dimanche 5 octobre 2014

Enregistrement

L'enregistrement est une étape administrative nécessaire quand le visa excède une certaine durée. Il faut prouver que l'on habite bien où on le prétend. Le propriétaire doit se déplacer et, toujours muni de son passeport (même à la piscine nous avons eu besoin de notre passeport), il signe plusieurs fois lui aussi le dossier de chaque locataire (plusieurs pages d'informations à remplir et à signer avec quelques photocopies à joindre). En contrepartie, l'administration tamponne et découpe une partie du document attestant qu'elle a bien effectué l'enregistrement puis le confie à chacune des personnes temporairement admises sur son territoire. C'est aussi important que le visa, son absence peut déclencher une expulsion de la Fédération de Russie.
Ce début septembre, on a une semaine après la date de renouvellement du visa pour effectuer cette démarche. J'accompagne le propriétaire car l'assistante de Muriel n'est pas disponible et que mon intuition me dit qu'il faut voir ça au moins une fois. Je ne vais pas être déçu du voyage.
On intercepte un minibus par un signe de la main, le bâtiment est dans le quartier mais pas tout proche. On fait glisser la porte de la camionnette, nous montons à l'arrière. Slava qui m'accompagne s'informe de l'itinéraire avec le chauffeur et nous tendons 35 roubles par personne par dessus l'épaule de ce dernier qui roule déjà. A l'arrêt suivant, un jeune homme monte, s'assoit et et me donne 50 roubles. C'est sympa, fallait pas ! Il se trouve que je suis sur le siège dos au chauffeur et je suis prié de faire circuler l'argent et la monnaie dans l'autre sens. Personne ne me parle ni ne me souri. C'est comme ça, il ne faut pas le prendre mal. Ça m'amuse plutôt. Il y a autant de façon de ne rien dire que d'adresser des formules de politesses. Je rends les 3 pièces au passager. Un peu plus loin, Slava demande confirmation à la dame qui descend si c'est bien le prochain arrêt. Je suis assis trop haut par rapport à la fenêtre, je ne vois pas bien dehors et par où l'on passe. Heureusement, j'ai regardé l'itinéraire avant de partir car je rentrerai seul et à pied. Ce n'est pas trop loin et j'ai plus de chance d'arriver au bon endroit compte tenu de la faiblesse de mon langage russe.
Nous descendons enfin, prenons la première à droite, première à gauche. Ce n'est pas la bonne rue ! Je contrôle sur mon téléphone-gps, c'est la prochaine. Le numéro 24 ressemble à une grande maison abandonnée. La porte principale au centre est condamnée. Aucune plaque n'indique qu'il s'agit d'un bâtiment administratif. Flûte (à bec), ce n'est pas ici ! C'est bon, c'est là me dit Slava et il traverse. Nous poussons une grille qui est contre l'immeuble voisin auquel je n'avais pas prêté attention, tellement décontenancé par l'état du bâtiment et l'absence totale de vie. 

