lundi 11 septembre 2017

Kamtchatka part 7

Jeudi 20 juillet
Lever tôt. Une grande journée de route nous attend : transfert de Paratunka au village de Kozirevsk. Ce ne sera pas de la piste. Nous serons en bus et non en Kamaz. Mais ça sera pire. Le temps est clair, ensoleillé. Le bus n'est pas climatisé, la chaleur est pénible à l'intérieur. Une fenêtre est ouverte, une deuxième, je suis au milieu des courants d'air. Je suis minoritaire, les vitres sont ouvertes davantage encore et mes paroles s'envolent. Pour la gorge, c’est pire que la climatisation. Je devrai me résoudre aux antibiotiques quelques jours plus tard.
Milkovo
Pause dans le dernier arrêt sur l'autoroute avant l’étape repas à mi-parcours. Plusieurs cabanes où l’on peut acheter des pirochkis, beliaches, samsas, tchibourekis, sotchikis (variétés de sandwichs/chaussons frits). Quelques tables permettent de s’asseoir devant les voitures ou camions à l’arrêt.  Cette route est une voie goudronnée, au départ, mais qui est vite remplacée par un large chemin de cailloux, plat, rectiligne, poussiéreux, bordé de bouleaux et de conifères des deux côtés du début à la fin. Trois ou quatre heure plus tard, nous nous arrêtons dans la seule ville se trouvant sur notre chemin : Milkovo. Des camions chinois livrent de la marchandise. Je repère immédiatement les idéogrammes car on n’en voit pas du tout dans le centre de Moscou. Des immeubles soviétiques encadrent la rue principale. Une face de quatre étages est décorée par un portrait de Gagarine et, de l’autre coté de l’artère, c’est une grosse fleur en forme de soleil. La décoration se poursuit par toute une série de fleurs colorées sur la balustrade qui longe le trottoir. C’est désuet et ravissant. Nous avons droit à une cantine et son plateau repas dans un espace de la taille d’une salle des fêtes, avec des rideaux violets et quelques fresques murales champêtres cernées de baguettes de bois. Désuet aussi, propre, très soviétique.
Quelques heures plus tard, nous faisons une pause à coté d'un arrêt de bus surréaliste, au milieu de nulle part. A peine descendus, nous sommes tous harcelés par les habitants du coin : les moustiques ! Je ne pousse pas le vice jusqu'à rentrer dans les bois et déjà ça vrombit à mes oreilles. Pourquoi n'ai-je que deux bras ? Je me suis parfumé à l'antimoustique, ça n'a pas l'air de leur faire le moindre effet mais j'échapperai aux piqûres pendant tout le voyage. Hormis à Kozirevsk où un effronté me piquera sur le nez en plein jour, sous mes yeux - c'est le cas de le dire - avant que je n'aie le temps de réagir. Il est vrai que je ne pulvérisais pas cette zone pour ne pas m'empoisonner, ni ne m'aveugler. Et fort de notre expérience des pays où sévit la malaria et des recommandations de l'agence russe qui connaissait l'enfer dans lequel nous tenions tant à descendre, nous avions les produits les plus efficaces !
Arrivée au village. Le paysage est très vert, les rues sont en terre devant de belles maisons en bois. Les jardins potagers, les fleurs, les piles de bois contre les clôtures pour pouvoir se chauffer pendant le rude hiver, tout nous rappelle la Sibérie. Mais c’est toujours la Sibérie, même si on la sensation d’être sur une île. Les mêmes impressions, émotions, entre ces coins du Kamtchatka ou de Carélie, éloignés de 8000 km ! Nous avons roulé, aujourd’hui, entre huit et neuf heures, plein nord. Ce qui soudain nous fait peur, c’est que nos deux guides, aguerris à ces voyages, se sont parés de leur couvre-chef aussi ridicule qu'efficace : le chapeau à voilette ! Il doit avoir un rebord tout autour pour que le fin filet ne soit pas en contact avec la peau, et un élastique ou un système de serrage autour du cou pour que les plus pervers des insectes suceurs de sang ne s'introduisent pas dans la zone protégée. Les plus craintifs des touristes ont sortis les gants. Mais les toilettes, comme la forêt, abritent des spécimens affamés.
Kozirevsk
