Jeudi 20 juillet
Lever tôt. Une grande journée de route nous attend : transfert
de Paratunka au village de Kozirevsk. Ce ne sera pas de la piste. Nous serons
en bus et non en Kamaz. Mais ça sera pire. Le temps est clair,
ensoleillé. Le bus n'est pas climatisé, la chaleur est pénible à l'intérieur.
Une fenêtre est ouverte, une deuxième, je suis au milieu des courants d'air. Je
suis minoritaire, les vitres sont ouvertes davantage encore et mes paroles
s'envolent. Pour la gorge, c’est pire que la climatisation. Je devrai me
résoudre aux antibiotiques quelques jours plus tard.
Milkovo |
Pause dans le dernier arrêt sur l'autoroute avant l’étape
repas à mi-parcours. Plusieurs cabanes où l’on peut acheter des pirochkis,
beliaches, samsas, tchibourekis, sotchikis (variétés de sandwichs/chaussons
frits). Quelques tables permettent de s’asseoir devant les voitures ou camions
à l’arrêt. Cette route est une voie
goudronnée, au départ, mais qui est vite remplacée par un large chemin de
cailloux, plat, rectiligne, poussiéreux, bordé de bouleaux et de conifères des deux côtés du
début à la fin. Trois ou quatre heure plus tard, nous nous arrêtons dans la
seule ville se trouvant sur notre chemin : Milkovo. Des camions chinois
livrent de la marchandise. Je repère immédiatement les idéogrammes car on n’en
voit pas du tout dans le centre de Moscou. Des immeubles soviétiques encadrent
la rue principale. Une face de quatre étages est décorée par un portrait de
Gagarine et, de l’autre coté de l’artère, c’est une grosse fleur en forme de soleil.
La décoration se poursuit par toute une série de fleurs colorées sur la
balustrade qui longe le trottoir. C’est désuet et ravissant. Nous avons droit à
une cantine et son plateau repas dans un espace de la taille d’une salle des
fêtes, avec des rideaux violets et quelques fresques murales champêtres cernées
de baguettes de bois. Désuet aussi, propre, très soviétique.
Quelques heures plus
tard, nous faisons une pause à coté d'un arrêt de bus surréaliste, au milieu de
nulle part. A peine descendus, nous sommes tous harcelés par les habitants
du coin : les moustiques ! Je ne pousse pas le vice jusqu'à rentrer dans les
bois et déjà ça vrombit à mes oreilles. Pourquoi n'ai-je que deux bras ? Je me
suis parfumé à l'antimoustique, ça n'a pas l'air de leur faire le moindre
effet mais j'échapperai aux piqûres pendant tout le voyage. Hormis à Kozirevsk
où un effronté me piquera sur le nez en plein jour, sous mes yeux - c'est le
cas de le dire - avant que je n'aie le temps de réagir. Il est vrai que je ne pulvérisais
pas cette zone pour ne pas m'empoisonner, ni ne m'aveugler. Et fort de notre
expérience des pays où sévit la malaria et des recommandations de l'agence
russe qui connaissait l'enfer dans lequel nous tenions tant à descendre, nous
avions les produits les plus efficaces !
Arrivée au village. Le paysage est très vert, les rues sont en
terre devant de belles maisons en bois. Les jardins potagers, les fleurs, les
piles de bois contre les clôtures pour pouvoir se chauffer pendant le rude hiver,
tout nous rappelle la Sibérie. Mais c’est toujours la Sibérie, même si on la
sensation d’être sur une île. Les mêmes impressions, émotions, entre ces coins
du Kamtchatka ou de Carélie, éloignés de 8000 km ! Nous avons roulé, aujourd’hui, entre huit et neuf heures, plein nord. Ce qui soudain nous fait peur, c’est que nos
deux guides, aguerris à ces voyages, se sont parés de leur couvre-chef aussi
ridicule qu'efficace : le chapeau à voilette ! Il doit avoir un rebord tout
autour pour que le fin filet ne soit pas en contact avec la peau, et un
élastique ou un système de serrage autour du cou pour que les plus pervers des
insectes suceurs de sang ne s'introduisent pas dans la zone protégée. Les
plus craintifs des touristes ont sortis les gants. Mais les toilettes, comme la forêt, abritent des spécimens affamés.
