vendredi 25 août 2017

Kamtchatka, part 3

Dimanche 16 et lundi 17 juillet 2017
Deux jours sur les volcans. Le matin de bonne heure, le Kamaz nous attend. Il s’agit du véhicule qui va nous transporter à travers la nature sauvage. Les roues font un mètre de diamètre et les fenêtres sont à deux mètres de hauteur. C’est un camion tout terrain avec une vingtaine de sièges, un engin soviétique à six roues motrices, incassable, du genre Waz que nous avons utilisé au Baïkal – entre autres – mais en beaucoup plus gros. Nous avons droit, en plus du chauffeur, à un guide anglophone, un guide de montagne russophone qui connait bien la région et tous ses volcans, une cuisinière et une aide cuisinière. L’équipe est entièrement russe, jeune et fort sympathique.

Nos deux cuisinières, de Sibérie, ont fait notamment des études de philosophie, ce qui fait tomber les à priori que l’on serait tenter d’avoir vis-à-vis des peuples qui vivent dans des conditions difficiles et reculées. Elles évoquaient Nietzsche au petit déjeuner, en préparant la cacha. Natalia, native du Kamtchatka, étudie maintenant le chinois à Shanghaï et Michiyé, de Yakoutie, vient de terminer des études de finances et a envie de poursuivre par des études de langues.
Nous roulons au pas sur une route que seul un pilote avisé voit. Puis, pour un besoin d’air, Vania force une petite fenêtre coulissante qui résiste à l’ouverture. Et au lieu de glisser, le verre explose, s’éparpillant sur les sièges proches en une multitude de petits éclats. L’arrêt suivant, le chauffeur fabriquera une vitre avec du film plastique transparent, pour limiter le vent et la pluie qui va se remettre à tomber quelques heures plus tard. Mais en attendant, le soleil brille – le vent est si fort qu’un nuage chasse l’autre – et c’est une première crevaison ! Les pneus sont imposants mais l’objet métallique responsable de l’incident fait bien cinq centimètres de long. Le chauffeur ne veut pas nous voir dans ses pattes. Nous prenons donc de l’avance, sur la route – ici en cailloux –, au milieu de la forêt, sur une colline. Nous grimpons et les arbres se font plus rares. Des poteaux métalliques de six mètres de haut se dressent sur le bas-côté du chemin. Ce sont des indicateurs en cas de chute de neige, très importantes l’hiver.
Après être remontés dans notre véhicule, nous arrivons au bout du chemin. Nous sommes devant une centrale géothermique, la principale du Kamtchatka. Au milieu des volcans, à quatre-vingt kilomètres de Paratunka soit 130 de Pétropavlovsk, elle assure, selon notre guide, 40% de la production en énergie de la péninsule. On aurait pu trouver plus glamour pour un pique-nique ! Mais, au moins, nous avons quitté les forêts : il n’y a pas de moustique ici. Nous nous sommes arrêtés là pour une toute autre raison : c’est le point de départ d’une randonnée. Nos guides, aussi compétent et sympathiques soient-ils, ne ressentent aucune gêne à manger debout entre un camion et une usine alors que nous venons de rouler des heures dans un paysage époustouflant.

Sac à dos, bâtons, on est parti. Nous sommes plusieurs à être venus avec des bâtons de marche. Et l’agence a bien fait les choses car ils en ont aussi un certain nombre, tous neufs. L’effet de groupe encourage ceux qui ne connaissent pas les bienfaits de cet accessoire, à s’équiper aussi. Seul Pierre, le plus sportif de la bande, part les mains dans les poches. Mon angoisse est que les bâtons soient un obstacle à la prise de photos, que mes deux mains ne me suffisent plus. J’ai, pour palier à cette éventualité, opté pour un sac à dos permettant de les accrocher à l’extérieur.
Nous marchons plus d’une heure dans la neige, à flanc de volcan. La pente est assez raide, nous ne sommes pas très haut en altitude mais gare à celui qui laisse échapper un objet, il risque de glisser sans s’arrêter. Il y a de la végétation par endroit, des arbres bas, allongés, comme des arbustes. Une espèce particulière d’un feuillu dont j’ai oublié le nom. Soudain, plus de neige, mais de la terre nue sur une dizaine de mètres. Le sol est détrempé, les chaussures s’enfoncent, ça glisse, c’est très désagréable. Puis le sol se durcit alors que nous traversons un massif d’une plante sauvage très toxique, qu’il nous faut éviter absolument de toucher. Elle fait plus d’un mètre de hauteur et a un air de cannabis. Un chemin étroit nous permet d’atteindre la roche. Et là, nous comprenons le choix de cette destination : une multitude de fumerolles s’échappent de la terre, de l’eau jaillit à 90°, avec plus ou moins de force. 
En amont, la roche est jaune et les fumées finissent par se confondre avec les nuages blancs qui filent sur le ciel bleu. En aval, nous pouvons descendre jusqu’à un tout petit cours d’eau nourri par des sources chaudes mais aussi et surtout, d’une grande quantité de neige présente plus haut, sur le versant nous faisant face. Sur le chemin du retour, nous faisons un détour par une piscine naturelle, chaude et soufrée, en plein air. Une légère odeur d’œuf pourri accompagnera les quelques volontaires pour ce bain imprévu de quelques minutes. Un petit chemin conduit à une grosse maison, en amont : celle du directeur de l’usine. En repartant, la pente est raide et enneigée. Ça glisse. Nous découvrons une crotte d’ours, sèche, la bête est loin maintenant.

Nous remontons dans notre camion pour rejoindre le point de campement prévu, sur le grand plateau enneigé, aux pieds des volcans, traversé quelques heures plus tôt. Aucun arbre, aucune plante, dans une ambiance de désert, il nous ouvre ses bras. Mais le vent est si fort et les giboulées si fréquentes que le guide descend seul et décide, après de 10 minutes de tergiversation, de ne pas nous imposer ces conditions extrêmes. Le problème n’est pas de constater que le temps est mauvais mais de trouver une alternative. En route.
L’inquiétude et la tension ne va pas cesser de monter dans l’heure qui suivra car la pluie se remet à tomber, le sol est détrempé. Nous perdons un peu d’altitude, la végétation refait son apparition et nous craignons d’atteindre la zone où pullulent les moustiques. Nous roulons lentement, très lentement quand nous sommes sur la neige. Ensuite, au pas, après avoir quitté le chemin, le Kamaz tangue tel un bateau ivre, pour traverser les ornières ; nous ne sommes pas très rassurés, n’étant pas encore familiers avec son sens de l'équilibre. La nuit arrive, nous craignons d’avoir à installer le campement une fois le soleil dissimulé par un des multiples volcans formant la ligne d’horizon, quand les nuages cèdent, à contre cœur, le devant de la scène. Et ces heures de route qu’il va falloir refaire le lendemain pour atteindre le volcan dont nous devons faire l’ascension !
Le camion finit par s’arrêter. Le guide inspecte le terrain. La discussion a dû être tendue pendant tout ce temps, avec le chauffeur, dans sa cabine. Comme les gros véhicules de marchandises, la cabine du conducteur est disjointe du grand habitacle des passagers. Une radio, accrochée sur la cloison, permet la communication entre les deux parties. Mais là, aucune nouvelle. La porte finit par s’ouvrir, c’est bon, on s’installe ici ! Il ne pleut pas, le terrain n’est pas trop mouillé mais il n’est pas très plat. Des tentes toutes neuves sont déchargées. Vania nous déplie la première pour nous montrer la procédure et nous plantons, dans la foulée, nos cinq igloos. Pendant ce temps, l’équipe d’accompagnants installe la grande tente pour la cuisine et les repas.
La vue est belle même si les nuages sont très nombreux. Le plus grand des volcans nous dominant reste coiffé par les nuages. Le vent est fort et nous comprendrons le lendemain, en venant dîner au même endroit, que c’était une chance, car le lieu est, sinon, envahi par les комаров, les moustiques. La nuit est bien noire mais sans étoile ; nous dînons dans la tente verte. Nos cuisinières ont préparé une soupe à la viande délicieuse. Nous avions emporté une bouteille de vin rouge. Parfait. Un peu de saumon fumé. Nous en mangerons plusieurs fois par jour, c’est l’aliment de base ici, dirait-on ! L’une d’entre nous finira par saturer de ce - pourtant – délicieux poisson.

Nous passons une bonne nuit dans des sacs sarcophage tout neufs, prêtés par l’agence. Cacha au petit dèj, comme tous les matins. A l’hôtel, c’était accompagné de crêpes et d’œufs, ici avec des blinis frits. Nous replions les tentes et c’est reparti, direction le volcan. Ça saute, ça secoue, nous sommes habitués maintenant. Le ciel est encore gris et très bas ce lundi. Chacun prend ses bâtons, je mets mon pantalon de pluie, laisse la polaire dans le petit sac à dos que je recouvre de sa housse imperméable. Le guide nous propose trois options. Soit nous grimpons comme prévu en espérant une éclaircie plus haut, soit nous attendons que ça se dégage, soit on retourne à Pétropavlovsk et on trouve une activité de remplacement. Alors ?

A suivre

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