lundi 11 avril 2016

On the rocks

Le soir arrive, rentrons au chaud ! On nous attend, bania et repas. Ensuite on va boire un verre - n'oublions pas notre superbe bouteille - chez nos voisins Isabelle et Marc. J'ai le plan annoté par Irina, c'est juste derrière notre gite. Si on pouvait faire un trou dans le mur, on n'aurait pas besoin de sortir. J'avais bien enregistré cette image du raccourci. On ne pense alors même pas à prendre une lampe, s'habiller chaudement. A quoi bon, on en a pour quelques minutes. C'était sans compter sur l'erreur humaine.
Toutes les rues ne sont pas éclairées, j'avais oublié. On a un beau lampadaire près de notre entrée mais sorti du joli cercle de lumière, c'est un autre monde. On part à gauche, on contourne le bout de la rue, à gauche à angle droit et la prochaine à gauche à la même distance, on doit tomber sur la base de repos Jemtchoujina Olkhona (à ce moment là, je ne connaissais pas son nom). Pas besoin d'être un expert en course d'orientation. Mais les rues sont longues subitement quand on est à pied ! Cette petite rue parallèle à la notre est complètement dans l'obscurité. Le ciel est magnifique, constellé d'étoiles. Pas de lune. C'est un chemin en terre avec des trous par ci et de la glace par là. Je glisse dans le noir et me retrouve légèrement en contrebas, un arbre au milieu du chemin délimite deux hauteurs de chaussée. Original. Attention ! Heureusement que l'on ne sort plus sans son téléphone portable - les écrans sont si lumineux qu'ils nous permettent de lire les quelques numéros présents sur les barrières ou clôtures et éclairent accessoirement le chemin réfléchissant, blanc de neige. Nous sommes à l'arrière des maisons - disons plutôt terrains car elles ont toutes une cour ou un jardin et sont parfois composées de plusieurs bâtiments (rappelez-vous l'article "De la glace au désert"). Donc aussi bien sur notre gauche que sur notre droite, on devine ces grandes parcelles. Ça y est ! Je reconnais l'arrière de notre gite. Alors de l'autre coté de la chaussée... non rien ! C'est un terrain - assez vague - avec au loin une maison. Même si je criais, personne ne nous entendrait. Aucune lumière, ce serait surréaliste que quelqu'un vienne nous attendre ici, je ne vois pas de porte d'ailleurs. Nos téléphones ne passent pas et il n'y a pas de wi-fi. Il n'y a qu'à Moscou où on peut trouver du wifi dans la rue ! Mauvais plan, au sens propre ! Et le froid nous pénètre...
Demi-tour, il n'y a pas d'autres solutions et si on a le courage, au lieu de prendre à droite pour rentrer à notre base de repos Lada (à ce moment là, je ne connaissais pas son nom non plus - c'est ça d'être pris par la main par une agence, même locale), nous irons à gauche chercher la rue suivante, aussi loin qu'étaient l'extrémité des parcelles que nous avons pu deviner dans le noir. Allez ! On y va, on a la vodka et on doit récupérer les patins à glace pour demain. Si j'osais, je prendrais une petite rasade pour me réchauffer. Mais je n'ose pas. La rue suivante est éclairée. Ça fait tout de suite grand luxe, de la lumière. Les rues lumineuses au loin qui se détachent dans la nuit sont féeriques. Il faudra revenir avec un appareil photo.
Il fait en deçà de -10 degrés et nous ne sommes toujours pas plus habillés que quand nous sommes partis. Chaque numéro de la rue s'étale en longueur. Je vois enfin un beau portail en bois avec un inscription gravée au dessus, ce pourrait bien être le gîte recherché ! Numéro 25-2. J'ai été bien inspiré de demander à Isa le numéro mais je l'aurais été encore plus en demandant le nom de la rue et en vérifiant notre adresse. On n'est jamais assez prudent. Une grande cour comme d'habitude avec plein de baraquements. Heureusement quelqu'un ! Les Français, ah oui, là-haut ! Un bel escalier en bois et nous voilà ! Mais qu'est-ce que vous avez fabriqué ? On serait mort de froid si on vous avait attendu dehors ! Pas lol.
Le village de Khoujir, la nuit, sur l'île Olkhone.
Nos amis sont avec leur guide, c'est cool d'avoir des nouvelles de la glace plus au nord sur le lac. Nous n'avons pas eu le temps d'aller si loin. Les crevasses sont plus spectaculaires quand on avance dans la grande mer. A y regarder de plus près, on parle de petite mer mais pas de grande mer dans les ouvrages consacrés au lac Baïkal. Irina Muzyka et Philippe Guichardaz précisent dans "Baïkal Mer sacrée", éditions "Pages du monde" : 

