dimanche 12 octobre 2014

Boulatov, Ivanov et Polenov

Boulatov n'est pas un mot russe à traduire, c'est le nom d'un artiste. Mais je peux essayer. Boulate (булат) c'est l'épée en russe. En garde ! Et Boulatov, c'est l'avant-garde russe, tiens, tiens... Comme Gorki qui veut dire "amer" et qui se décline en Gorkogo pour donner son nom au célèbre parc, Boulat se décline en Boulatov (ça c'est moi qui le dit). Et quand il n'y a pas de déclinaison, il y a des diminutifs car les Russes aiment quand il y a plusieurs noms pour désigner une même chose. Leur conjugaison est plus pauvre que la française mais ils se rattrapent sur la richesse du vocabulaire. D'ailleurs si vous avez lu de grands romans russes, vous avez certainement constaté que la dizaine de personnages que vous découvrez au début de l'histoire sont au final beaucoup moins nombreux ; seulement, ils ont plusieurs noms chacun et parfois très différents les uns des autres. Le "y" en russe ce prononce "ou" donc Eric je l'appelle Boulatov et non pas Bulatov comme les anglo-américains et idem pour tous les noms russes que je traduis. Désolé si tout le monde ne fait pas comme moi, ça complexifie les recherches internet je l'avoue. Mais quand la majorité à tord, je ne suis pas la majorité. Dans les limites du possible évidemment, comme Erik Bulatov lui-même.

Le bleu indique l'entrée mais le pouvoir rouge barre l'accès
 en précisant qu'il n'y a pas d'entrée (Boulatov, 2006).
Mais avant l'avant-garde, il y a l'avant-rentrée. Car on est passé à la saison 2 pour les photos du blog (quoi, vous n'avez pas vu le nouveau lien ?) mais je n'ai pas vraiment conclu la saison une. La morale de l'histoire et tout ça. Le plus important ce sont les enfants bien sûr, ce sont eux l'avant-garde. Alors comme le centre de Moscou est réservé à une élite fortunée et que l'école française est payante, on se dit en arrivant que les conditions de travail vont être exceptionnelles. Beaucoup de jeunes ont déjà vécu dans plusieurs pays, parlent plusieurs langues etc. La vérité est plus mitigée ; les expatriés changent de pays très souvent et il est difficile d'apprendre une langue en quelques années et rester motivé quand on sait qu'on peut partir à tout moment. Pour l'apprentissage du russe, nombreux sont ceux qui abandonnent la deuxième année en voyant les médiocres résultats de ceux qui sont là depuis 3 ans. Moi je m'accroche, c'est passionnant. 
Et quand on pense classe sociale aisée, on pense réussite. Oui, mais réussite ça ne veut pas dire bons résultats scolaires, cela veut dire que l'on peut acheter soit un diplôme dans une école privée soit un job dans une société que l'on préside de près ou de loin. Le pire est qu'à Moscou, il n'y a pas de filière technique pour ceux qui ne s'adaptent pas à la filière générale et qui sont en situation d'échec scolaire. Donc ils vont où ? Et bien ils restent, ils redoublent. En classe de seconde l'année dernière, sur une classe de 25, sept n'avaient pas leur place dans la filière générale. Au final, il n'y a pas 3 classes de première cette année comme auraient pu le laisser penser la présence de 3 classes de secondes l'année dernière mais seulement deux. Un tiers a disparu (un peu moins, l'effectif par classe a augmenté). Donc je vous laisse imaginer les effets dans une classe de la présence d'un quart d'élèves qui savent qu'ils n'iront pas plus loin dans ce système. On nous demande de nous intégrer, les enfants s'adaptent. Ils subissent les influences, c'est la vie, la survie.
Par contre, quand tout le monde rame dans le même sens et dans le bon sens, c'est nettement plus simple. La classe de 5ème d'Iris a fini avec une moyenne générale de 16, génial ! C'était un tout autre cas de figure. Et un tout petit Lycée ça permet à tous de se connaître, c'est plus humain et on a une meilleure visibilité sur tout ce qui peut ne pas bien fonctionner. Le pire est d'entendre des jeunes dire que, de toutes façons, il réussiront car leurs parents ont de l'argent. C'est surtout ça le choc culturel à Moscou, ce n'est pas le niveau scolaire. Et il n'est pas rare que certains jeunes gardent seuls leur appartement le week-end quand les parents vont à la datcha (maison de campagne) ou quand ils disposent de plusieurs logements. Clairement, compte tenu de la sécurité dans le centre, les enfants bénéficient de beaucoup plus de liberté qu'en région parisienne. Et ils sont beaucoup plus riches que ceux que l'on pouvait fréquenter à Malakoff, qui est loin d'être une banlieue française défavorisée. Donc il y a aussi des histoire de drogue, le lycée est au courant et nous avait mis en garde. Certains parents (j'en ai rencontré) interdisent même à leurs enfants de manger à l'extérieur le midi pour limiter les mauvaises fréquentations. Nous, on a choisi de laisser nos enfants s'intégrer. C'est vrai que l'on ne savait pas tout en arrivant mais on ne peut pas vivre dans une bulle ; un jour ou l'autre elle pète, autant être prévenu et être sur ses gardes. D'où l'épée de Boulatov. A ne pas confondre avec celle de Damoclès.
Devant la peinture d'Ivanov, ce n'est pas le Christ qui m'est apparu, c'est Boulatov
(bon d'accord, je ne le connaissais pas quand j'ai pris cette photo).
Et il ne donne pas que des coups dans l'eau, Boulatochka, il n'est pas très aimé du pouvoir en général ai-je pu lire. Je vous encourage à aller sur le site culturel de Caroline (encore une bourguignonne qui vit à Moscou) pour en savoir plus : La Dame de Pique. J'ai tout de suite vu que ça collait avec cet artiste car, et d'une on fait les mêmes photos (enfin moi j'appuie sur un bouton, lui il peint, c'est un tout petit peu plus compliqué) : ma photo prise dans le musée Trétiakov le 25 septembre est proche de sa toile peinte un an plus tôt visible dans l'article de La Dame de Pique où l'on voit le public comme la continuité des témoins de la scène de "l'apparition du Christ au peuple" d'un autre peintre russe, Ivanov.
Cette peinture a beaucoup marqué aussi Polenov. Il faut voir son magnifique domaine "Polenovo" ; remarquez la déclinaison de l'adjectif masculin au génitif. En russe, on ne s'encombre pas de respect par le caractère invariable du nom propre comme en français. Ça rejoint la liberté prise par la création de diminutifs. Ça explique aussi en partie que leur fierté s'ancre plus facilement autour de la nation que de l'individu. Sans avoir vu les magnifiques publications du musée-mémorial Polenovo (mémoire d'un riche artiste militant pour le concept d'art pour tous), je l'aurais appelé Poliénov. Vous remarquerez que je ne vais pas au bout de ma volonté de traduire vers le français en respectant plus de nuances de prononciation car je fais abstraction des notions d'accents, pourtant très important en russe. Parce que je ne les connais pas toujours et parce qu'ils varient d'une région à l'autre. Et puis il y a les lettres qui ne se prononcent pas toujours de la même manière selon leur emplacement par rapport aux autres ou au mot lui-même. J'aurais carrément pu écrire Paliénof. 
NOTRE HEURE EST ARRIVEE
Et de deux (il faut remonter à "et d'une" pour comprendre cette articulation grammaticale), il (Eric Vladimirovitch) introduit dans ses œuvres récentes des mots ; le sens -dans tous les sens du terme- fait alors partie explicite de l'oeuvre. Comme j'adore jouer avec les mots et mélanger la photo et la calligraphie (vous avez pu le constater au fil des articles), j'adore le travail récent de cet artiste. Et cela me fait penser qu'il devient indispensable que je regroupe tous les photos-montages de ce blog dans une rubrique "Montage" afin d'avoir une vision synthétique de toutes mes images personnelles pour peut-être arriver à leur donner aussi plus de sens. Internet me permet d'être mon propre éditeur, ma liberté est totale, je n'ai pas le droit de ne pas en profiter, ça ne durera pas autant que les impôts comme dirait l'autre (ça aussi c'est très français les impôts, les services russes nous ayant répondu à notre demande de régularisation fiscale : mais pourquoi voulez-vous payer des impôts ?).
Pour rester dans la métaphysique, j'aime aussi beaucoup ce tableau où l'écriture n'est qu'une légende et où les personnages montent et descendent du ciel par un long escalier et par l'effet d'une vue en contre-plongée, avec des gestes qui s'apparentent à des signes de croix avec encore au premier plan le regard extérieur de ceux qui se tiennent dans l'ombre. La bande noire de part et d'autre donne l'apparence d'un plan cinématographique ce qui ajoute encore un niveau de regard  supplémentaire, les silhouettes du premier plan pouvant être prises pour des spectateurs de cinéma ; ils sont de toutes façons spectateurs (je vis - je vois).
Jour, 2006, Eric Boulatov
Enfin je conclus cette mini exposition par la lumière avec ce tableau éblouissant de 2006, "Jour" (день en russe).
Les photos des trois œuvres de Boulatov présentées dans cet article ont été prises avec mon téléphone Nokia lors de l'exposition au Manège à Moscou, "живу - вижу". Cela signifie "je vis - je vois" et se prononce "jivou - vijou". Je ne peux m'empêcher de penser à la célèbre phrase de César, "veni vidi vici" mais on remarque qu'à la différence du militaire, l'artiste n'a pas ici la prétention d'imposer un changement du monde. Mais ça a changé au moins ma vision de l'art russe, pas vous ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

En ce qui concerne les ados des quartiers riches de Paris, Anouk m'en a dit exactement la même chose lors de ses "stages d'observation" dans le XVIème; Pourquoi étudier puisque nos parents nous assureront un travail bien rémunéré, même s'il est virtuel !!!! Pour le reste, c'est tout a fait juste aussi; quand on a trop d'argent, trop de liberté et, par conséquent, plus de désirs, ceux-ci étant toujours devancés, il ne reste plus que la drogue pour s'éclater !!!D'ailleurs, d'après elle, il y aurait plusieurs élèves du Lycée français de Moscou qui auraient une de leurs "datcha" du coté du XVI, Neuilly....Je n'envie pas ces jeunes car, toujours d'après ma fille, ils auraient plus de problèmes "psychologiques" que les autres. Ben, oui, quand on vit dans le luxe, qu'on jouit d'une grande liberté, qu'on n'a plus rien à désirer et qu'on est au début de sa vie....c'est triste finalement !

J'ai lu l'article "la dame de pique" et moi aussi, je trouve ses peintures très intéressantes.

OUF, vos ados et futures ados ont la chance d'avoir une famille dans la norme qui ne peut pas devancer tous leurs désirs...ça a du bon d'être originaire de Malakoff !!!

Grosses bises

Anne E.

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