Des petites maisons individuelles nous attendent. On dirait des niches pour chiens (ce qui n’est pas positif). La porte s'élève jusqu'au toit en tôle qui lui, descend jusqu'au sol. Et ce qui saute aux yeux, c'est la moustiquaire blanche qui se balance, au gré du vent, dans l'encadrement de la porte. La porte du bus à peine ouverte, c'est la guerre ! On se répartit très vite les chambres pour y trouver un instant de répit. Les quelques têtes brûlées qui ont passé le seuil sont implacablement éliminées. Super, il y a une bania ! Je veux bien avoir encore plus chaud s'il n'y a pas de moustique. Il y en aura quand même quelques uns qui danseront autour du poêle mais, aucun ne nous prendra pour cible, même quand nous serons dans le plus simple appareil.
L'accès à la bania demande de traverser l'espace salle à manger, entièrement entouré d'une moustiquaire. Ce voile blanc est couvert d'une multitude de points noirs à l'extérieur et d'un grand nombre à l'intérieur. Pendant que nous nous restaurerons, il faudra chasser de la main, à chaque bouchée, les indésirables. Un feu de camp est allumé dans le jardin, sympathique point de ralliement. Mais excusez mon impolitesse, je ne reste pas dehors ! La légère fumée ne change en rien le caractère de l'endroit. Mais comment peut-on vivre ici ? Vania nous dira qu'au village plus au nord, c'est pire : on en avale, tellement ils sont nombreux, volent serrés et proche de vous !
La nuit est bonne, pas de cauchemars.
Le lendemain, il nous reste une demi-journée de Kamaz. C’est là vraiment que commence le tout terrain. L’ancien camp de base a été détruit par les éruptions volcaniques, un autre est en cours de construction, aucune route n’existe vers le nouveau lieu. Le volcan a redessiné le paysage. Nous n’avons qu’à suivre la piste qui contourne l’extrémité de la dernière coulée de lave. Dans la forêt, nous suivons le chemin chaotique, des creux et des bosses sur une terre humide. Nous avançons lentement et nos têtes se balancent au gré des accidents du terrain. Un instant nous regardons par la fenêtre et l'instant suivant nos yeux sont fixés au plafond ; et tout retombe et nous contemplons nos pieds. La carrosserie se frotte aux branches sur la droite et, sur la gauche, ce sont les ramifications des arbres qui viennent se heurter aux parois du véhicule. Cela nous donne l’impression d’ouvrir une nouvelle voie au cœur de la forêt sibérienne. C’est moins monotones que le train – le transsibérien – car la proximité avec la nature est maximum. Le bruit de notre camion et son odeur ne sont pas des plus discrètes. Nous ne verrons pas de gibier par les fenêtres pendant ces longues heures. C’est donc une forêt sans fin, sans vie, qui s’offre à nous. On aperçoit tout de même de grosses fourmilières et il ne faut pas oublier les milliards de moustiques qui sont, aussi, une forme de vie.
Moustiques
Nous roulons d’autant moins vite que nous devons gravir une certaine déclivité. En prenant de l’altitude, les bouleaux sont remplacés par des mélèzes. Nous nous arrêtons au pied de la coulée transformée en pierre. Nous gravissons ses trois, quatre, cinq mètres de hauteur. Ce n’est qu’un amas de roches noires chaotique. Tout a été écrasé sur son passage. Nous voyons les troncs implacablement pliés ou brisés, et devinons le refroidissement lent mais certain, de toute cette matière, qui a fini par avoir raison de sa progression. Et le mur s’arrête là, brutalement. La hauteur de la coulée ne permet tout de même pas de dominer la forêt, notre vue est limitée mais nous sommes en contact avec la matière volcanique, ce qui est déjà un grand moment. Les moustiques n’ont que faire de ce phénomène, ils ont faim donc nous remontons dans le camion.

Nous finissons par sortir de la forêt. Est-ce temporaire ou allons-nous replonger dans le vert ? Le sol est noir maintenant, et a l’aspect du sable ou d'un fin gravillon. On distingue plusieurs traces, chaque véhicule décidant de passer plus à droite ou plus à gauche. Nous n’allons pas tarder à être entouré de roches et de montagnes noires. Une pensée alors pour les montagnes du Hoggar en Algérie. Ici au Kamtchatka, ce qui n’était pas recouvert de couleur sombre a été recouvert de poussière noire. Au sol, à quelques endroits très espacés les uns des autres, des touches de couleurs éclatantes, jaunes, fuchsia, bleu : ce sont des fleurs. La nature a chargé quelques uns de ses plus beaux ambassadeurs d’attirer les insectes pour réintroduire la vie dans ces espaces morts. 

A suivre

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