mardi 20 octobre 2015

Корова, la vache

Pendant que les vaches (la vache, корова, prononcer karova) nous regardent arriver depuis le haut de la colline de Vershinino, notre bateau se rapproche du village. Son fond est plat et son itinéraire précis pour éviter l'enlisement. Et les vaches commencent à dévaler la colline en broutant où l'herbe est la plus verte. C'est une belle grosse vache noire et blanche qui entraîne les autres, une herbe coincée entre les dents, tel un cowboy du Far West. Aucun berger n'accompagne les bêtes. Nous mettons pied à terre et saluons Tatiana qui repart vers le village tandis que nous allons voir un groupe de chevaux en liberté juste de l'autre coté de la route qui longe la côte et traverse Vershinino. Ils sont presque plus curieux que nous et viennent littéralement sous notre nez. Il est rare de voir des chevaux en liberté qui ne s'éloignent pas lorsque l'on s'approche. Un jeune couple qui était avec nous sur le bateau pose, elle en robe blanche légère, longue, très longue avec dans les cheveux une couronne de fleurs immaculées. Un cheval a une cloche autour du cou. Plusieurs ont une raie blanche entre les deux yeux, du front jusqu'aux naseaux. Ils me rappellent des chevaux navajos vus dans le parc de Monument Valley en 2011.

J'adore le plan, de l'autre coté de la route, à coté des bateaux où nous étions il y a 10 minutes : deux femmes sont venues remplir leurs seaux. Elles empruntent le ponton en planches comme on en trouve tout autour du lac. Ils sont plus ou moins longs, plus ou moins larges, plus ou moins branlant. Il n'y a pas l'eau courante dans la plupart des maisons.

Quelques photos plus tard, nous reprenons nonchalamment la route de la maison. Je dis bien LA route parce qu'il y en a qu'une. On ne peut pas se tromper. Et les vaches non plus. D'ailleurs en voilà, au milieu de la chaussée, face à nous. Elles commencent à se disperser. Certaines vont sur leur droite, vers un pré en contrebas, très vert et humide. D'autres, vaches et taureaux mélangés, vont du coté du lac, du bord de l'eau. L'herbe y est bien verte et cela jusque dans l'eau. Plusieurs mètres avant d'arriver au bord du lac lui-même, l'on sent le sol spongieux sous les semelles, détrempé, et par moment le pied s'enfonce. Les animaux avancent d'un bon pas, comme s'ils allaient à un rendez-vous. Peut-être est-ce le cas. Ils sont assez espacés les uns des autres. Je me rapproche du bord du lac et fait demi-tour pour suivre leur cheminement. Beau spectacle que ses bêtes les pieds dans l'eau (ou presque). Celle qui marche le plus près du rivage est suivie par un jeune taureau noir qui lui renifle le derrière et est bientôt remplacé par un autre, brun cette fois. Cette vache est blanche avec de grandes tâches marron, des cornes bien dressées vers le ciel. Elle a quelque chose de sahélienne mais grasse, très bien nourrie. Elle a maintenant les sabots dans l'eau, elle cherche à boire. Ça n'intéresse pas le taureau brun qui continue son chemin sans ne plus prêter attention à la flâneuse. Tient, il y a encore une derrière vache à la traîne le long du lac !

Pendant ce temps le taureau brun a rejoint le taureau noir et ils commencent à se battre en se donnant des coups de cornes. Leur lutte est faite sans grande conviction. Mais suffisamment pour attirer un troisième taureau qui veut se confronter aux deux autres. Ne mettant jamais trouvé à quelques mètres de taureaux en liberté -toutes les photos sont prises avec un objectif de 50 mm- et qui plus est, jeunes et fougueux, je bouge à peine pour ne pas les perturber et ne pas attirer leur attention. Ca tombe bien, je n'ai pas eu l'idée de mettre un pull rouge, ni même l'idée d'en avoir un d'ailleurs. La vache qui aime l'eau continue d'avancer dans le lac. Les femmes venues chercher de l'eau ont fini par poser leur seaux. Je ne sais pas si elles ont conscience de ces scènes autour d'elles, elles discutent. Les taurillons finissent par aller s'encorner un peu plus loin (n'oubliez pas qu'ils ont un rendez-vous) et je peux m'approcher de ma vache. En même temps je m'approche de mes "femmes au puits", un grand classique dans l'art et dans les pays sans eau courante. J'immortalise le tableau. Les taureaux éloignés, les 2 femmes s'en retournent, chargées. Je peux prendre à mon tour le ponton et m'approcher au plus près du bovidé esseulé : clic ! Je repars satisfait, mon plus gros coup de ces dix jours dans le grand nord !

