mercredi 22 juin 2016

Un col enneigé

Les yacks partis (voir article précédent "Les yacks"), ce sont les moutons qui prennent la place et ceux-là, pour la nuit entière. La région n'est pas du tout boisée mais ça n'empêche pas les loups de s'approcher. Cet hiver, le berger a dû sortir son fusil pour chasser un carnivore menaçant. 
Notre repas va se dérouler dans la maison. On enlève ses chaussures dans l'entrée, comme partout. La porte est petite et très simple. La maison est un rectangle coupé en deux parties. A gauche, le salon qui fera office de dortoir cette nuit. Une haute pile de tapis dans un coin permettra à chacun d'avoir de quoi dormir aussi confortablement que sur un lit. Nos matelas de camping ne servent à rien, on aurait pu s'épargner leur transport peu pratique. 
Dans la partie droite de la maison, le premier mètre constitue l'entrée ; à gauche de la porte, un lavabo de campagne, à la sibérienne : une bonbonne en plastique accrochée au dessus d'une bassine. L'extrémité inférieure du réservoir est percée et fermée par une tige à la verticale qu'il suffit de pousser vers le haut pour laisser l'eau couler. Moins technique et plus pratique qu'un robinet ; on ne le salit pas quand les mains ne sont pas propres !
En face de la porte d'entrée, la porte de la cuisine. A droite, la table et une fenêtre, en face, une autre fenêtre et sur la gauche, le plus intéressant, le mur entre les 2 pièces principales : le poêle est intégré dans la cloison avec la plaque de cuisson sur le dessus. L'ouverture comporte des volets métalliques de part et d'autre : c'est une fenêtre sur le salon. Le mur est très épais, la cuisinière profonde permet de faire chauffer plusieurs casseroles ou bouilloires simultanément et le foyer est de bonne taille. Chauffage et cuisine ne font qu'un et sa place centrale assure une chaleur maximale dans tout l'habitacle. 
Le repas pris, je ressors. La nuit est partout. Mais je tombe en arrêt devant un nuage de points oranges phosphorescents, regroupés sur le côté de la maison, comme des lumières infrarouges. Des armes à visée nocturne ? Tu regardes trop la TV Christophe ! On ne boit pourtant pas d'alcool, je n'ai pas non plus l'impression de dormir, qu'est-ce que c'est ? C'est attirant mais très mystérieux. Le ciel est bleu très foncé, voilé sans étoiles. Aucune lumière parasite à perte de vue sauf celle qui provient de la cuisine, traverse l'entrée et s'échappe par la porte de la maison. Les deux fenêtres de la cuisine sont à l'opposé de la battisse. D'où ce contraste saisissant ! Compte tenu de l'emplacement, ce ne peut être que les yeux des moutons, couchés dans l'enclos. Incroyable ! Il n'a fallu qu'un de mes pas hors de la maison pour que tous soient en éveil. Ils sont restés couchés tout de même. Mais vous ne dormez pas les biquets ? Ne bougez-pas, je reviens... Je pars chercher mon appareil photo mais le temps de me repositionner, d'effectuer quelques réglages, ils ont disparus. Les yeux, pas les moutons !
Nuit.
Il n'est pas six heures ce matin que la patronne met en route le poêle. Je saute de mon duvet, ou plutôt de mon drap. La température était déjà très élevée la nuit ; six personnes couchées dans le salon et quatre autres dans la cuisine. Le poêle avait en plus bien chauffé l'habitacle la veille au soir. Pire qu'à Moscou où il faut ouvrir les fenêtres l'hiver tellement le chauffage municipal fait grimper le thermomètre, ici, une fois la chaleur du fourneau dans la pièce - autant dire aussitôt compte tenu qu'il n'est qu'à un mètre de mes pieds - je bous comme à la bania et je n'ai d'autre issue que de me précipiter dehors ! Ouf, de l'air ! Impossible de rêver à une grasse matinée dans ces conditions. Ce n'est pas plus mal car ce n'est pas au programme. Grosse journée de cheval aujourd'hui. Bon petit déj, photo de nos hôtes adorables et en selle.
Nous reprenons la vallée par laquelle nous sommes arrivés, direction le mon enneigé droit devant. On ne part pas faire une ascension mais tout de même, on doit passer un col à 3500 mètres d'altitude. Ça monte moyennement pendant la première partie, le groupe s'étale. On peut chevaucher seul tranquille, dans ses pensées ou entièrement en communion avec la nature, ou chevaucher à deux de front pour partager, papoter. On reste plus facilement en groupe lors de randonnées pédestre. Surtout quand c'est la première fois que l'on fait du cheval et que ce dernier fait ce qu'il veut tout en vous laissant croire que vous dirigez. Un ruisseau. L'eau coule assez vite du fait de la pente. Oh, un grand névé ! On le longe quelques temps. Pas de doute, on est vraiment en montagne. Il n'y a pas de grand soleil mais il ne fait pas froid. 
Sur la droite, nous passons tranquillement à coté d'un enclos de mottes de terre. Étrange. Ici ni troupeaux ni habitations à proximité. Ce sont des excréments en train de sécher. Faute d'arbres, les bouses représentent le combustible. C'était d'ailleurs comme ça que notre berger chauffait sa maison. Et aucun problème d'odeur, je vous rassure. Alors qu'hier, on n'a pas laissé les chevaux boire pendant l'effort, là on fait une exception, on a le droit de lâcher la bride et les équidés ne se font pas prier : ils fléchissent le cou jusqu'à ce que leurs babines trempent dans l'eau. C'est la fête. Avant la tempête. Oh des yacks !
On repart, ça grimpe, la fraîcheur fait son apparition. Dernier faux plat avant la grosse côte finale. On s'arrête pour sortir les coupe-vents ou autres pelures d'oignons. Une gorgée d'eau pour nous aussi. Moi, j'ai en permanence mon pantalon coupe-vent en goretex sur un pantalon léger en coton, mes chaussures de rando en goretex et mes petits gants en cuir. Et une toque plus imperméable que ma casquette si elle n'était ajourée par de longues aérations. J'ai enfilé mon vieux coupe-vent (aussi en goretex - une manie de randonneur) et j'ai toujours le reflex en sautoir. Les chevaux en ont profité pour brouter ; le plus gênant dans ces moments, c'est que le cavalier doit tendre le bras le plus loin possible pour ne pas lâcher la bride.

On repart et on fait de grands lacets, il faut être très vigilent sur l'angle des courbes pour que l'on arrive ensemble en haut, au bon endroit pour le passage du col. Les chevaux sont concentrés, tout entier dans leur effort. Mais laissez les faire et ils redescendent imperceptiblement pour aller brouter ! A gauche à quelques pas, la montagne est enneigée. On a bien grimpé. Le ciel est couvert maintenant, le vent plus froid. On a été bien inspiré de s'habiller.

(à suivre)



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