Dans sa partie occidentale, balayée par les vents dominants, la glace nue, parfaitement transparente, semble, malgré son épaisseur, aussi fragile qu'une vitre. Dans sa partie orientale la neige recouvre souvent la glace. Les surfaces planes ne s'étendent pas à l'infini. Les conducteurs des aéro-glisseurs connaissent bien les torossy, qu'ils sont obligés de contourner. Ce sont de véritables barrières de glace, le plus souvent de quelques décimètres de hauteur, mais qui peuvent dépasser 1,50 m et parfois atteignent 10 à 12 m. Redoutables également, pour la circulation automobile cette fois, les stanovyé chtchéli, crevasses, d'une largeur de 0,50 m à 2 m, peuvent atteindre 4 m. Les unes et les autres proviennent des variation de température de l'air, qui font se contracter ou se dilater la glace. Dans le premier cas, il y a formation de crevasses, dans le second, de barrières de glace. C'est en mars et avril, lorsqu'alternent les périodes de gel et de dégel que les phénomènes les plus spectaculaires se produisent. Des amoncellements de 20 à 30 m de hauteur peuvent se former lorsque les mouvements de glace rencontrent des obstacles. [...] Sur  le Baïkal, comme dans nos montagnes, les crevasses, quand elles sont masquées par la neige, ne sont pas toujours décelables.