mercredi 14 octobre 2015

Kenozero

Au petit matin nous découvrons autour de la grande maison dans laquelle nous venons de passer la nuit, un beau gazon. Le terrain est rectangulaire et donne d'un coté sur la rue et de l'autre, en surplomb d'une petite plage, sur le lac. Sur l'autre rive du lac, on aperçoit la forêt à perte de vue. Et sur le terrain lui même, une première cabane très ajourée remplie de bois, de bûches. Derrière la maison, une autre cabane mais de forme triangulaire, comme une tente ; ce sont des toilettes, les mêmes que l'on avait pu voir à Solovki le long d'un chemin dans la forêt. Il y a deux autres petites maisons, de forme et taille similaire, des petits chalets. L'un est fermé, l'autre ouvert ; ce sont des banias ! Dès qu'on pousse la porte, l'on sent la chaleur de la veille (ce n'est pas une nuit à 10 degrés qui va avoir raison d'un espace chauffé à 100 degrés et bien isolé !), et l'odeur des branches de bouleau qui sèchent en attendant de servir de fouet lors de la prochaine séance de bains.

Devant la réserve de bois, entourée d'une herbe rase mais bien verte, une table en rondins solidement plantée dans le jardin. Quelques mètres plus loin, un escalier de bois permet d'accéder à la plage qui n'a guère qu'une dizaine de mètres de largeur. Le lac est donc très proche. Il est d'un bleu éclatant -nous avons la chance d'avoir du soleil-, c'est le lac de Kenozero (ozero, озеро, le lac en russe), lac en forme d'étoile aux branches longues et sinueuses. Nous sommes le long d'une de ses branches et ne soupçonnons pas encore l'étendue du cœur de ce plan d'eau. La rosée matinale maintient dans le jardin une fraîcheur qui rend d'autant plus savoureux les rayons chauds du soleil de la fin août. Nous arrivons pendant les rares jours ensoleillés de cet été 2015.
Une dame vient nous saluer et nous guider jusqu'au café qui nous servira de cantine. Il est situé sur l'artère principale qui traverse le village, le long du lac. La route de notre gite est perpendiculaire à celle-ci. Nous traversons donc le village à pieds, les distances sont assez courtes. Les maisons sont en bois, en rondins empilés. Ni clous ni vis, les rondins s'entrecroisent aux angles des isbas grâce à une coupe précise d'encoches. Cela me rappelle un jeu de constructions en bois où l'on montait les murs des maisons avec cette technique. Quelques unes sont peintes de couleurs vives, ce qui donne un ensemble très agréable à l’œil, loin de l'austérité des villages vus plus au nord. Il y a des chiens qui somnolent dans la rue, devant chaque maison. A intervalles réguliers on peut voir non seulement des murs de bûches, des tas de bois soigneusement empilés, mais aussi des piles de 10 ou 20 grumes. Les troncs sont longs mais fins ; on ferait facilement le tour avec les 2 bras. A droite l'administration surplombée d'un drapeau blanc bleu rouge et derrière, la poste. A gauche au coin, un petit produkti (продукты), magasin d'alimentation. Nous prenons cette direction. Sur notre droite maintenant, une vue magnifique sur le lac bordé de forêts au loin. Au nord du lac, où nous sommes, le long de la route, des maisons dont nous voyons l'arrière et les jardins et qui ont presque les pieds dans l'eau.

Face à nous, dans le prolongement de la route, une colline que la route contourne. C'est assez remarquable car tout est plat par ailleurs. Sur cette colline herbeuse, que les vaches dévalent en toute liberté, a été construite l'église du village. Seule construction qui domine la rue et le lac, elle est, elle aussi, tout en bois. C'est une église orthodoxe. Le bulbe est recouvert de tuiles de tremble et est chapeauté d'une croix -orthodoxe ça va de soi ; la croix est orientée nord-sud, c'est la règle, et la partie haute de la traverse en biais au bas de la croix indique le nord. Dorées jeunes, les tuiles foncent avec le temps. Cette église n'a pas été restaurée récemment donc elle est noire. Mais son dessin élégant se détache sur le ciel bleu et est un bon repère pour identifier ce village de Vershinino quand on est sur le lac. Il s'agit tout de même de la Chapelle Saint-Nicolas, du XVIIIème siècle.
Et nous arrivons au café. L'intérieur est très soigné, tout est en bois clair. Une grande salle avec de grandes tables traversées par les piliers sculptés qui soutiennent le plafond.  De gros bancs de 50 cm de largeur. Une table avec 5 assiettes est mise devant une des fenêtres. Nous sommes attendus semble t'il. On nous sert un bol de cacha, des crêpes (blinis, блины) avec de la confiture de baies (les baies c'est yagodi, ягоды, et boltchia yagoda c'est daphné, c'est fou non ?). Avec cela un bon thé noir. C'est très copieux et surtout délicieux. On nous présente Tatiana, un charmante guide russe qui ne parle pas français. Enfin, nous sommes contraints de ne parler que russe ! Bon c'est vrai elle parle aussi anglais mais on va essayer de s'en passer. Iris a fait de grands progrès et elle nous surprend dans sa compréhension orale. Je commence à être distancé, il faut bien l'avouer. Mais si on n'était pas obligé de me répéter soixante quatorze fois la même chose avant d'espérer que je la mémorise, on n'en serait peut-être pas là ! 
Nous allons voir de plus près la belle église. Toutes celles que nous verrons dans la région ont les mêmes caractéristiques mais sont différentes de celles que nous avons vu dans d'autres régions. Le froid est un problème récurant et les volumes sont petits ; on retrouve bien sûr une iconostase, même si elle est parfois réduite au minimum, mais il n'y a pas de pièce derrière réservée aux représentants de l'église. Le plafond est décoré comme un soleil avec un rond central et 12 ou 13 panneaux en étoile tout autour. Chaque panneau est peint avec des motifs religieux, des scènes, des anges ou des saints. Je retiens une dominante de bleu, vraisemblablement pour symboliser le ciel. 

Nous aurons l'occasion de prendre plusieurs fois le bateau soit pour aller sur des îles soit pour aller sur l'autre rive ce qui revient presque au même car on ne voit que des maisons isolées ou des groupes de maisons. Avec toujours quelques unes en train de s'effondrer. Dans l'une d'elle, isolée, une grand-mère habite seule avec son chien et son chat aveugle. Elle ne rejoint le village que pour l'hiver. Elle nous recevra avec des tartes aux myrtilles et le samovar pour le thé. Les premières vraies tartes dignes de ce nom que je mange en Russie. Dé-li-cieuses ! Очень вкусные ! Et le thé, dans le grand nord, quand il est brûlant, on le boit quand même et sans se brûler. On le verse simplement de la tasse dans la soucoupe et on boit dans la soucoupe. C'est une blague ? Non non, notre mamie, adorable elle aussi, boit son thé comme cela et nous l'imitons. Autour des maisons, il y a des jardins et des champs cultivés. Les grosses bottes de foin assemblées autour de très hauts piquets de bois témoignent du travail encore fait à la main et nous transportent dans une autre époque. On voit très peu de monde, tout est calme. Ce qui tendrait à nous faire croire que la vie est douce et paisible. Il faudrait voyager dans le passé ou simplement rester ici un hiver pour revenir de ces images d'Epinal !
Le lac lui même est très étonnant car peu profond. Sur le bord, le sol est gorgé d'eau, à la limite du marécage à certains endroits, et dans l'eau, les plantes poussent. Parfois il y a du sable.
La fin de Kenozero dans le prochain article, "Корова, la vache".