Derrière, il y a une petite porte. Un monsieur sort sans nous regarder ; une plaque rouge avec l'aigle bicéphale marque le coté officiel du lieu. C'est un bâtiment de l'office des migrations.
Nous montons un vieil escalier en bois et arrivons dans ce qui ressemble à une ancienne salle de classe. Les tables sont contre le mur, une trentaine de personne se presse contre une porte surmontée du numéro 3. Pas de numéro 2 mais il y a aussi une porte avec un numéro 1 et une sans aucune inscription. Quelques papiers d'information sont scotchés sur les portes ou sur les murs.
Après les avoirs parcourus, Slava s'adresse à la foule pour savoir si c'est bien là et savoir après qui nous sommes. C'est la culture de la file d'attente (очередь en russe). On nous fait parvenir une liste manuscrite écrite sur une demi feuille A4 découpée dans le sens de la hauteur. Slava écrit, avec le crayon que je lui tends, son nom à la suite des autres. Quelques uns sont barrés. J'en compte 18 avant nous, c'est bien moins que le nombre de tchéloviek dans la pièce. Certains ont trouvé une chaise, d'autres s'appuient sur les tables.
La porte 3 s'ouvre de temps en temps mais il arrive plus de monde qu'il n'en part. A chaque arrivée, il y a des échanges verbaux. Personne ne connaît la procédure, personne n'est inquiet on révolté, tous sont résignés. Un sourire peut se deviner sur les lèvres de certains qui partent un papier à la main.
Cinq fenêtres donnent sur la cour, ensoleillée. La lumière est agréable, c'est déjà ça. Nous sommes maintenant une quarantaine. Trois sont rentrés par la porte 3 en même temps. Dans un coin, une chaise pliable solidaire d'une table me permet de m'asseoir pour écrire.
Un policier en uniforme était là, il est reparti lui aussi avec son papier. Il y a plus d'hommes que de femmes, des jeunes et des moins jeunes. Une petite fille avec sa grand-mère apporte un peu de gaieté. Elle passe sous les tables, chantonne. Sinon le silence est religieux, je n'ose pas parler à Slava. J'apprends qu'il y a 2 lignes (2 files d'attente) et il n'est pas sûr qu'on soit dans la bonne. Je n'ai pas la sensation d'être en présence d'étrangers, il parlent tous bien le russe, ils ne sont pas même pas, dans leur grande majorité, typés caucasien. Le Caucasien est l'étranger le plus répandu dans Moscou et en particulier sur tous les chantiers ou aux caisses de certains supermarchés. C'est l'émigré aux petits boulots mais pas seulement car ils détiennent le plus gros du marché des fruits et légumes. Leur teint légèrement basané leur vaut d'être parfois qualifiés de "noirs" par les Russes, avec mépris vous avez compris.
Ça fait une heure qu'on est là à attendre. Il faut maintenant rester debout à coté de la porte. Ça parlemente à chaque entrée. De temps à autre, une sonnerie de téléphone portable, les mêmes que partout dans le monde. Ça y est, je vois les 2 listes qui passent de main en main, une femme n'est pas d'accord ; 4-5 personnes se répondent, elle ouvre la porte numéro 3 de sa propre initiative -alors qu'elle n'était ouverte que de l'intérieur jusque là par le fonctionnaire du bureau voisin- se penche pour s'adresser aux agents mais sans rentrer dans la pièce tout de même. Elle la referme, plusieurs personnes délibèrent, tout le monde se sert de peur de perdre sa place.
Un policier revient avec 4 personnes et ils rentrent directement dans le bureau 3 en se frayant un passage au milieu de la foule. Les visages sont durs et fermés. Il y a maintenant plus de femmes que d'hommes qui attendent. Une heure trente.
C'est notre tour, nous franchissons le seuil de la fameuse pièce. Une toute petite salle avec 2 bureaux. Le notre est celui tenu par une femme. Perdu. On n'a pas pris la bonne file, nous devons ressortir. Nous sommes déjà inscrit en 25ème position dans la seconde liste. Le dixième vient de rentrer. Il fallait prendre la file étranger et non pas russe, je peux lire maintenant ce qui est écrit sur la porte. On en a encore pour une heure vraisemblablement. Il est plus de midi et demi, j'ai déjeuné à 7h, j'ai faim.
Au moment où l'on entre à nouveau, le fonctionnaire se lève, ouvre une porte derrière lui et disparaît. Il reviendra un quart d'heure plus tard avec un couple à qui il remet des papiers. Un homme s'était collé à nous quand nous sommes rentrés, genre je tape l'incruste, je ne suis pas au courant de la procédure. Le fonctionnaire lui donne un ou deux formulaire et il disparaît. Quant à nous, il contrôle nos cinq dossiers, demande au propriétaire de signer et de compléter son adresse au dos d'un formulaire, donne un coup de tampon sur chaque, déchire le bas de chaque feuille -ce sont nos reçus-, le reste va dans une bannette qui n'est rien d'autre que le couvercle d'un carton de ramettes de papier A4 posé sur le coin du bureau et c'est terminé. Spaciba, da svidania.
C'est un peu abracadabrantesque mais certainement pas plus que ce que la France fait subir à ses émigrés en terme de procédure administrative. On devrait tous de temps en temps passer de l'autre coté de la barrière ; mais pas trop souvent, faut pas déconner.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Toutes ces lourdeurs administratives m'évoquent ce qui peut aussi se faire en France, en terme d'attente, de procédure, de dossiers (Crous, Caf, MDPH...) mais, je l'avoue, en un petit peu plus moderne et enjoué...
Désormais, lors de mes démarches, je penserai que je suis finalement assez chanceuse en pensant à la Russie :)

Anne E

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