Sylvie nous racontait dans la journée que, l'année passée - oui, c'est une récidiviste -, son chauffeur Igor - un grand chauffeur du Baïkal - s'était soudainement arrêté alors qu'ils roulaient sur la glace. Quelque chose lui passa par la tête que personne ne vit. Il sortit sa chignole, descendit de la voiture et fit un petit trou. Il remonta tranquillement au volant. Tout va bien dit-il en maître des éléments, ne laissant rien paraitre. Il avait déjà enclenché la marche arrière et filait aussi vite qu'il le pouvait, à rebours. L'épaisseur de la glace qu'il avait mesurée n'était que de 20 centimètres !  Pascal, qui venait de passer un mois ici, avait dit à Marc de ne jamais lâcher la poignée de la portière. Ambiance. Quant à la vodka brune du Baïkal aux pignons, je vous la conseille !
Le lendemain, on va au sud de l'île à la recherche d'une baie tranquille et bien lisse, idéale pour patiner. On a laissé Sylvie qui est partie avec un guide - celui d'hier soir, le Baïkal est petit ! - traverser le lac dans toute sa largeur pour aller en Bouriatie jusqu'à Oulan-Oudé. C'est sympa ce matin nous roulons un peu sur l'île, sur la terre - ça change. Nous allons au sud de Khoujir par la route utilisée l'été pour venir au village. Je reconnais les lieux, ça fait plaisir de se repérer, une impression fugitive d'être chez sois. Il y a beaucoup de maisons en construction, c'est étonnant ; 100% bois évidemment.
Nous arrivons sur la glace, traversons une première baie et remontons sur la rive, de l'autre coté. La terre est ferme, le passage est régulièrement emprunté, la piste est bien marquée. Ça monte et ça devient montagneux. On va vers le trident, un pic naturel. C'est étrange de se retrouver si vite en altitude, on s'habituait à ce monde de glace toujours plat et à devoir lever la tête pour regarder le paysage. Quel joie de grimper sur les rochers, de monter tout en haut rapidement. Par contre quel vent ! On ne va pas s'éterniser au sommet !
On retourne sur la glace, nous sommes seuls, c'est comme une grande plage privée. Mais nous allons sur l'eau et restons vêtus. Tout est lisse et strié de mille zébrures, comme une immense toile d'araignée prise dans la glace. Certaines rayures sont plus larges, plus blanches. La ligne dessinée se mue en creux peu profond mais comblé par la neige. Le vent a nettoyé toute la surface au niveau des bords de glace, a arasé les fissures enneigées. C'est éblouissant. Il n'y a pas deux mètres identiques et ça se répète sur des kilomètres dans toutes les directions. Avec sur la tête un bonnet recouvert d'une capuche, nous ne sentons pas le vent. On doit pouvoir passer des jours à marcher sur ce miroir aux milles visages. C'est artistique, géométrique et aléatoire. La palette de couleurs est réduite par contre, du blanc du noir avec des reflets verts et bleus dans la matière plus ou moins épaisse, plus ou moins éclairée. Un peu de jaune-brun quand le fond se rapproche et qu'il ose apparaître par transparence. Des fils blancs sans fin mais durcis et cassés se dessinent sous nos pas. Les lignes sont brisées et jamais courbes. Elles s'épaississent pour donner naissance à un drapé qui parait flotter, se balancer dans le courant comme porté par une brise légère. Un voile fin de mariée qui nous invite à la rêverie ; à moins que ce ne soit un voile sur une radio des poumons qui nous arrête. Des cassures alors qu'aucun morceau ni ne bouge ni se s'enlève. Quel mystère se cache donc ici ? Là, des gaz ont été pris dans la glace qui se retrouve constellée de bulles blanches, plus ou moins grosses, stoppées dans leur progression vers la surface. Le temps est suspendu. On ne serait pas surpris de voir un mammouth figé en pleine course, conservé intact sous nos pieds - surtout quand on sait que la Sibérie regorge de ces pachydermes dans son permafrost. 

Mais sous ce petit mètre de glace, l'eau coule. Alors l'on se plait à imaginer un poisson, un banc de poissons. Ils sont passés si vite mais je les ai vu ! Et comme le temps n'a plus de prise sur nous, c'est maintenant une ombre géante qui nous apparaît. Et la transparence ne laisse pas le doute planer, il nage lentement ; ce n'est pas un mégalodon, restons calme, mais ce peut bien être un dunkelosteus ou un ichtyosaure. Protégé par la glace comme par un écran de télévision, tout devient aussi vrai qu'irréel. On chausse les patins. Pas besoin d'un seul mouvement, le vent nous pousse et l'on glisse en douceur. Et l'on écarte les bras et l'on vole au dessus de l'eau comme un oiseau. Ici dans cette baie, pas de grand boum, pas de craquement effrayant. Je remonte le vent pour m'assurer que je suis maître de la direction dans laquelle je veux aller - il ne faudrait pas jouer au véliplanchiste débutant et ne pas pouvoir remonter le vent ! - et je me laisse remporter. Je peux même patiner ainsi en arrière, c'est grisant. Seul petit risque, les fissures qui peuvent avoir la largeur de la lame du patin et bloquer brusquement ma progression. Je vais privilégier la marche avant. Avec nos yeux qui ne sont que d'un coté de la tête, nous ne sommes pas aidés ! Quoi ? Le Ouaz repart ? Combien de temps, d'heures, de jours avons-nous passés ici ?




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Voilà bien longtemps que je n'étais pas venue ! Comment allez-vous ? Toujours aussi magnifique ton blog. Bisous à tous de nous.
Cat7B

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