plusieurs kilomètres des tortues traversent, à leur vitesse, la chaussée. Elles profitent de la réserve de nourriture que constituent les petits animaux écrasés, au risque d'en faire partie.
En route pour Samarcande, les yourtes avaient été bien chauffées par le soleil, il n'y a pas eu l'ombre d'une petite fraicheur pour perturber la nuit.
Nous longeons des massifs montagneux, nous croisons de grands troupeaux de moutons noirs. L'herbe est rase mais bien verte. De grands troupeaux de bovins aussi. Difficile d'écrire, ça saute en permanence. Impossible de relire certains passages. Un petit nuage d'étourneaux. Aucun arbre en vue devant nous. Un berger somnole allongé dans l'ombre d'un rare et grand panneau d'information en bord de route. Une silhouette de deux hommes assis l'un contre l'autre, sur un âne. Un village avec plein d'arbres !
Par contre ici, plus de système d'irrigation ni de champs cultivés. Les bêtes vont sur ces grands espaces sans clôtures.
Le chauffeur donne de grands coups de volant pour éviter les trous que l'on ne voit qu'au dernier moment. Nous croisons des enfants, avec leur cartable, marchant le long des routes pour aller à l'école. Ils sont toujours bien habillés même si nous sommes à la campagne ; les filles en jupe, les garçons en chemise blanche, toujours heureux de nous saluer.
De nouveau les champs et les vergers agrémentés du chant de nombreux oiseaux. Très grand soleil, faut-il le préciser ? Plusieurs lits de rivières ou torrents à sec coupent la route ; la chaussée goudronnée a été emportée, nous passons au pas, sur la terre et les cailloux.
Parfois un âne seul sur le bord, attaché avec une corde ; ou pas.

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