Des petites maisons individuelles nous attendent. On dirait
des niches pour chiens (ce qui n’est pas positif). La porte s'élève jusqu'au
toit en tôle qui lui, descend jusqu'au sol. Et ce qui saute aux yeux, c'est la
moustiquaire blanche qui se balance, au gré du vent, dans l'encadrement de la
porte. La porte du bus à peine ouverte, c'est la guerre ! On se répartit très
vite les chambres pour y trouver un instant de répit. Les quelques têtes
brûlées qui ont passé le seuil sont implacablement éliminées. Super, il y a une
bania ! Je veux bien avoir encore plus chaud s'il n'y a pas de moustique. Il y en aura
quand même quelques uns qui danseront autour du poêle mais, aucun ne nous
prendra pour cible, même quand nous serons dans le plus simple appareil.
Kozirevsk |
L'accès à la bania demande de traverser l'espace salle à
manger, entièrement entouré d'une moustiquaire. Ce voile blanc est couvert
d'une multitude de points noirs à l'extérieur et d'un grand nombre à
l'intérieur. Pendant que nous nous restaurerons, il faudra chasser de la main,
à chaque bouchée, les indésirables. Un feu de camp est allumé dans le
jardin, sympathique point de ralliement. Mais excusez mon impolitesse, je ne reste
pas dehors ! La légère fumée ne change en rien le caractère de l'endroit. Mais
comment peut-on vivre ici ? Vania nous dira qu'au village plus au nord, c'est pire : on
en avale, tellement ils sont nombreux, volent serrés et proche de vous !
La nuit est bonne, pas de cauchemars.
Le lendemain, il nous reste une demi-journée de Kamaz. C’est
là vraiment que commence le tout terrain. L’ancien camp de base a été détruit
par les éruptions volcaniques, un autre est en cours de construction, aucune
route n’existe vers le nouveau lieu. Le volcan a redessiné le paysage. Nous
n’avons qu’à suivre la piste qui contourne l’extrémité de la dernière coulée de
lave. Dans la forêt, nous suivons le chemin chaotique, des creux et des bosses sur une terre humide. Nous avançons lentement et nos têtes se balancent au gré des accidents du
terrain. Un instant nous regardons par la fenêtre et l'instant suivant nos yeux sont
fixés au plafond ; et tout retombe et nous contemplons nos pieds. La carrosserie se frotte aux branches sur la droite et, sur la gauche, ce sont les ramifications des
arbres qui viennent se heurter aux parois du véhicule. Cela nous donne
l’impression d’ouvrir une nouvelle voie au cœur de la forêt sibérienne. C’est
moins monotones que le train – le transsibérien – car la proximité avec la
nature est maximum. Le bruit de notre camion et son odeur ne sont pas des plus
discrètes. Nous ne verrons pas de gibier par les fenêtres pendant ces longues
heures. C’est donc une forêt sans fin, sans vie, qui s’offre à nous. On
aperçoit tout de même de grosses fourmilières et il ne faut pas oublier les
milliards de moustiques qui sont, aussi, une forme de vie.
Moustiques |
Nous roulons d’autant moins vite que nous devons gravir une
certaine déclivité. En prenant de l’altitude, les bouleaux sont remplacés par
des mélèzes. Nous nous arrêtons au pied de la coulée transformée en pierre.
Nous gravissons ses trois, quatre, cinq mètres de hauteur. Ce n’est qu’un amas
de roches noires chaotique. Tout a été écrasé sur son passage. Nous voyons les
troncs implacablement pliés ou brisés, et devinons le refroidissement lent mais
certain, de toute cette matière, qui a fini par avoir raison de sa progression.
Et le mur s’arrête là, brutalement. La hauteur de la coulée ne permet tout de
même pas de dominer la forêt, notre vue est limitée mais nous sommes en contact
avec la matière volcanique, ce qui est déjà un grand moment. Les moustiques
n’ont que faire de ce phénomène, ils ont faim donc nous remontons dans le
camion.
Nous finissons par sortir de la forêt. Est-ce temporaire ou
allons-nous replonger dans le vert ? Le sol est noir maintenant, et a
l’aspect du sable ou d'un fin gravillon. On distingue plusieurs
traces, chaque véhicule décidant de passer plus à droite ou plus à gauche. Nous n’allons pas tarder à être
entouré de roches et de montagnes noires. Une pensée alors pour les montagnes
du Hoggar en Algérie. Ici au Kamtchatka, ce qui n’était pas recouvert de
couleur sombre a été recouvert de poussière noire. Au sol, à quelques endroits
très espacés les uns des autres, des touches de couleurs éclatantes, jaunes,
fuchsia, bleu : ce sont des fleurs. La nature a chargé quelques uns de ses
plus beaux ambassadeurs d’attirer les insectes pour réintroduire la vie dans
ces espaces morts.
A suivre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire